ALLOCUTIONS CAPITULAIRES – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Solliciti servare unitatem spiritus in vinculo pacis (Eph. IV, 3).
Cette instruction, qui s’était d’ailleurs assez habilement presque toute glissée dans l’édition du P. Picard, en 1884, est le commentaire particulièrement qualifié de la première Partie du Directoire.
Le P. d’Alzon insiste, à partir de notre devise, sur les notes plus caractéristiques de notre amour de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge, sa Mère et de l’Eglise, son Epouse, et il dégage, toujours à partir de notre devise, les principales préoccupations apostoliques qui s’imposent à nous, dans les épreuves actuelles de l’Eglise, en plus parfaite harmonie avec le triple amour.

Informations générales
  • ES-0129
  • ALLOCUTIONS CAPITULAIRES
  • INSTRUCTION DE 1868 prononcée à la clôture du Chapitre général des Augustins de l'Assomption
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU
    1 ACTION DE GRACES
    1 ADVENIAT REGNUM TUUM
    1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
    1 AMOUR DE LA SAINTE VIERGE A L'ASSOMPTION
    1 AMOUR DU CHRIST A L'ASSOMPTION
    1 APOSTOLAT
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ASSOCIATIONS OEUVRES
    1 ASSOMPTION
    1 ASSOMPTIONNISTES
    1 ATHEISME
    1 AUTEL
    1 BIEN SUPREME
    1 BLASPHEME
    1 CACHET DE L'ASSOMPTION
    1 CHAPITRE GENERAL DES ASSOMPTIONNISTES
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DEFENSE DES DROITS DE DIEU
    1 DEMOCRATIE CHRETIENNE
    1 DEMOCRATIE SOCIALISTE
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DEVOTION A LA SAINTE VIERGE
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 EDUCATION
    1 EGLISE
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 ENFER ADVERSAIRE
    1 ENNEMIS DE JESUS-CHRIST
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ESPRIT DE FOI A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DESINTERESSE A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT HARDI A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
    1 EUCHARISTIE
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FIDELITE
    1 FOLIE DE LA CROIX
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 FORTUNE
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 HAINE DE SATAN CONTRE JESUS-CHRIST
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 INSTRUCTIONS AUX CHAPITRES
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA FOI
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LACHETE
    1 LUTTE CONTRE SATAN
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 MARTYRS
    1 MAUX PRESENTS
    1 MERE DE DIEU
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 NATURALISME
    1 NOTRE RAISON D'ETRE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OBLATES
    1 ORAISON DOMINICALE
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PAPE GUIDE
    1 PAUVRE
    1 PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
    1 PERFECTIONS DE MARIE
    1 PERSECUTIONS
    1 PREDICATION
    1 PRINCIPES SOCIAUX DE L'EGLISE
    1 PRUDENCE DE LA CHAIR
    1 REGNE
    1 ROI DIVIN
    1 SAINTETE
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SALUT DES AMES
    1 SAUVEUR
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 THEOLOGIE
    1 TITRES DE JESUS-CHRIST
    1 TOLERANCE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 TRIPLE AMOUR
    1 UNION DES COEURS
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 UNIVERSALITE DE L'EGLISE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 VANITE
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VIE DE MARIE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 ATTILA
    2 DIOSCORE
    2 GENSERIC
    2 JACOB
    2 JEAN, SAINT
    2 MICHEL, SAINT
    2 MOISE
    2 NERON
    2 PAUL, SAINT
    2 PHILIPPE LE BEL
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PIERRE, SAINT
    2 VOLUSIEN
    3 BABYLONE
    3 FRANCE
    3 GAULES
    3 HIPPONE
    3 JERUSALEM
    3 ROME
  • le 17 septembre 1868
La lettre

Solliciti servare unitatem spiritus in vinculo pacis (Eph. IV, 3).

J’emprunte avec joie, mes pères et mes Fils, ces paroles à l’Apôtre, parce que j’y trouve le résumé de nos travaux et des réunions si précieuses auxquelles nous mettons fin aujourd’hui; un esprit plus énergiquement uni dans des principes plus nettement posés, le lien de la charité devenu plus fort, plus intime, plus fécond, grâce à ces communications fraternelles où nous nous appliquions à donner à nos intelligences et à nos coeurs la transparence du cristal, parce que nous n’avions rien à nous dissimuler, rien à taire: voilà ce qui fera, et pour longtemps, l’objet de nos actions de grâces envers le Père des lumières, de qui découle tout don parfait et de qui nous avons reçu, pendant ces jours de bénédiction, de si abondantes faveurs.

