ALLOCUTIONS CAPITULAIRES – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0174
  • ALLOCUTIONS CAPITULAIRES
  • INSTRUCTION prononcé à la clôture du Chapitre général des Augustins de l'Assomption
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE GRACES
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 ALUMNATS
    1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
    1 AMOUR DE LA VERITE A L'ASSOMPTION
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOTRES
    1 ARISTOCRATIE DE L'ASSOMPTION
    1 ARMEE
    1 ASSOMPTION
    1 AUMONIER
    1 BIEN SUPREME
    1 BON EXEMPLE
    1 BOURGEOISIE
    1 BUT DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CERCLES MILITAIRES
    1 CERCLES OUVRIERS
    1 CHAPITRE GENERAL DES ASSOMPTIONNISTES
    1 CHATIMENT
    1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 COLONIES AGRICOLES
    1 COMBATS DE L'EGLISE
    1 COMMUNE
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCORDATS
    1 CONGRES DE L'ENSEIGNEMENT LIBRE
    1 CORPORATIONS
    1 DECADENCE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 DROITS DE DIEU
    1 ECOLES
    1 ECOLES ASSOMPTIONNISTES D'ORIENT
    1 EGLISE
    1 EMBARRAS FINANCIERS
    1 EMPIRE DE SATAN
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENNEMIS DIVERS
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ESPRIT DE FOI A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DESINTERESSE A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT ETROIT
    1 ESPRIT GENEREUX A L'ASSOMPTION
    1 EVANGELISATION DES PAUVRES
    1 FOI
    1 FORMATION A LA VIE RELIGIEUSE
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 GUERRE
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 INSTRUCTIONS AUX CHAPITRES
    1 INTEMPERIES
    1 JEUNES RELIGIEUX
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LOCOMOTIVES
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 MERE DE DIEU
    1 MIRACLES DE LA SAINTE VIERGE
    1 MISSION D'AUSTRALIE
    1 MISSION DE BULGARIE
    1 MISSION DE RUSSIE
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 MOINES
    1 MONDE ADVERSAIRE
    1 MOUVEMENT DEMOCRATIQUE
    1 NOTRE-DAME DE SALUT
    1 OBLATES
    1 OEUVRES SOCIALES
    1 ORGANISATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 ORPHELINATS
    1 OUVRIER
    1 PAPE
    1 PAPE DOCTEUR
    1 PECHE
    1 PELERINAGES DE NOTRE-DAME DE SALUT
    1 PLANS D'ACTION
    1 PRESOMPTION ENVERS DIEU
    1 PRIERES PUBLIQUES
    1 PRINCIPES SOCIAUX DE L'EGLISE
    1 PROVIDENCE
    1 PRUDENCE DE LA CHAIR
    1 PUBLICATIONS
    1 PURIFICATION
    1 QUESTION ROMAINE
    1 RELIGIEUX ANCIENS
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 SAINTETE
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SCHISME ORIENTAL
    1 SEVERITE
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 SURVEILLANCE PAR LE SUPERIEUR
    1 TEMOIN
    1 TRANSFORMATION SOCIALE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VERTUS THEOLOGALES
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ELIE, PROPHETE
    2 NAPOLEON Ier
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 VOLTAIRE
    3 ARRAS
    3 AUSTRALIE
    3 BULGARIE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 GRENOBLE
    3 LOURDES
    3 LYON
    3 MARSEILLE
    3 MAYENCE
    3 METZ
    3 PARIS
    3 PRUSSE
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 SALETTE, LA
    3 SEDAN
    3 SINAI
    3 VERSAILLES
  • le 18 septembre 1873
La lettre

Mes très chers Frères,

Encore une de ces précieuses réunions, où votre vie religieuse s’accroît, où votre zèle s’enflamme, où vous vous pénétrez davantage des principes qui forment notre raison d’être, où votre but vous apparaît plus nettement, où les moyens de l’atteindre se précisent, et où moi-même, fortifié par votre concours, vos lumières et votre admirable unité de vues et d’affections, j’ai béni Dieu d’être le père d’une famille peu nombreuse, sans doute, mais où les épurations laissent un choix plus exquis de membres capables d’un plus grand bien.

