- PM_XIV_435
- 0+580 a|DLXXX a
- Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 435.
- Orig.ms. ACR, AD 588; D'A., T.D. 20, pp. 26-31.
- 1 CHARITE ENVERS DIEU
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 CURES D'EAUX
1 NOTRE-SEIGNEUR
1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
1 PROVIDENCE
1 PURETE D'INTENTION
1 SAINTE VIERGE
1 SANTE
1 UNION DES COEURS
1 VOLONTE PROPRE
2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
2 CARTON
2 FRANCHESSIN, ERNEST DE
3 LAVAGNAC
3 LORRAINE
3 NIMES
3 PARIS
3 VERSAILLES - A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
- MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
- Lavagnac, 18 juillet 1848.
- 18 jul 1848
- Lavagnac
J’ai reçu hier soir et en même temps, ma chère fille, vos deux lettres, celle du 12 et celle du 13. Je vais essayer d’y répondre de façon à ne contribuer en rien à cette terrible raideur, que je vous cause si involontairement. Laissez-moi les suivre par ordre, afin que cette fois du moins vous ne puissiez me reprocher de laisser quelque chose de côté.
Ma santé va mieux ou du moins un peu mieux, cependant je ne puis songer à aller aux eaux cette année. J’avais bien prévu l’arrangement par lequel nous aurions pu nous y rencontrer, mais je ne pense pas que les eaux me fassent grand’chose. Ce n’est pas la poitrine qui me fait mal depuis quelque temps, c’est l’estomac, quoi qu’on dise; il y a je ne sais combien de temps que je n’ai pas toussé. Or j’ai cru remarquer qu’un peu d’exercice après mes repas me rendait la digestion plus facile. Or pour complaire à quelques-uns des nôtres, j’ allais m’enfermer à la bibliothèque, où souvent j’étais tout seul, mais où du moins on me trouvait quand on voulait. Je prendrai mon parti d’aller un peu plus dans la cour après-dîner. Je crois que pour vous c’est tout autre chose, et si M. de Franchessin veut vous mener aux eaux, profitez-en. On comprendra que cette année des religieuses n’y vont pas sans une absolue nécessité. Du reste, vous trouverez peu de monde et vous pourrez bien mieux vivre selon votre disposition à la retraite. La question de Soeur M.-Aug[ustine] n’en est pas une. Si elle se rend désagréable pendant votre absence, elle perdra d’autant plus de son influence; ce qui ne sera pas un grand mal.
Vous pourriez bien vous arranger pour venir, à votre retour, passer huit jours à Nîmes, et pendant les vacances il me serait très facile de vous voir du matin au soir sans aucun inconvénient. Quant à moi, je puis dire comme vous : Je suis trop pauvre. Et puis, je me crois plus nécessaire à Nîmes que jamais. Il me faudrait pour me bien porter une absence absolue de préoccupations, et dans ce moment il m’est impossible de n’avoir pas l’esprit écrasé par les embarras où je me trouve.
L’idée de la vente à M. de Franch[essin] me paraît, en effet, excellente, mais réfléchissez pour savoir si vous irez à Versailles ou bien vous cacher pour un an en Lorraine. Versailles est si près de Paris. Je voudrais bien vous dire positivement : Vous ne risquez rien à Versailles, mais il me paraît que vous y risquez beaucoup. Si j’ai jamais senti l’ennui de la pauvreté, c’est maintenant, où je voudrais vous offrir ce que vous désireriez de M. de Fr[anchessin]. Mais je suis si fort enfoncé qu’il m’est impossible d’y songer, et c’est pour moi une vraie peine de coeur.