Je veux, au moment de nous séparer, vous confier, si je puis dire ainsi, le testament de nos communes pensées et de nos communs sentiments, en vous rappelant une fois de plus, une dernière fois peut-être, sur quelle base repose l’oeuvre de l’Assomption, et par quels moyens nous voulons plus que jamais la développer.

Je ne vous apprendrai rien de nouveau sans doute, je ne vous dirai rien que vous n’ayez pensé beaucoup mieux que je ne pourrais l’exprimer. Cependant mes paroles peuvent puiser à cette cérémonie une gravité plus imposante, elles peuvent encore emprunter à notre prochaine séparation un caractère de tristesse à cause du départ, mais aussi un accent de confiance dans les liens qui nous resserrent, car rien plus que l’éloignement n’apprend à des frères combien ils sont capables de s’aimer.

I

Sur quelle base repose l’oeuvre de l’Assomption

Notre vie spirituelle, notre substance religieuse, notre raison d’être comme Augustins de l’Assomption se trouve dans notre devise : Adveniat regnum tuum. L’avènement du règne de Dieu dans nos âmes, par la pratique des vertus chrétiennes et des conseils évangéliques, conformément à notre vocation; l’avènement du règne de Dieu dans le monde par la lutte contre Satan et la conquête des âmes rachetées par Notre-Seigneur et plongées pourtant dans les ténèbres de l’erreur et du péché; quoi de plus simple! quoi de plus vulgaire, si j’ose dire ainsi, que cette forme de l’amour de Dieu ! Si, à cet amour principal, vous ajoutez l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’amour de la Sainte Vierge sa Mère et de l’Eglise son épouse, vous connaîtrez sous son expression la plus abrégée l’esprit de l’Assomption.

Mais qu’y a-t-il donc là de spécial, de caractéristique? Qu’y peut-on voir que tous les vrais chrétiens ne puissent accepter? Quelles pensées, sous ces pensées fondamentales, peuvent-elles donc nous distinguer des autres familles religieuses? Est-ce que religieux et chrétiens ne répètent pas tous les jours avec l’Oraison dominicale ce cri dont nous voulons faire notre cri d’armes: Adveniat regnum tuum? Chrétiens et religieux ne doivent-ils pas tous aimer Notre-Seigneur, la Sainte Vierge, l’Eglise? Encore une fois, pourquoi réclamer comme un bien propre ce qui est le patrimoine de tous?

Il faut tout d’abord reconnaître ce premier cachet de notre Institut : la simplicité des moyens.

On prétend que la chose la plus rare au monde, c’est le sens commun. Serait-ce un paradoxe d’affirmer que dans le monde catholique la chose la plus rare c’est le sens commun catholique? C’est pour cela que nous cherchons à nous l’approprier comme un cachet original. Nous sommes tout simplement catholiques, mais catholiques autant qu’il soit possible de l’être; nous sommes catholiques tout d’une pièce, et, parce qu’il y a, par le temps qui court, beaucoup de demi-catholiques, des catholiques de leur temps, des catholiques par accommodement, des catholiques qui croient l’être, nous qui le sommes franchement, avant tout, complètement, nous passons aux yeux de la foule pour des hommes à part, sinon extraordinaires. Tel est le premier trait de notre caractère comme Augustins de l’Assomption.

Il se manifeste bien plus encore, si nous parlons de notre amour pour Notre- Seigneur Jésus-Christ. Attaqué de toute part, ce divin Maître est la grande folie des habiles de la science moderne; il est le scandale du judaïsme légal, sensualiste, brutal ou raffiné.