Et maintenant que nous allons nous séparer pour reprendre nos oeuvres diverses, nos travaux multiples, permettez-moi d’ajouter de brefs développements aux paroles que je vous adressais il y a cinq ans déjà. Alors je vous entretenais de l’esprit de l’Assomption. Je voudrais vous dire aujourd’hui quelques mots de l’action que cet esprit doit produire, et dont nous pouvons voir comme un prélude dans ce qui s’est accompli pendant l’intervalle écoulé.

I

Un regard sur le passé

A

L’Eglise et l’Assomption depuis I868

A l’époque du dernier Chapitre, nous étions surtout préoccupés du mouvement démocratique qui s’accomplissait et semblait dominer tout le reste. En même temps, le Souverain Pontife convoquait les évêques du monde catholique à un Concile universel, tant la situation lui apparaissait grave, les maux de l’Eglise profonds, les conspirations de l’enfer habilement ourdies par les ennemis déclarés et aussi par les faux frères; tant il lui paraissait urgent d’opposer la plénitude de la vérité à cet absolutisme de négations par lesquelles la Révolution, sous toutes ses formes, prétend écraser les diverses affirmations de notre foi. Déjà,sous la préoccupation de l’invasion démocratique, vous aviez jugé utile d’offrir votre concours à une oeuvre essentiellement populaire, à cet orphelinat d’Arras dont le directeur, en s’unissant à nous, nous apportait le trésor de son expérience, de ses travaux et de son initiative, et nous montrait comment, avec une affection paternelle, on polit les natures les plus grossières, on assouplit les caractères les plus rudes, on sanctifie les âmes les plus rebelles. Ce n’était qu’un jalon, mais un jalon posé pour indiquer une voie immense à parcourir, la voie royale de l’amour des petits, des pauvres, de tous les abandonnés.

Cependant les évêques se rendaient à Rome; j’avais l’honneur d’y suivre le mien. J’y allais aussi comme croyaient devoir y aller les chefs de jeunes Congrégations, afin d’étudier ce que le Concile déciderait par rapport à leur existence. Les événements ne permirent pas d’aborder les questions relatives aux familles religieuses; mais déjà il était facile de voir que la sagesse romaine ne voulait point, quoi qu’on eût dit, porter atteinte à des droits acquis. Elle protégeait bien plutôt un mouvement semblable à celui qui modifie et améliore, au temps des grandes guerres, la tactique et les instruments de destruction, la discipline des armées, et fait une science progressive de l’art de s’entre-tuer. Seulement, le mouvement analogue pour l’Eglise était le résultat de l’expérience de ses luttes avec des ennemis sans cesse plus opiniâtres, plus furieux et plus habiles. Si les cohortes de la puissance des ténèbres étaient plus nombreuses et mieux préparées, l’Eglise voulait avoir des bataillons plus fermes, plus intelligents, plus énergiques. Dès lors, de nouvelles recrues organisées ne pouvaient qu’être d’un grand secours à ses vieilles légions monastiques.

