- ES-0291
- DEUX CIRCULAIRES INEDITES
- SECONDE CIRCULAIRE SUR L'ORAISON
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
1 ADORATION
1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
1 ANEANTISSEMENT
1 ANGES
1 APATHIE SPIRITUELLE
1 AUMONE
1 AUSTERITE
1 BAVARDAGES
1 BIEN SUPREME
1 CHAPITRE GENERAL DES ASSOMPTIONNISTES
1 CIEL
1 CONCUPISCENCE DES YEUX
1 CONSTITUTIONS DES ASSOMPTIONNISTES
1 CORPS DE JESUS-CHRIST
1 CREATEUR
1 DESIR DE LA PERFECTION
1 DEVOTION AUX PERSONNES DE LA TRINITE
1 DIEU LE PERE
1 DISTRACTION
1 DONS DU SAINT-ESPRIT
1 ECRITURE SAINTE
1 FIDELITE A LA GRACE
1 GRAVITE
1 HUMILITE
1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
1 NOTRE-SEIGNEUR
1 NUTRITION
1 ORAISON
1 PAGANISME
1 PENITENCES
1 PERFECTIONS DE DIEU
1 POSSESSION DE DIEU
1 PRIERE AU SAINT-ESPRIT
1 RECHERCHE DE DIEU
1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
1 REFORME DU COEUR
1 SACREMENTS
1 SAINT-ESPRIT
1 SCANDALE
1 TEMPLE DU SAINT-ESPRIT
1 VERTU DE RELIGION
1 VERTUS THEOLOGALES
1 VIE DE PRIERE
1 VIE DE SILENCE
1 VOIE UNITIVE
2 ABRAHAM
2 DEMOSTHENE
2 DIOSCORE
2 JEAN, SAINT
2 JOB, BIBLE
2 PAUL, SAINT
2 PROBA - 1876
[[ Erat pernoctans in oratione Dei. (Luc, VI, 12.)
Mes très chers Frères,
Ce n’est pas tout pour des religieux que de poser les règles les plus sages, si un esprit de perfection ne les anime. C’est pourquoi je viens vous proposer, pendant ce Chapitre, divers points sur lesquels je vous prie de méditer, afin que,tandis que nous développerons les lois de notre famille religieuse, nous puissions du même coup arriver aux conditions de ferveur qui nous en rendront l’observation plus facile.
Je vous parlerai aujourd’hui de la prière. J’ai déjà indiqué, dans une Circulaire, l’esprit dans lequel nous devons faire oraison. Je considérerai aujourd’hui les conditions par lesquelles notre oraison entrera dans cet esprit. Ces conditions sont :
1° L’habitude de la présence de Dieu; 2° l’humilité; 3° le silence; 4° l’austérité; 5° la dévotion au Saint-Esprit.
I. L’habitude de la présence de Dieu [[ Ambula coram me et esto perfectus: Marche en ma présence et sois parfait. ]] Cette parole adressée à Abraham est la recommandation la plus solennelle de cet exercice, donné comme le principe de la sanctification du grand patriarche. Qui a sans cesse Dieu présent à l’esprit ne peut manquer d’être parfait, puisque tous ses actes prennent un caractère remarquable de sérieux, de respect et de confiance.
De sérieux. Il accomplit l’acte le plus grand dont l’homme soit capable : être avec Dieu, vivre avec celui qui est son terme dernier, sa récompense surabondante.
De respect. Il se trouve, en effet, devant son Créateur. Aussi, malheur au religieux qui n’a plus ce sentiment et vulgarise les actions les plus saintes, au lieu de les élever toujours davantage!
De confiance. Dieu créateur est aussi notre père, et c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être; c’est en lui que nous nous transformerons, à lui que nous nous unirons, repoussant avec facilité par l’exercice de la présence de Dieu les distractions qui nous viennent pendant l’oraison.