J’arrive à votre raideur. Mon enfant, que vous soyez raide maintenant, je le comprends jusqu’à un certain degré. Il y a eu répercussion de vous à moi, et puis de moi à vous. En ce sens qu’il y a, de ma part, tellement crainte de vous blesser qu’à la fin il est impossible quelquefois que je ne sois pas gêné; ce qui nécessairement doit vous rendre encore plus raide. Ainsi vous semblez vous plaindre de ce que je n’ai pas répondu à ce que vous disiez de moi le 27 mai, tandis que si je ne l’ai pas fait, c’est que j’ai voulu laisser tomber des observations, auxquelles je ne trouvais pas de fondement. Aujourd’hui que vous désirez que j’insiste sur ce chapitre, je vous dirai toute ma pensée.
Je crois tout bonnement que vous êtes profondément injuste envers moi. J’ai cherché à unir mon âme à la vôtre, comme jamais je ne l’ai voulu avec aucune autre, ni ne le voudrai jamais. Ce que j’ai voulu, je le veux encore, et je n’aurais jamais songé qu’à remercier Dieu du don qu’il m’avait fait de vous rencontrer, si, tandis que j’admirais comment j’allais à vous pleinement et complètement, vous n’eussiez cru voir dans mes procédés des motifs de raideur. Avez-vous eu raison ? Je le suppose, en ce sens que vous avez jugé sur des apparences probables, puisque vous avez cru devoir juger comme vous l’avez fait. Mais, je ne crains pas de vous le dire, vous avez eu mille fois tort, parce que derrière toutes ces apparences il y avait quelque chose, dont je suis sûr et qui n’était certes pas changé. Vous avez moins senti le père que le maître avec vous. C’est là ce qui me passe, puisque ce dont je me défendais était de ne pas trop me montrer le fils; ce qui, quoi que vous disiez, m’eût été bien facile, tant j’avais confiance dans votre coeur et dans votre raison. Et si cette disposition de ma part devrait vous rendre votre souplesse, il me serait bien facile de vous la manifester, puisque je trouve bien plus facile de me trouver à vos pieds que de vous tenir aux miens, et qu’au fond ce que je sens avant tout, c’est que je veux vous faire tout le bien possible par tous les moyens que mon affection me suggérera.
« Je vous ai rejetée loin de toutes les dispositions où vous vous étiez mise les jours précédents, à ma dernière visite. » Je ne puis rien me rappeler en ce moment, tant ma mémoire est mauvaise. Ce que je sais, c’est que j’aurais donné tout au monde pour vous laisser en paix, et certes je suis bien sûr de mes sentiments sur ce chapitre.
« Vous ne pouvez échapper à la conviction que je ne suis pas à vous, comme vous êtes à moi. » Les expressions me manquent pour vous répondre, mon enfant. Je ne puis que vous dire tout simplement : Vous êtes dans l’erreur la plus complète. Quelles preuves vous donner, si vous ne croyez pas mon assertion, et à quoi bon, si vous en avez besoin ?
Vous avez été dans une complète erreur encore, si vous avez jamais pu soupçonner que vous me fussiez à charge. Je n’ai jamais souffert avec vous que de vous voir souffrir, et si je vous ai jamais montré de la fatigue, il me semble que c’est uniquement parce que c’était vous. Avec un degré moindre d’intimité j’aurais tout gardé pour moi. Le point de la mesure où je veux que vous m’occupiez de vous n’est pas autre que celui de vos besoins et de mon amitié. Et vous avez beau dire, ma fille, vous en direz long avant que vous l’ayez atteint.
« Le respect de ma liberté ! » Je vous conjure une fois pour toutes de ne plus prononcer de mots pareils. Est-ce que vous en êtes venue à douter de ce que je vous écrivais, il y a un an ou dix-huit mois, que Dieu étant le principe de votre amitié, Dieu seul pouvait mettre une limite à ce que vous demanderiez de moi ? Est-ce que vous pensez que j’ai pu vous dire de pareilles choses sans y penser? Est-ce que, si je l’ai pensé, vous pouvez croire que je l’ai oublié si vite ?