Je fus bien vite rassuré, et mes préoccupations se portèrent uniquement sur la grande question pontificale. Quelle source d’émotions et d’angoisses, que de subtilités plus ou moins théologiques! Quels stratagèmes de diplomatie, quelles menaces employées, quelles épouvantes jetées au coeur des pusillanimes! Si, comme Pie IX l’avait dit, un Concile traverse trois phases : l’époque de l’homme, l’époque de Satan et l’époque de Dieu, croyez que plus d’un trembla en voyant l’homme et Satan prêts en apparence à dominer, et Dieu ne pas apparaître encore, au gré du moins de notre impatience. Nous ne savons pas assez sous quel poids divin le Saint-Esprit courbe la conscience d’un véritable évêque, alors même que ses sentiments naturels l’entraîneraient vers des pentes terrestres et des décisions trop humaines. Enfin, votre Père eut la joie immense d’assister à cette séance solennelle où furent proclamées et commentées, dans toute leur fécondité, les paroles du Sauveur : [[ Tu es Pierre. J’ai prié pour toi. Pais mes brebis. ]] Il vit aussi, au même instant, la tempête obscurcir le dôme et les voûtes de Saint-Pierre; il entendit les tonnerres que quelques-uns comparaient à ceux du Sinaï : c’était les signes avant-coureurs de maux faciles à prévoir et que Dieu a permis, après les grands Conciles, comme pour en fortifier les décrets par l’épreuve de la tentation. Toute alliance avait autrefois ses sacrifices; et comme un Concile général, qui est une alliance nouvelle dans la vérité entre l’esprit de l’homme et l’esprit de Dieu, a toujours réclamé ses victimes, le Concile du Vatican, deux mois après, avait ses mystérieuses immolations, et l’Assomption est glorieuse d’y avoir mis le sang d’un de ses meilleurs fils.

Ne l’oublions pas toutefois. Rome était captive parce que la France était vaincue. L’Assomption avait trouvé bon de prouver son esprit de combat, en fournissant à cette guerre néfaste des aumôniers militaires autant et plus peut-être qu’elle en était capable. Sedan, Metz, Mayence, Paris vous virent vous dévouer sur les champs de bataille, dans les douleurs de la captivité, dans les horreurs des sièges, exposés aux coups des ennemis de la France, hélas! et aux balles de ses enfants. Vous sûtes prouver que vous aviez le courage religieux. Cependant, sous les boulets des Prussiens et ceux de l’armée de Versailles, des catholiques attentifs se demandèrent si les conspirations révolutionnaires ne pouvaient pas être combattues, déjouées par une Ligue Catholique.

B

Esquisse des travaux accomplis par l’Assomption depuis 1870

Cette pensée, dont le germe fut en quelque sorte arrosé par les hécatombes de la Commune, s’accrut avec une étonnante rapidité, et le Comité catholique de Paris vit des Comités semblables se former sur tous les points de la France. La sève chrétienne circule de nouveau avec je ne sais quelle activité, signe certain de la puissante vitalité de l’arbre et des dispositions miséricordieuses de la Providence au milieu même de nos plus douloureuses humiliations.

Une partie du mal qui nous gangrène vient sans nul doute de l’éducation. Nous essayâmes, dans la Revue de l’Enseignement chrétien en jetant ce cri : Delenda Carthago, de faire comprendre l’urgence d’un prompt remède; et, malgré quelques hésitations d’une prudence peut-être trop humaine, nous pûmes réunir le Congrès de l’enseignement. Si une seconde réunion n’a pas encore eu lieu, c’est que nous voulons, quand elle se tiendra, poser d’une manière plus certaine les bases et les premiers développements de notre future liberté; et c’est ce que nous n’aurions pu, au même degré et avec un intérêt légitimement dû à une si grande question, au milieu de certaines préoccupations politiques du moment.

En même temps que nous essayions, selon notre exiguïté, de lutter par la plume, nous donnions aussi notre attention à toutes les oeuvres catholiques : Cercles d’ouvriers, patronages, oeuvres de jeunesse nous ont préoccupés. Avons-nous fait tout ce que nous pouvions? Non, évidemment. Les ouvriers nous manquaient, mais plusieurs d’entre vous allaient former leur expérience ou porter le résultat de leurs travaux dans ces réunions admirables où les membres du Congrès des Associations ouvrières montaient, en trois bonds, de soixante à trois cents et de trois cents à mille.