Après avoir établi que par la foi, l’espérance, la charité, nous prions avec un désir continu, saint Augustin fait observer que l’âme doit chercher cet état habituel de prière, et il ajoute: [[ Dignior enim sequetur effectus, quem ferventior præcedit affectus; ac per hoc et quod ait Apostolus: sine intermissione orate, quid est aliud quam beatam vitam, quæ nulla nisi æterna est, ab eo qui eam solus dare potest, sine intermissione desiderare? Plus noble suivra l’effet que précède une plus intense ferveur; aussi, comme dit l’Apôtre : Prier sans cesse, qu’est-ce autre chose que désirer sans cesse de celui qui peut seul la donner cette vie bienheureuse qui ne peut être qu’éternelle? ]] Et ce n’est pas là contrevenir à la parole de Notre-Seigneur et prier in multiloquio, car, continue le grand docteur, [[aliud est sermo multus, aliud diuturnus affectus: autre chose la multiplicité des paroles, autre chose la ferveur qui se prolonge. (1) ]]
II. L’humilité
Saint Augustin, écrivant à Dioscore, dit que les philosophes païens ont en vain cherché la vérité dans le plaisir, dans l’ambition, dans l’orgueil. Pour aller à la vérité qui est Jésus-Christ, il n’y a qu’une seule voie, l’humilité, et on peut dire de cette vertu ce que Démosthène disait du débit oratoire, elle est la condition unique et indispensable du succès (2).
L’homme qui prie avec humilité est déjà dans la vérité, puisqu’il se tient devant Dieu tanquam nihilum. Mais que cette conviction est rare! Et pourtant, dès qu’on se sent en présence des perfections divines, elle jaillit de la comparaison de ce que nous sommes avec ce qu’est Dieu, et nos résolutions se fortifient dans le sentiment de notre néant.
III. Le silence
Il est indispensable à l’oraison, car le religieux qui s’occupe trop des choses de la terre ne trouve plus le temps de s’occuper des choses de Dieu. Dans le ciel même, l’adoration est accompagnée du silence, et saint Jean nous parle dans l’Apocalypse du grand silence qui se fit au moment où les esprits célestes s’inclinèrent devant le trône de Dieu pour l’adorer. Parler beaucoup, si l’on ne parle pas de Dieu, c’est ne pas faire oraison. De plus, rien n’éteint le Saint-Esprit en nous comme la médisance et les fautes contre la charité, et il est impossible de ne pas tomber dans ces fautes, si l’on parle beaucoup. La flamme de l’Esprit-Saint diminue dès lors et la prière disparaît, puisque c’est par le Saint-Esprit que nous prions. Enfin, nous ne devons pas empêcher nos frères de devenir hommes d’oraison, et semer des obstacles sur leur route, ce qui arrive sans cesse par les conversations inutiles, ou frivoles qui se font en dehors de la règle. Il faut donc apprendre à nous taire et observer rigoureusement le silence si nous voulons devenir des hommes d’oraison.
IV. L’austérité
[[ Vis orationem tuam volare ad Deum ? dit saint Augustin, fac illi duas alas, ieiunium et eleemosynam: Veux-tu que ton oraison vole vers Dieu? fais-lui deux ailes : le jeûne et l’aumône (3). ]] L’aumône est comme la conséquence du jeûne, qui représente ici tous les retranchements que l’homme s’impose. L’austérité et la prière sont soeurs en quelque sorte. La sagesse qui est le goût des choses divines, qui prépare merveilleusement à l’oraison et en est en même temps le fruit, la sagesse, suivant la parole de Job, ne se trouve point sur la terre de ceux qui vivent dans la mollesse: [[ nec invenitur in terra suaviter viventium ]] (XXVIII, 13.) Il faut un effort pour briser les chaînes de la terre et monter vers Dieu. L’austérité nous permet de le faire.