Qui donc, aujourd’hui, veut de Jésus-Christ? par qui n’est-il pas réprouvé? [[ C’est cette pierre, disait le prince des apôtres aux habitants de Jérusalem, cinquante jours après la mort du Sauveur, c’est cette pierre, maçons imprudents, que vous avez rejetée, qui a été établie comme pierre de l’angle : Hic est lapis qui reprobatus est a vobis dificantibus, qui factus est in caput anguli. ]] (Act. IV, 11.) Oui, c’est toujours la même pierre terrible, de qui le Sauveur lui-même disait: [[ Celui qui tombera sur elle sera brisé, et celui sur qui elle tombera sera broyé: Et qui ceciderit super lapidem istum confringetur, super quem autem ceciderit, conteret eum. ]] (Matth. XXI, 44.) Eh bien, c’est cette pierre sur laquelle, à l’exemple de Dieu, nous voulons bâtir, parce qu’elle est la base de notre foi, auctorem fidei et consummatorem Jesum. Tout pour nous se renouvelle en Jésus-Christ, omnia in Christo, c’est notre unique prédication, nos autem prædicamus Christum, parce que c’est notre unique science, non enim judicavi me scire aliquid inter vos, nisi Jesum Christum, et hunc crucifixum; par lui, et par lui seul, nous allons au Père, nemo venit ad Patrem nisi per me, et c’est en lui que sont cachés les trésors de la sagesse et de la science divine, in quo sunt thesauri sapientiæ et scientiæ absconditi. En lui réside la plénitude de toute perfection : In ipso enim complacuit omnem plenitudinem inhabitare, Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité, de vérité pour dissiper nos ténèbres, de grâce pour nous affranchir du mal. Nous n’avons pas à écouter un autre maître, il a les paroles de la vie éternelle: Domine, ad quem ibimus?

Oui, nous allons à Jésus-Christ, nous affirmons Jésus-Christ en face de ceux qui le nient, ou le détestent, ou l’abandonnent; la négation de l’incrédule, la haine de l’impie, le délaissement de l’indifférent ou du traître sont pour nous autant de motifs d’entourer Jésus-Christ d’un amour plus ardent, plus actif, plus tendre et plus solennellement manifesté. En lui nous aimons Dieu, et, quoique indignes, nous proclamons sa divinité; nous aimons l’homme, c’est-à-dire le plus parfait des modèles et le plus tendre des amis; nous aimons l’Homme-Dieu, c’est-à-dire le pacificateur du ciel et de la terre, le docteur de la véritable loi, finis legis Christus, l’initiateur au monde surnaturel qui, nous lavant dans son sang, nous transporte par sa puissance et sa miséricorde dans ces sphères supérieures dont aujourd’hui on ne veut plus, parce qu’elles sont le véritable empire d’un souverain dont on ne veut pas davantage à cause même de ses bienfaits. Oui, nous l’aimons parce qu’il nous apporte et la véritable lumière et les véritables biens, nous l’aimons de cet amour des premiers temps, parce qu’il rencontre les mêmes ennemis qu’autrefois, de cet amour qui faisait dire à l’Apôtre : [[ Si quelqu’un n’aime pas Jésus-Christ, qu’il soit anathème: Si quis non amat Dominum Jesum Christum, sit anathema! ]] Cela n’est pas bien tolérant peut-être, mais vous savez que ceux qui aiment beaucoup tolèrent peu, et qu’à proprement parler la vraie nature de l’amour est dans la vigueur d’une noble et franche intolérance. Dans ces jours où, n’ayant plus d’énergie pour aimer ou pour haïr, les hommes ne voient pas que leur tolérance est une nouvelle forme de leur faiblesse, nous nous posons en intolérants, parce que nous puisons notre force dans notre amour pour Jésus-Christ. Autre distinction, fort tranchée, qui nous sépare de bien des gens.

L’amour du Fils nous conduit à l’amour de la Mère. Notre tendresse pour la Très Sainte Vierge n’a pas de limites, pas plus que sa tendresse pour nous. Jésus-Christ est notre modèle de tous le plus parfait, mais Jésus-Christ est Dieu; Marie, pure créature, est, elle aussi un modèle, mais, si j’ose dire, moins décourageant à notre faiblesse à cause de sa moins absolue perfection; modèle à imiter par ses fils d’adoption, qui veulent à sa suite franchir les degrés de la sainteté et de toutes les vertus que la sainteté renferme; modèle à proposer à tous les chrétiens, surtout à ces âmes d’élite que le besoin d’une vie plus parfaite, plus pure, plus immolée tourmente et dont la direction nous est souvent confiée.