Il fallait des ressources pour encourager quelques oeuvres ouvrières naissantes; il fallait des prières pour apaiser la colère de Dieu. L’expiation par la prière, l’expiation par l’intelligence dans l’aumône, telle a été la double pensée réunie en une seule: l’expiation, qui a présidé à l’oeuvre de Notre-Dame de Salut. Par elle, les prières publiques, si nécessaires à la France, ont été organisées; par elle, une foule d’oeuvres languissantes, faute de ressources, ont été encouragées; par elle, les pèlerinages, dont la pensée avait grandi auprès de son berceau, ont reçu cette admirable impulsion qui touchera le coeur de Dieu, ont forcé la Mère du Sauveur à renouveler ses miracles, et ont rendu très populaires des actes publics de foi qui, disait-on, n’étaient plus dans nos moeurs. Voilà, mes Frères, une rapide esquisse de ce que vous avez fait, des travaux auxquels, depuis cinq ans, vous avez pris une part plus ou moins directe; vous n’y avez certes pas tout fait, mais votre concours, dans sa faiblesse, a révélé du moins vos intentions, fixé votre ligne, caractérisé votre esprit.

II

Un plan d’action

Mais que sont ces premiers essais auprès de ce que vous avez à faire? Grandis tibi restat via, vous dirai-je comme l’ange à Elie. Quels immenses horizons ne s’ouvrent pas devant vous! Essayons d’en indiquer quelques aperçus, comme les premiers plans. Nous aurons tout résumé en un mot, quand nous aurons dit que notre but est la restauration des moeurs catholiques par la foi aux principes chrétiens.

A. — Action extérieure

La restauration des moeurs chrétiennes

Les moeurs chrétiennes! Elles tendaient à disparaître; Voltaire et ses sarcasmes, la presse et ses obscénités, l’orgueil de la science, l’impatience du joug de Dieu et de toute espèce de joug, le besoin de ne rien croire pour affirmer le droit de tout faire: tel est le fond sur lequel les nouvelles couches sociales ont prétendu s’établir. Se moquer de tout, se révolter contre tout, prétendre à tout: à l’or, au plaisir, au pouvoir; à travers le vol, l’orgie et les révolutions, procéder par la haine, le mensonge et la violence, n’est-ce pas le résumé des droits nouveaux? Il faut, ou périr, ou sortir de cet abîme, vers lequel l’Europe semble se précipiter.

Que faut-il pour cela? -Purifier l’air, empesté par les miasmes de l’immoralité. Nous en avons donné la mission à la vapeur des locomotives, qui ont emporté vers une foule de sanctuaires des caravanes de pèlerins; nous avons sanctifié ces instruments d’une industrie si souvent coupable, nous les avons fait servir à porter partout à travers la France notre repentir et nos expiations. Les pèlerinages qui, sans s’arrêter, diminueront évidemment, quand d’autres manifestations seront plus opportunes, ne sont après tout que d’immenses processions, plus prolongées et plus efficaces parce qu’elles sont plus pénibles. L’Eglise, par les pieux voyages de ses fils, reprend possession du sol public et du grand air; nous nous affirmons en plein jour. Des chrétiens qui s’affirment sont bien près d’être des chrétiens triomphants. Car, remarquez-le, les malheurs de la France semblent avoir donné aux catholiques le privilège de n’avoir besoin pour vaincre que de se montrer. Or, nous nous sommes montrés à Paris, à Lyon, à Lourdes, à La Salette, à Marseille et en tant d’autres lieux trop longs à énumérer. Nous nous sommes montrés à Grenoble, pour recevoir des insultes; mais les insultes et les contradictions ont aussi leur valeur pour des chrétiens, ne l’oublions jamais.

Seulement, après avoir affirmé notre foi par ces courses purificatrices, après avoir proclamé notre droit de pouvoir sortir de la sacristie, ne conviendra-t-il pas de rentrer bientôt dans le sanctuaire pour offrir de plus nombreuses adorations au Dieu qui l’habite et le vivifie? Le culte de Jésus-Christ au Saint Sacrement, les adorations nocturnes,les fréquentes communions, ne sont-ce pas des pratiques auxquelles il faut revenir, parce qu’elles ramènent les âmes affaiblies, épuisées, au centre même de l’Eglise, au principe divin de sa vie sur la terre?