Je réserve la fin de la lettre du 12 pour y répondre, après avoir causé avec vous de celle du 13, que je relis à l’instant même. Elle commence par l’aveu de cette continuation de raideur, et par une plainte sur ce que je n’ai pas répondu à ce qui me concernait dans votre lettre du 27. Je reprends donc cette seconde lettre, et, après l’avoir relue, je n’y trouve que ce que vous me dites dans celle du 12, qu’en ne me donnant pas assez, je vous fais un grand mal. Ma pauvre fille, mon intention a toujours été de vous montrer et d’être, en effet, pour vous un père et un ami, dans toute la force des mots et dans toute leur sainteté. Mes intentions et mes sentiments n’ont pas varié d’une minute. Ai-je manqué à ce que je vous devais à ce double titre ? Il le faut bien puisque vous le trouvez, et dès lors, je vous en demande pardon. Mais ce qui m’effraie, c’est que ne le comprenant pas bien, il pourra m’arriver de vous faire encore de la peine sans le vouloir.
« Vous me parlez, dites-vous, si peu de ces sujets en proportion de la place qu’ils occupent en vous. » Peut-être, ma fille, est-ce là le mal ? Peut-être, si vous m’en parliez davantage, cela vous ferait-il du bien, et à moi aussi ? Vous auriez tort de vous arrêter par aucune crainte, surtout celle de ma liberté. J’y verrais un grand inconvénient, celui de ne pas assez connaître cette portion de votre âme, qu’il faut absolument guérir de ses douleurs.
« Vous faites, dites-vous, des efforts pour vous tenir, dans vos rapports avec Dieu, dans des dispositions de sacrifice et d’obéissance. Mais, ajoutez-vous, il faut parallèlement régler vos rapports avec le prochain. » Je crois que plus tard cela viendra de soi. Un sacrifice en amènera un autre, et la force que vous aurez acquise, en faisant le premier, vous rendra le second moins coûteux. Au moins cela me paraît ainsi.
« Le mal, dites-vous, est que vous portiez dans votre âme une si grande amertume. » Au-dessus des créatures qui la causent, cette amertume, il y a Dieu qui l’adoucira, quand il le jugera convenable, en donnant un degré supérieur à votre charité ! Adressez-vous donc à Notre-Seigneur et à la Sainte Vierge qui ne vous feront pas défaut.
Vous dites de toute personne présente : Je ne l’aime point. Cela ne m’étonne pas et cela vous sera fort utile, si, perdant toute complaisance humaine dans toute amitié, vous vous mettez à demander à Dieu d’aimer pour l’amour de lui. Vous n’aurez pas à vaincre de force votre répugnance, mais un amour humble se mettra à la place de votre opposition, et cela précisément parce qu’il deviendra humble. Ce que vous ajoutez sur vos dispositions générales de perte de toute affection, et de l’impossibilité où vous êtes d’en témoigner, est déplorable, mais je ne le prends que comme symptôme que vous tenez à faire connaître. Il n’y a rien à dire là-dessus. Quand un mal, le mal principal, sera guéri, tout ceci disparaîtra.
Je suis trop fatigué pour aller plus loin. Je me réserve de vous écrire encore demain et je répondrai à la fin de votre lettre du 12.
Je me résume en vous disant : Si, comme je le crains, toutes vos souffrances reposent sur un doute, jamais doute ne fut plus mal fondé, je vous l’affirme de la manière la plus solennelle, et je désire que vous ayez la puissance de me croire.
Si M. Carton veut venir ici, je le prendrai très volontiers. Mais le voudra- t-il ? Il y a tant à faire en un sens; nous sommes si mal logés, si mal sous tant de rapports : Cependant je considérerais sa venue, s’il peut se fixer parmi nous, comme un bienfait de la Providence. Il peut venir quand il voudra.
On vient chercher ma lettre et j’ aurais pourtant mille choses a ajouter. A demain. Ecrivez-moi à Nîmes, où je serai jeudi au plus tard. Je n’ai pas le temps de me relire.