La vie de Marie, placée entre la beauté privilégiée de sa conception sans tache et la transformation presque divine de sa triomphante assomption, nous montre jusqu’où une créature peut s’élever par l’humiliation, le sacrifice, la souffrance, les délaissements, les tortures du coeur les plus vives. Cette vie nous enseigne de quelles rigueurs impitoyables Dieu se sert envers les âmes de choix; ce sont et la perfection et la délicatesse et les épreuves de l’ordre surnaturel mis à notre portée d’abord; c’est encore l’enseignement que nous sommes chargés de révéler à tous ceux qui veulent voir résumées dans une seule âme toutes les complaisances d’un Dieu envers la créature qu’il a le plus aimée.

L’incomparable innocence de Marie et ses non moins incomparables douleurs nous donnent, dans leur apparente contradiction, le mot d’un mystère auquel le monde ne peut rien comprendre, le bonheur de prouver l’amour par la souffrance et la puissance du sacrifice quand l’amour en est le principe. De plus, Marie, mère de Jésus, ne pourra-t-elle pas nous être un modèle au mystère de l’Incarnation? Oui, là encore elle le sera pour nous par l’ardeur qu’elle nous inspirera et le désir d’enfanter des âmes à Jésus-Christ et d’enfanter Jésus- Christ dans les âmes: Filioli quos iterum parturio, donec Christus formetur in vobis. C’est le cri de ces angoisses apostoliques qui, pour nous comme pour Marie, commencent à la crèche et ne se terminent qu’à la croix. Or, la piété entendue ainsi est peut-être assez loin de cette dévotion molle sous prétexte d’être tendre, sans énergie, sons journalières ne savent plus montrer la croix qu’entourée de fleurs et de parfums et le Calvaire que noyé dans d’indécises vapeurs.

Que dirai-je de notre amour pour l’Eglise? L’Eglise est quelque chose de si admirable que les expressions semblent toutes informes sous la plume des écrivains sacrés pour peindre ses grandeurs, ses richesses, sa puissance, sa beauté, sa gloire. Ecoutez-les vous dire que l’Eglise est le tabernacle de Dieu avec les hommes, la colonne et la base inébranlable de l’éternelle vérité; qu’elle est le corps mystique et la dernière perfection de Jésus- Christ; qu’elle est encore son épouse sans tache et entièrement belle. Pour elle, le Fils de Dieu est venu sur la terre et s’est uni à l’humanité; c’est elle dont il veut dilater les tentes, c’est sa cité de prédilection, c’est l’armée par laquelle il terrassera ses ennemis. De tous ces titres de l’Eglise, celui qui nous touche le plus, c’est celui d’Epouse. Elle est l’objet des prédilections très jalouses de son Epoux divin; nous aimons l’Eglise parce que Jésus-Christ l’a aimée. Or, notre amour a un triple caractère : il est surnaturel, hardi, désintéressé.

Il est surnaturel. C’est l’ordre surnaturel qui nous ravit d’admiration pour l’Eglise. Tout a été fait pour les élus qui ne subsistent que dans l’Eglise; si jamais la lutte entre le bien et le mal, la vérité et l’erreur, Jérusalem et Babylone, le ciel et l’enfer, l’Eglise et la Révolution a été manifeste, c’est bien, certes, aujourd’hui. Ecoutez l’homme répéter après Satan: [[ Je n’obéirai pas, je monterai dans les cieux et je serai comme le Très-Haut : Non serviam, in coelum conscendam, et similis ero Altissimo. ]] L’homme va jusqu’à nier Dieu, parce que Dieu le gêne en lui imposant le joug de la conscience, du devoir, de la vertu. Ce joug, pour le briser, l’homme n’a pas d’autre ressource que de dire : Dieu n’est pas; et nous, en face de pareils blasphèmes, comme le chef des armées célestes, nous devons sans cesse répéter: [[ Qui est comme Dieu? Quis ut Deus? ]] Satan, pour renverser l’Eglise, s’essaye à renverser tout l’ordre social, et les cinquante ou soixante trônes qui depuis un siècle se sont écroulés sous ses coups sont l’expérience de ses derniers efforts pour renverser le trône du Vicaire de Jésus-Christ sur la terre, dans son impuissance de renverser le trône de Jésus-Christ lui-même dans le ciel. Nolumus hunc regnare super nos! s’écrient les cohortes infernales, et, à leur suite, la tourbe des incrédules, des impies, des hommes de tous les désordres et de toutes les immoralités, tous esclaves de cette courtisane que l’Apôtre vit assise sur la bête pleine de blasphèmes; elle était couverte de pourpre, sa main tenait une coupe remplie d’abominations et des immondices de sa fornication, et sur son front était écrit ce nom : Mystère! Babylone la grande, la mère de toutes les abominations de la terre.