J’ai dit un mot des orphelinats et des colonies agricoles. Oh! pourquoi les ouvriers nous font-ils défaut? Que de pauvres petites âmes à saisir dans les classes semblables à celles où Jésus-Christ a voulu naître. Plaise à Dieu d’envoyer beaucoup d’ouvriers dans cette portion de sa vigne; quand elle sera suffisamment cultivée, les révolutions seront devenues impossibles.

Un autre moyen de faire disparaître les ruines de l’enfer, ce sont les réunions populaires. Je vous disais tout à l’heure un mot des cercles d’ouvriers, je veux faire mes réserves. En effet, réunir périodiquement des hommes du peuple sans une direction forte, c’est une grave imprudence aux yeux de ceux qui ne veulent pas faire de ces assemblées un instrument d’ambition; bientôt, ou les chefs perdent leur popularité, ou ils ne la conservent que par des moyens qui, tôt ou tard, leur donnent des remords. Après tout, l’expérience le montre, on se groupe aux époques de perturbation sociale; plus tard on se dissout, quand on n’a plus besoin soit de se protéger par l’union, soit de servir quelque parti politique; mais c’est à ce moment de décomposition des cercles (et je ne le crois pas éloigné) que nous aurons plusieurs oeuvres à fonder.

L’organisation nouvelle de l’armée crée au clergé de nouvelles obligations; toutes les jeunes générations doivent passer par la caserne; que de mal ou que de bien n’en doit pas sortir, si nous sommes fidèles à notre vocation! Ceux d’entre vous qui ont confessé huit à dix mille prisonniers de guerre, en moyenne, savent bien que le soldat n’est pas inaccessible au prêtre qui sait lui tenir un langage digne d’un militaire et surtout digne de Dieu. Encore une fois, nous sommes bien peu pour dire que cette oeuvre sera la nôtre, mais la sympathie que vous avez eu le bonheur d’inspirer aux admirables officiers qui tiennent à exercer plus qu’un commandement dans l’armée, à y remplir un apostolat, vous facilitera les moyens de réaliser encore plus que vous n’êtes capable de faire. Car, vous le savez, un religieux de l’Assomption doit être mécontent de soi tant qu’il n’a pas fait cent fois plus qu’il ne peut, et son repos alors consiste à chercher à faire mille fois plus encore. J’engage les novices à se pénétrer de cette maxime fondamentale de notre association. Ainsi, n’étant guère plus de cinquante, nous devrions pouvoir nous compter par milliers.

A côté des cercles militaires, sur lesquels j’appelle toute votre attention, et pour remplacer, un peu plus tôt, un peu plus tard, les cercles d’ouvriers, je voudrais voir surgir des corporations. Qui de vous n’a entendu parler de ces admirables familles d’ouvriers qui, sous la protection d’un saint ou d’un de nos grands mystères, formaient des corps d’état où, depuis l’apprenti jusqu’au compagnon émérite, tous trouvaient leur place, leur encouragement. J’en sais les abus, j’en sais l’arbitraire, imposé par une législation royale et un peu trop oppressive; mais enfin, il fallait bien que les corporations ouvrières eussent de l’excellent, puisqu’elles furent un des premiers points de mire des destructeurs révolutionnaires.

Pourquoi ne pas les restaurer, en profitant des fautes du passé, en évitant les abus, en s’assouplissant aux nécessités présentes, mais en y faisant avant tout pénétrer l’élément divin de la foi qui dit à Dieu: [[ Mon Père! ]]; de l’espérance qui compte avant tout sur les biens du ciel; de la charité, qui groupe les coeurs en face des grandes haines sociales dont Paris contemple encore les dévastations?

L’un de nous disait naguère qu’il est des oeuvres que nous pouvons faire, qu’il en est d’autres que nous pouvons seulement conseiller. Nous formerons ces corporations quand nous le pourrons, mais conseillons-les aussi souvent que possible. Un conseil semble peu de chose; s’il tombe sur une âme active, c’est une très féconde semence.