Saint Augustin nous montre l’Apôtre marchant vers la perfection (Philip., III, 12-13): [[ Dicit se nondum esse perfectum…; dicit se extendi, dicit se sequi ad palmam supernae vocationis. In via est… Nihil illi tam magnæ moræ est quam dissolvi et esse cum Christo : Il dit qu’il n’est pas encore parfait…; il se dit tout tendu, il se dit à la poursuite de la palme de son appel d’en haut. Il est en route… rien ne lui tarde autant que de tomber en poussière et de s’unir au Christ (4). ]] L’infirmité humaine, poursuit-il, a besoin d’une nourriture matérielle; [[est autem cælestibus quibus pietas mentis impletur: comme il existe une nourriture céleste dont se rassasie la piété de l’esprit. ]] Chacune de ces deux nourritures entretient une vie différente: l’une est la vie des hommes, l’autre est la vie des anges. Nous pouvons tendre à la vie des anges par la privation de la nourriture terrestre. [[ Gubernare itaque debemus nostra ieiunia : nous devons donc réglementer nos jeûnes. ]] Remarquez cette expression. Ce n’est pas la condition des anges, ce n’est pas non plus celle des hommes qui ne servent que leur ventre, c’est un état intermédiaire d’austérité. [[ Medietatis nostræ res est; nous vivons séparés des infidèles, conjoints d’aspiration aux anges: qua vivimus secreti ab infidelibus, coniungi angelis inhiantes. Nous ne sommes pas encore arrivés, nous sommes en route: nondum pervenimus, sed iam imus (5). ]] Donc, quoique nous ne soyons pas appelés à faire de grandes austérités, nous ne devons pas négliger certaines pénitences et, en nous rapprochant ainsi des anges, il nous deviendra plus facile de remplir leur ministère de prière.
V. La dévotion au Saint-Esprit
C’est ici le point important, puisque si nous ne nous adressons pas à Dieu, il nous sera impossible de le prier : [[ quid oremus sicut oportet nescimus. Nous ne savons pas ce qu’il importe de demander. ]] C’est le Saint-Esprit qui doit lui-même prier en nous, [[ postulat in nobis gemitibus inenarrabilibus ]], et nous ne songeons pas assez que nous le possédons en réalité par le baptême, la confirmation et l’ordre. Nous sommes ses temples et nous devons adorer ce Dieu qui réside en chacun de nous; qui est tout entier en tous et qui fera davantage sentir sa présence, à mesure que nous l’aimerons davantage et que nous dilaterons notre temple intérieur. [[ Cum igitur ubique est non in omnibus habitat, etiam in quibus habitat non æqualiter habitat: Dieu est partout, mais il n’habite pas chez tous et en ceux même où il habite il n’habite pas d’une égale manière. Tout entier en chacun, quamvis in quibus habitat, habeant eum pro suæ capacitatis diversitate, alii amplius, alii minus, quos sibi dilectissimum templum gratia suæ bonitatis ædificat: bien que ceux où il habite ne le possèdent que selon la diversité de leur pouvoir, les uns plus, les autres moins, eux tous que par la grâce de sa bonté il édifie en son temple très cher (6). ]]
Dieu veut notre coopération. Dans l’ordre de la nature c’est sa Providence qui coopère avec notre liberté; dans l’ordre surnaturel, c’est nous qui sommes appelés à coopérer avec la grâce. [[ Quando enim cum Spiritu Dei operante spiritus hominis cooperatur, tunc quod Deus jussit impletur. Quand avec l’Esprit de Dieu qui opère l’esprit de l’homme coopère, alors ce que Dieu a commandé est accompli (7). ]] L’oraison nous sera donc facile, si nous laissons le Saint-Esprit opérer en nous et si nous lui offrons pour temple un coeur pur. Disons-lui donc avec l’Eglise : Tua nos, quæsumus, Domine, gratia semper et præveniat et sequatur ac bonis operibus jugiter præstet esse intentos (8).
(2) Lettre 118. Migne P. L. 33-431. La copie de l'allocution reproduit ici, en marge, le début du n° 22, col. 442, où saint Augustin insiste sur l'humilité. <>
(3) In ps. 42-8. P. L. 36-482.
(4) De l'utilité du jeûne, ch. I, P. L. 40-708.
(5) id. ch. II.
(6) Lettre 187, 17 et 19, P. L. 33-838-839.
(7) In ps. 77-8. P. L. 36-988.
(8) Oraison du XVIe dimanche après la Pentecôte.