Pouvez-vous voir une peinture plus prophétique, plus exacte de la Révolution? Telle est la grande ennemie de Dieu et de son Eglise. Notre amour pour l’Eglise trouvera sa mesure dans notre zèle à combattre la Révolution. Or, l’Eglise, nous l’aimons, parce qu’elle renferme tous les trésors de l’ordre surnaturel qui lui ont été confiés par son divin Epoux et que la Révolution déteste. En elle nous trouvons la prédication de la vérité, la loi parfaite, le germe de toutes les vertus ; en elle, nous trouvons le véritable royaume de Dieu ici-bas, l’assemblée des saints et des disciples de Jésus-Christ; en elle, nous contemplons la stabilité au milieu des sociétés qui s’écroulent; par elle, nous avons la divine espérance d’un bonheur inaccessible à l’homme isolé; par elle, nous sentons la force de nous élancer de l’exil de la terre vers le ciel, notre éternelle et glorieuse patrie. Mais tout cela est au-dessus de la nature, tout cela est de l’ordre divin, auquel Jésus-Christ par son Eglise seule nous initie, et c’est pour cela que notre amour pour l’Eglise est avant tout surnaturel.

De plus, il est hardi. Quand les périls sont si pressants, quand les gouffres se creusent si profonds sous nos pieds, quand les espérances de l’enfer se manifestent par des cris funestes comme ceux dont nous entendons tous les jours éclater la joie sauvage, suivre les prudentes théories de la chair, c’est-à-dire des intérêts humains et des combinaisons politiques, c’est plus que de la lâcheté, c’est de la trahison, c’est du sacrilège. On nous accuse de trop nous compromettre, et c’est là notre gloire. O hommes prudents, je soupçonne que vous trouviez Jésus-Christ bien téméraire quand il compromettait l’oeuvre de son Eglise en mourant sur la croix; les martyrs étaient eux aussi des fous, et les apôtres des insensés, quand, avec un grand courage, ils rendaient, sous les persécutions des Juifs et des païens, témoignage de la résurrection du Sauveur. Pour nous, dans notre démence, nous sommes jaloux de la hardiesse des martyrs, de la témérité des apôtres et c’est avec cette hardiesse que nous prétendons aimer l’Eglise, la servir de tous nos efforts, nous inquiétant peu des jugements si contradictoires des hommes, et nous souvenant surtout que le monde a été sauvé par la folie de la prédication et la hardiesse imprudente des prédicateurs.

Tel était l’amour du prince des apôtres et du grand docteur des nations. Inutile de dire que cet amour hardi est bien rare de nos jours, mais aussi il nous imprime un caractère original, il est une nouvelle raison pour nous d’être ce que nous voulons être.

Enfin, notre amour est désinteressé, je n’ose pas dire chevaleresque, comme celui de toutes les grandes institutions religieuses dans leurs commencements. Il est triste de voir combien l’homme se hâte de s’approprier le peu de bien qu’il est capable de faire, combien il aspire à être seul à le faire et à empêcher les autres de le réaliser quand lui-même il ne peut pas faire tout. Oh! mes frères, que ce ne soit jamais là notre tentation! Aimons assez l’Eglise pour nous réjouir de tout le bien accompli par ses enfants et pour son triomphe; n’excluons aucune forme de la sainteté ni de la charité; nous ne pouvons les prendre toutes pour nous; aimons, admirons, encourageons chez les autres ce dont nous-mêmes nous sommes incapables. Que le bien général soit notre unique préoccupation; comme Moïse, disons : Utinam et omnes prophetent! Plût à Dieu que tous pussent prophétiser! Les victoires de l’Eglise seraient plus nombreuses et notre amour pour elle plus consolé si, laissant de mesquines et personnelles considérations, le triomphe de l’Eglise était le désir exclusif de notre coeur. C’est ce désintéressement dans l’amour que je ne saurais trop vous recommander. Si vous me dites qu’il est peu commun, je répéterai une fois de plus qu’en le possédant dans toute son ampleur et sa générosité, nous serons bien plus aisément distingués et faciles à reconnaître dans la voie où nous voulons marcher.