Mais cette action que je vous propose est basée sur un ordre d’idées: sur les principes de la foi. Je sais que ces principes sont aujourd’hui exclus des sociétés modernes, et je n’ai point d’autres preuves à fournir que le délaissement si honteux du Souverain Pontife. Jésus-Christ, dans Pie IX, est le captif de la Révolution, et les rois ne veulent pas songer que, depuis la prédication de l’Evangile, leurs droits reposent sur la justice divine, dont l’enseignement, dans sa plus haute expression, est confié au Siège apostolique. Oui, l’effort auquel je vous convie repose sur un ensemble d’idées chrétiennes, sur une doctrine hier encore objet d’une très grande décision, que la Prusse s’est exercée à persécuter, dans l’impossibilité de l’anéantir, même après avoir vaincu la France, et qui, sous la dérision, la persécution de la presse, les balles de la Commune, grandit parce que Dieu semble lui avoir dit: [[ L’heure de triomphe sonne pour toi. ]]

Ces idées, il faut les répandre; cette doctrine, il faut la rendre accessible à tous; et, pour en venir à bout, il faut y appliquer les moyens convenables. L’un d’entre nous a essayé avec succès des cours adressés aux ouvriers; multiplions-les par nous ou par nos amis. Après l’ouvrier viendra le bourgeois; pour être plus vaniteux, il n’est pas moins ignorant de sa religion. L’ouvrier a été élevé chez les Frères, et le bourgeois dans quelque lycée, et l’on sait assez ce que l’aumônier a pu lui apprendre, et ce que les professeurs lui ont désappris. Donc, si faire se peut, vous ouvrirez des cours pour la bourgeoisie. Qui sait si la peur qui la possède encore ne la groupera pas autour de votre parole?

Qu’ai-je à dire de l’éducation, sinon que plus que jamais nous, devons tenir aux principes de l’Assomption, et écarter avec la plus vive attention tout esprit faux qui refuserait d’accepter et notre point de départ, et nos plans, et notre but.

J’en dirai autant des publications auxquelles se sont consacrés quelques-uns de nous. Avouons que la Revue de l’enseignement chrétien n’a pas fait tout ce que l’on pouvait faire; je suis le premier à m’en accuser, afin d’avoir le droit d’en accuser d’autres. Il faut que cet état cesse; je promets pour ma part d’y mettre tout mon soin; car, après tout, quels fruits merveilleux n’a-t-elle pas produits? Nous lui devons ce premier Congrès, qui a posé des principes si catholiques, malgré la libérale modération de plusieurs. Si le second Congrès ne s’est pas réuni, espérons qu’il le sera bientôt; s’il est possible, il aura lieu avant qu’un an soit écoulé. Nous le préparerons autant qu’il dépendra de nous et peut-être, si le mouvement religieux correspond à d’autres mouvements, pourrons-nous espérer qu’il nous dédommagera par ses résultats des ennuis d’une attente plus prolongée. Quand donc naîtra le jour où ces efforts multiples viendront aboutir à une Université catholique? Certes, les difficultés à surmonter sont nombreuses, les oppositions vigoureuses, mais il me semble que, depuis le commencement du siècle, nous avons vaincu plus que cela.

En 1801, l’Eglise était captive ; tout à coup, un homme suscité pour écraser la Révolution, et qui, plus tard, consentit à en devenir l’esclave, rouvre nos temples, affranchit le culte de mille vexations; et, depuis, l’Eglise de Dieu n’a cessé de conquérir une liberté plus grande, a brisé par elle-même une foule d’entraves, en brisera bien d’autres, si nous savons le vouloir.

Je n’ai pas encore parlé de nos missions étrangères. Si l’Australie est momentanément laissée de côté parce que certains engagements ne sont pas encore tenus, un bien réel se fait en Bulgarie; une association de patrons et d’apprentis, une école de deux cents garçons subsistent avec un succès durable. Nos Oblates nous ont secondés efficacement par un hôpital, un dispensaire, un pensionnat, des écoles. Tout cela est au berceau, mais quel précieux avant-poste contre le schisme grec et russe! On accusera notre ambition de témérité; que sommes-nous auprès du géant auquel nous nous attaquons?