Aimons l’Eglise surnaturellement, hardiment, généreusement, et vous verrez quelles bénédictions ici-bas, quelles récompenses au ciel Dieu ménagera à nos travaux, et si l’on ne nous trouve pas habiles, comme certaines gens, nous n’aurons pas à rougir du motif.

II

Par quels moyens développer plus que jamais l’OEuvre de l’Assomption

Me permettez-vous maintenant de vous indiquer en très peu de mots les conclusions pratiques à tirer pour nous des idées fondamentales que je viens d’exposer?

De notre devise Adveniat regnum tuum, il découle évidemment que nous sommes un Institut apostolique. Le zèle pour les droits de Dieu sur la terre et le salut des âmes, voilà la forme essentielle de notre charité; l’oubli de nous-mêmes, l’abnégation nous sont avant tout imposés; nous faisons bon marché de tout ce qui nous concerne, pourvu que Jésus-Christ soit annoncé : dummodo Christus annuntietur. Nous cherchons à ne pas tenir compte de toutes ces causes de dissensions intestines parmi les enfants de Dieu, qui, sous prétexte de droit, de dignité chrétienne, détournent les plus utiles efforts de la guerre contre l’ennemi commun pour s’occuper de luttes entre frères. Quand les chrétiens et leurs chefs ne nous voudront plus dans un pays, nous irons dans un autre, c’est le précepte de Notre-Seigneur, qui, bien appliqué, nous laissera toujours la liberté nécessaire à des ouvriers apostoliques.

Ignoti nulla cupido. Jésus-Christ, pour être aimé, veut être connu. Nous l’étudierons surtout dans les livres inspirés. Jésus-Christ sera pour nous le trésor recherché sous les voiles des saintes Lettres. Nous nous appliquerons à le connaître comme Dieu, comme homme et comme auteur des dons surnaturels qui nous réconcilient avec le Père. Saint Augustin, notre patriarche, sera notre guide principal. Son traité de la Trinité et ses livres admirables, qui l’ont fait appeler par l’Eglise entière le docteur de la grâce, sont les grands jalons de nos études sur ces importantes questions. Nous y joignons la lettre à Volusien, où il traite de l’Incarnation, et, comme introduction à la vraie philosophie, les traités Contre les académiciens, Sur le libre arbitre et la lettre à Dioscore.

Jésus-Christ, connu par nous, est la science que nous cherchons à communiquer avant tout, d’abord par la prédication: Nos autem praedicamus Christum crucifixum, et c’est le caractère distinctif qui nous sépare de cette prédication affadie, humaine, naturaliste, où l’on n’ose presque plus prêcher Jésus-Christ, ni surtout parler de sa croix; ensuite, par l’éducation et l’enseignement. Si l’on nous demande ce qu’est pour nous l’éducation, nous répondons : L’éducation est la formation de Jésus-Christ dans les âmes comme l’enseignement est l’illumination des âmes par la splendeur de Jésus-Christ. Nous n’avons point d’autre pensée mère dans les écoles que nous formons, et si jamais il nous est donné d’avoir une Université catholique, sur son frontispice nous écrirons : Ut cognoscant te solum Deum verum et quem misisti Jesum Christum.

L’amour de Jésus et de Marie sa mère forme pour nous toute la science de la vie mystique. Les perfections de Jésus-Christ manifestées dans le Nouveau Testament, les vertus de Marie se révélant à l’âme intérieure malgré les voiles de l’humilité, forment comme le double livre où nous méditons sur la sainteté à laquelle nous sommes appelés.

L’amour de la Très Sainte Vierge nous inspire un autre amour qui se perpétue dans le monde par le culte de la Mère de Dieu, je parle de l’amour de la pureté et de la chasteté. Il a été dès le commencement un des traits saillants des hommes apostoliques et les historiens ecclésiastiques nous apprennent que la cause immédiate du martyre de saint Pierre et de saint Paul fut l’effort perpétuel des deux apôtres pour former des vierges dans Rome païenne et jusque dans le palais de Néron.

Nous voulons aider Marie, notre Reine, à amener beaucoup de vierges au Roi immortel des siècles : Adducentur Regi virgines post eam, et le sentiment des beautés que renferme une âme chaste et pure contribue à nous élever nous-mêmes plus haut, comme sur les ailes des anges, vers le trône de l’Agneau sans tache. Et si l’on nous reproche de trop favoriser les vocations religieuses, nous répondrons que notre seul regret est de ne pas les favoriser assez.

Enfin, l’amour de l’Eglise nous offre, dans les temps présents, un horizon tout nouveau. Jetez les yeux autour de vous: ne remarquez-vous pas que les abîmes deviennent plus profonds, que les ruines s’amoncellent, que les catastrophes se préparent? Au milieu de tous ces bouleversements, l’Eglise, stable sur son rocher, voit le vieux monde s’engloutir, comme des rives d’Hippone saint Augustin contemplait la Rome des Césars submergée par les flots pressés des barbares.

Le livre de la Cité de Dieu est pour nous comme une seconde révélation, et plus nous l’étudions, plus par analogie nous pouvons y trouver le secret de l’avenir. Que de tristesses, que de découragements ne sortaient pas de ces immenses décombres faites par l’épée et la torche d’un Attila, d’un Genséric? Pourtant c’était Dieu balayant une société pourrie pour en préparer une nouvelle. Les évêques des Gaules surtout ne s’y méprirent point; ayons l’intelligence de nos Pères. Eux saluaient et transformaient la barbarie féodale; pour nous, saluons et transformons la barbarie démocratique. Il y avait sans doute chez nos vieux pontifes gallo-romains quelques regrets de grandeurs évanouies; ils n’en formèrent pas moins la France, ainsi que les abeilles une ruche. Faisons de même: sans regrets trop inutiles du passé, sans espérances trop décevantes dans l’avenir, poursuivons notre oeuvre telle que Dieu nous la propose. Peut-être sera-t-elle plus grande avec les peuples redevenus chrétiens qu’avec les barbares arrachés à toute la grossièreté du monde sauvage.

Ici, deux questions se présentent: Qui sera notre guide? Quels seront nos travaux?

Qui sera notre guide? Le Pape. On peut dire que la politique, depuis Philippe le Bel, a été une immense conspiration contre la papauté. Les rois n’ont plus voulu du Pape; nous voyons comment aujourd’hui les peuples ne veulent plus des rois. Où irons-nous avec cette haine antimonarchique? Qu’importe? Un pouvoir est nécessaire, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit confié à une tête couronnée. Dieu considéra comme une insulte la demande des enfants de Jacob qui désiraient un roi. N’insistons pas. Mais pourquoi le nier? Si un fait est manifeste, c’est que le flot démocratique monte tous les jours, il est gros de révolutions; qui sait où est le grain de sable contre lequel l’écume de ses tempêtes viendra se briser? Pour moi, je vois l’Eglise, ce qu’elle a fait autrefois, et j’attends.

Ni tristesse excessive ni excessif espoir; confiance en Jésus-Christ, en Marie, dans l’Eglise; travail persévérant, qu’importe le reste? Je me trompe; qui peut dire que nos efforts ne seront pas heureux, pourvu qu’ils soient intelligents; et par là je commence à répondre à la seconde question que je posais tout à l’heure: Quels seront nos travaux?

En dehors de ceux que j’ai indiqués déjà, toutes les oeuvres par lesquelles le peuple peut être relevé, instruit, moralisé, par lesquelles la démocratie peut être rendue chrétienne, sont nos oeuvres; et voyez dès lors quel champ immense s’offre à nous par la visite des malades, l’évangélisation des pauvres, la direction des orphelinats, la propagation des bons livres et les autres oeuvres impossibles à énumérer parce qu’il en naît tous les jours; à une condition toutefois, c’est que, pour nous, l’aumône matérielle sera le moyen d’offrir l’aumône spirituelle. Nous soulageons les corps pour avoir le droit de pénétrer jusqu’aux âmes. Quelques pièces de monnaie présentées à la main indigente sont le prélude des trésors de la foi versés dans les âmes affamées de vérité et n’en sentant plus le besoin à force de privations.