L’Eglise a aujourd’hui trois grands ennemis : la Révolution, la Prusse et la Russie, et la Russie n’est pas le moins redoutable. Mais pourtant, quel champ immense s’ouvre à nos travaux de ces côtés! Comme Jésus à ses grossiers disciples, j’ose vous dire: Messis multa. Les disciples, devenus apôtres, firent la conquête du monde. Voyez, mes Frères, si vous voulez conquérir la Russie et en porter l’abondante moisson dans les greniers du Père de famille. Je tremble en vous parlant ainsi, et pourtant quelque chose me crie que si l’Assomption le veut, Dieu aidant, la moisson lui appartiendra.

B. — Action intérieure

L’organisation plus définitive de l’Institut

Je viens de parler de l’action extérieure et de quelle manière il faut la préparer; mais de quelle préparation n’avons-nous pas besoin nous-mêmes? Aussi avez-vous pensé avec moi que le but principal du Chapitre était d’abord la constitution d’une aristocratie de capacité, de science et de vertus, placée en tête de notre famille religieuse. Il est hardi de parler de la sorte, quand on a l’honneur de présider un groupe pareil; mais si je ne dis pas ce qui est, je dis ce qui doit être.

Ensuite, la préparation des membres de la Congrégation, pris (s’il est possible) dès l’enfance. Cette pensée, qui fut celle du Concile de Trente, quand il fut question de la transformation du clergé, en ces temps douloureux, est évidemment encouragée par un semblable précédent. Nous recevrons dans nos Alumnats, dès la première adolescence, tous les enfants que nos industries ou la charité des fidèles nous permettront d’accueillir; et qu’ils seraient nombreux ces enfants prédestinés, si les ressources étaient aussi nombreuses que leurs vocations!

Enfin, comptant sur la Providence, nous avons commencé, et Dieu nous a bénis, et par de premiers succès semble nous inviter à poursuivre. Nous poursuivrons, et nous pourrons ainsi ajouter nos enfants à ceux qui, de divers points et de divers âges, viendront frapper à notre porte et demander place à notre foyer. Nous les introduirons tous, avec des soins divers, dans la maison d’épreuve: et ceux qui, avant de venir à nous, ont voulu se donner la jouissance, amère quelquefois, de savoir ce qu’est une tempête, hélas! et aussi un naufrage, et ceux qui, jaloux d’être un peu plus les jeunes frères des anges, n’ont pas cru nécessaire d’aller ternir dans le monde la blancheur de leur robe, au risque de savourer plus tard un pain détrempé des larmes de la pénitence.

La formation des uns et des autres deviendra chaque jour plus forte, plus suivie, plus attentive, plus sévère. L’expérience nous a avertis; nous voulons profiter de ses tristes leçons; nous sommes encore aujourd’hui une famille, demain nous serons un peuple; cette transformation exige la surveillance la plus énergique. Elle sera heureuse, n’en doutons pas, mais à la condition de s’accomplir comme s’accomplissent les vrais développements religieux.

J’ai parlé de la nécessité de ressusciter les moeurs chrétiennes à l’aide des grands principes de la foi; donc il nous faut des saints, mais des saints illuminés par la science catholique. Aussi, au terme du noviciat et pour ceux qui ont terminé les études classiques, plaçons-nous un nombre considérable d’années où l’étude des saintes lettres, de la philosophie et de la théologie, avec des examens très multipliés, nous donnera, espérons-le, des hommes que cependant la science n’enivrera pas, comme vous avez pu le voir quelquefois, parce qu’ils l’auront placée sous la protection de la sainteté religieuse.

Conclusions

Je vous ai dit à peu près ce que nous avons fait depuis le dernier Chapitre; je vous ai indiqué aussi ce que nous voudrions faire, et c’est comme infini. Laissez-moi vous donner, avant de terminer, trois principaux conseils.

Le premier jaillit en quelque sorte de la situation présente; nous sommes en pleine crise chrétienne, nous avons déjà beaucoup souffert, et nous sentons la victoire venir à nous. Profitons-en pour ne pas repousser ceux qui veulent se rapprocher de nos rangs. Je vois certains hommes tellement convaincus de la perfection de leur ligne de conduite, que tout ce qui ne s’y adapte pas est réprouvé; c’est une sorte de puritanisme moderne qui, à force d’éliminations, tournera à l’égoïsme des coteries. Pour nous, cherchons à attirer, laissons la défiance qui rapetisse; que la confiance soit un de nos grands moyens de faire triompher la cause de la vérité. Nous n’en sommes pas les propriétaires, nous n’en sommes que les serviteurs; la cause de la vérité n’est-ce pas la cause de Dieu; et la cause de Dieu à qui appartient-elle, qu’à lui seul?

Mon second conseil est de ne pas trop compter sur le triomphe. Ouvrez l’histoire. Que voyez-vous, sinon les peuples victorieux promptement devenir des peuples en décadence? Sans doute nous pouvons, du train dont vont les choses, compter sur des succès prochains. Vous dirai-je qu’ils me font trembler? Oh! veillons, restons toujours dans la vraie lumière: [[ Dum lucem habetis, credite in lucem, ut filii lucis sitis. Profitons de la lumière, croyons à la lumière, soyons des enfants de lumière. ]] Le grand mal du temps présent, ce sont les ténèbres, c’est le mensonge; restons dans la vérité, servons la vérité, rendons-lui témoignage, propageons-la, et notre tâche sera remplie, et nous n’aurons pas cédé aux illusions.

Mon troisième conseil vous invite à secouer une certaine prudence, refuge trop souvent d’une paresse honteuse d’elle-même. On se dit prudent, parce qu’on n’ose pas; mais c’est plus que jamais l’heure de répéter le mot de Bossuet: [[ La foi est hardie. ]] Ayons donc les hardiesses de la foi; peu importe qu’on l’appelle témérité. Pardonnez-moi la familiarité de la comparaison. La vraie prudence est la reine des vertus morales: mais une reine commande, agit, et, au besoin, combat. Certains en ont fait une femme vieillie par la peur; cette prudence, elle a des pantoufles et une robe de chambre, elle est enrhumée et elle tousse beaucoup. Prudence de convention, je n’en veux pas ; ce n’est pas là cette prudence que vous devez écouter. Pour moi j’aimerai toujours à me confier éperdument en la providence de Dieu, dussè-je, délaissé de tous, aller mourir à l’hôpital!

Je ne voudrais pas me taire, mes jeunes Frères, sans vous adresser quelques mots. Par ce qu’a fait l’Assomption, vous avez vu que, avec la grâce de Dieu, elle peut faire plus encore; mais cela dépend de vous. Vos frères aînés vous ont donné l’exemple, à vous de le suivre. Ce qu’ils ont fait, pourquoi ne le feriez-vous pas? Sans doute, ils ont plus que vous l’expérience du bien; pourquoi n’en auriez-vous pas l’ardeur? L’expérience, ils vous la communiqueront, tandis que votre ardeur, mise à leur disposition, décuplera les forces des uns et des autres. Trouvez-vous sur la terre quelque chose de plus noble, de plus beau, de plus grand que la carrière à laquelle ils vous convient? Pour moi,je cherche et je ne puis trouver.

Marchez donc sur leurs traces et devancez-les, ils n’en seront pas jaloux. Ils ont passé par des épreuves que vous ne semblez pas destinés à connaître, mais qu’importe après tout? Nous atteindrons tous les récompenses de Dieu; et quel que soit le nombre des couronnes, elles seront toujours au-dessus de ce que nous pouvons prétendre, puisque Dieu les rendra belles et glorieuses, non comme nos mérites, mais comme sa miséricorde et son amour.

Notes et post-scriptum