Par ces oeuvres des pauvres, nous remontons jusqu’aux riches, et l’expérience nous prouve qu’on les atteint bien plus aisément et d’une manière bien plus digne de nous et de Notre-Seigneur quand on leur donne rendez-vous sur le terrain de la charité.

L’amour de l’Eglise suscite un autre amour dans les coeurs. Ce n’est pas à Jérusalem seulement que les apôtres devaient porter le témoignage de Jésus- Christ, c’était jusqu’aux extrémités du monde : usque ad ultimum terrae. Oui, les missions étrangères sont notre ambition. Par quelle disposition providentielle se fait-il que, si peu nombreux, nous ayons déjà tant de missionnaires? Voyez en même temps quels auxiliaires nous avons appelés. Autrefois, on cachait les vierges consacrées au Seigneur derrière les clôtures les plus sévères. Aujourd’hui on leur dit: [[Mes filles, vous irez au-delà des mers.]]

Quel changement produit et par une miséricorde de la part de Dieu et par un grand dévouement de la part de ses épouses qui veulent comme nous dans un immense et apostolique amour pour l’Eglise! Leur cachet, sous ce rapport, creuse en quelque sorte davantage notre propre cachet.

Certes tout ceci est très grave, et les questions que je viens d’effleurer et qui se mêlent à ce que notre vocation a de caractéristique nous troubleraient, si nous ne voyions le Chef de l’Eglise convoquer les évêques des quatre vents de la terre et les inviter à traiter de la manière la plus solennelle ces mêmes problèmes qui préoccupent l’humanité entière et dont l’Eglise seule peut donner le dernier mot.

Attendons ces solutions capitales, mais en nous pénétrant de tout ce que les pontifes romains ont toujours enseigné, ne craignons pas de prévoir en quel sens seront tranchées les questions les plus difficiles. Des froissements pourront se manifester, ne nous en préoccupons pas trop; efforçons-nous d’en adoucir la douleur par une charité patiente; laissons à tous la liberté quand l’Eglise l’accorde, mais sachons défendre la doctrine qu’elle affirme, les vérités qu’elle définit, les lois qu’elle promulgue, les condamnations qu’elle prononce. Ses actes ont toujours été pour la vie et le bonheur des peuples; notre gloire doit consister à servir selon notre faiblesse à la consommation de l’oeuvre qu’elle se propose, sans nous inquiéter des obstacles à surmonter, ni des ennemis à vaincre, ni des conséquences que notre dévouement à sa cause nous exposerait à subir; par là peut être accentuerons-nous un peu plus la place que nous voulons prendre.

Maintenant, mes Pères et mes Frères, notre oeuvre est terminée; bénissons Dieu de nous avoir inspiré ces vues unanimes, ces résolutions énergiques que nous promettons tous de développer et de maintenir avec ferveur et intelligence. Ayons toujours les uns pour les autres cette affection de vrais religieux, basée sur le respect et le besoin de nous tenir fortement serrés; ne formons qu’un seul corps dans la sincérité de nos âmes et la franchise loyale de nos relations; que notre lien indissoluble soit Jésus-Christ.

L’Apôtre disait : Unum corpus multi sumus omnes qui de uno pane participamus. Que l’autel soit notre centre, parce que nous y trouvons Jésus-Christ; qu’il soit aussi pour nous le trône de notre Roi. On remarque que la Victime par excellence reçoit depuis quelque temps de plus universels hommages dans le sacrement de son amour. Il convient qu’il en soit ainsi. Quand le trône du représentant du roi semble ébranlé, n’est-il pas bon que le trône du Souverain lui-même apparaisse plus resplendissant de nos adorations? Et ce n’est pas pour nous un médiocre honneur d’avoir contribué selon notre faiblesse à l’extension de ce culte réparateur. Là, en effet, nous retrouvons encore Jésus-Christ, notre amour, se donnant à nous et nous apprenant à nous donner à lui et au service de son Eglise pour lui. Poursuivons donc notre but avec joie et confiance et méritons ainsi, après avoir travaillé à accroître le royaume de Dieu sur la terre, d’en jouir au ciel pendant l’éternité. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum