Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 453.

4 oct 1848 Lavagnac MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

L’horreur du péché – Il faut que l’amour de Dieu répare le mal que l’amour de vous-même a fait en vous – Les méfaits de votre imagination – Il est vrai que je manque de ce qu’il faudrait pour attirer à N.-S. – Reconnaissez que rien ne vous est dû et N.-S. vous donnera tout – Une mortification qui ne nuise pas à vos forces physiques – Embarras financiers – Professeurs pour la maison de l’Assomption – Le plein exercice – Si Dieu me veut ailleurs il saura m’éclairer.

Informations générales
  • PM_XIV_453
  • 0+588 b|DLXXXVIII b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 453.
  • Orig.ms. ACR, AD 601; D'A., T.D. 20, pp. 42-46.
Informations détaillées
  • 1 ABAISSEMENT
    1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR-PROPRE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 COLLEGE ROYAL
    1 CREANCES HYPOTHECAIRES
    1 EMBARRAS FINANCIERS
    1 ESPRIT D'INDIFFERENCE
    1 LECTURE DE LA VIE DES SAINTS
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MORTIFICATION
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 ORAISON
    1 PECHE VENIEL
    1 PENITENCES
    1 PLEIN EXERCICE
    1 PROVIDENCE
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 VOCATION RELIGIEUSE DU PERE D'ALZON
    2 AUBERTHAT
    2 BUCHEZ, PHILIPPE
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GOURAUD, HENRI
    2 MICHEL, ERNEST
    3 LAVAGNAC
    3 MARSEILLE
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Lavagnac, 4 oct[obre 18]48.
  • 4 oct 1848
  • Lavagnac
La lettre

Je me débarrasse d’une foule de petits inconvénients, ma chère fille, pour répondre à vos deux bonnes lettres que j’ai reçues, l’une pendant que je faisais une course dans les environs et l’autre hier soir; et je demande à saint François, dont c’est aujourd’hui la fête et que j’ai invoqué avec le plus de ferveur que j’ai pu, de me faire vous parler un langage qui vous sanctifie. Je commence par répondre à votre rendement de compte.

Somme toute, je ne crois pas qu’il y ait à vous gronder beaucoup. La vue de vos misères, qui sont grandes encore, ne doit pas vous alarmer. Il me semble que vous commencez à les envisager du côté qui vous les rendra utiles. Je veux que maintenant vous vous les représentiez pour en avoir une grande horreur, et que ce que vous demanderez le plus à Notre-Seigneur soit une grande horreur de vos péchés. J’ai pensé souvent que vous et moi nous manquions de contrition. Vous ne voulez pas commettre un seul péché véniel. Mais quand vous l’avez commis, vous n’avez pas ce sentiment énergique de regret qui vous pousserait à donner votre vie entière pour dédommager Dieu blessé dans son amour encore plus que dans sa justice. Car ce à quoi je désire que vous vous portiez surtout, ce n’est pas [à] cette rigoureuse équité de Dieu qui rend à chacun selon ses oeuvres, mais [à] cette charité miséricordieuse et patiente, qui vous attend depuis deux ans et que vous avez si fort contristée, parce que vous vous êtes trop aimée vous-même. Ne vous faites pas illusion, il faut vous déprendre de cet amour égoïste, mais sans brusquerie et sans trop de violence. Le mal que l’amour de vous-même a fait en vous, il faut que l’amour de Dieu le répare, fortement sans doute, mais avant tout suavement.

J’entre dans toutes les tristes idées qui ont passé par votre tête. Il y aurait de quoi se bien anéantir, si quelque chose de vrai eût été par là; mais grâces à Dieu tout a été, comme vous le dites, dans le domaine des tourbillons et de l’imagination. Le meilleur est de n’y plus penser et de n’en conserver qu’un sentiment de mépris de vous-même et d’abaissement aux pieds de Jésus crucifié. Je ne veux pas que vous vous inquiétiez là-dessus et je vous prie de n’y pas revenir. Je prends sur moi tout ce que vous n’aurez pas dit. Tout ce que je puis conclure, c’est que vous vous étiez un peu trop éloignée de Notre-Seigneur, et qu’il faut y revenir avec toute la générosité dont vous pouvez être capable. Cette tendresse de mère que vous sentez au fond du coeur est un moyen puissant, dont il faut bien vous garder d’affaiblir la force. Dieu vous a fait là un don merveilleux; gardez-vous bien de le laisser stérile.

Quant à moi, vous avez bien raison, je manque complètement de ce qu’il faudrait pour attirer à Notre-Seigneur, non pas que je ne le désire pas, mais je suis gauche et raide et je l’ai senti bien souvent. L’agacement, l’impatience, que vous avez si souvent éprouvés depuis deux ans, n’étaient peut-être pas seulement votre faute; mais il y avait de votre faute, et c’est ce que je veux examiner ici.

Descendez en vous-même. Pourquoi être agacée, impatientée sinon parce qu’on ne vous rendait pas ce que vous croyez vous être dû. Il me semble que vous devez être arrivée au point de vous demander : qu’est-ce qui m’est dû, et de vous répondre : rien. C’est dans cette disposition qu’il faut vous mettre aux pieds de Notre-Seigneur, qui ne vous doit rien et qui vous donnera tout, lorsqu’après avoir avoué hautement qu’on ne vous doit rien, vous resterez sans raideur, sans agitation, dans votre néant et votre immense misère. Ainsi confiez-vous à l’amour de Notre-Seigneur. Mais que ce soit seulement après que vous aurez confessé, en jetant un regard sur votre passé, que vous ne valez rien et que l’amour de vous-même vous fait perdre bien du temps et commettre bien des fautes.

Les hauts et les bas de votre conduite ne me surprennent [pas]. Ces oscillations diminueront, je l’espère, pendant le courant de cet hiver où vous travaillerez avec un effort plus soutenu à votre sanctification. Je demanderai beaucoup à Notre-Seigneur de me donner les lumières, qui me seront nécessaires pour vous dire ce qui vous conviendra, et la puissance de vous le faire accomplir en ployant les révoltes de votre volonté et vos superbes dédains sous le joug de la grâce et de ses attraits.

Je n’ai pas à insister, je crois, sur l’idée qui a pu vous traverser l’esprit que vous vous étiez méprise sur votre vocation. Ce sont de ces pensées que Dieu permet quelquefois pour nous faire sentir ce que nous portons en nous de corruption, et nous donner une reconnaissance plus profonde du secours qu’il nous accorde pour nous relever jusques à lui. Je suis de votre avis pour les lectures de Vies des saints; elles me font un bien extrême, surtout quand elles sont écrites avec piété; car pour les autres, elles m’impatientent.

Je crois devoir vous recommander de vous mortifier, mais en choisissant ce qui ne nuira pas à votre santé. Vous aurez besoin de vos forces physiques pour porter le poids des épreuves que Dieu peut vouloir vous envoyer pendant l’hiver. Et qui n’a pas besoin d’une grande énergie en de pareils moments ? Puisque vous trouvez une partie de la vôtre dans l’état de votre santé, ne négligez pas ce moyen, tout humiliant qu’il est. J’en reviens toujours à l’heure de prière, que je réclame de vous. Il me semble qu’elle vous est très nécessaire et qu’en tant beaucoup d’inutilités vous saurez bien la trouver, si vous le voulez tout de bon.

Quant aux ennuis de votre position, jugez si je les comprends, puisque j’y suis tout entier. Mais avant tout laissez-moi vous remercier, vous et vos Soeurs, de la proposition que vous me faites. J’en profiterais, je vous assure, si je le pouvais, si c’était possible. Mais dans le Midi qui voudra prendre hypothèque sur des terrains de Paris ? Je n’en suis pas moins touché de la bonne volonté de vos filles, veuillez les en remercier de ma part. Mais j’espère, avec l’aide de Dieu, faire un emprunt de 80.000 francs au moyen d’une hypothèque, que je crois avoir trouvé le moyen d’établir ici. Dieu me viendra en aide, du moins je l’espère. Du reste, il me semble que je suis prêt à accepter tout de sa part, avec tout l’amour dont je suis capable, ce qui n’est pas beaucoup dire.

Puisque M. Michel n’a pu trouver quelqu’un pour moi, à la place de M. Auberthat, qu’il ne se tourmente plus, parce que j’espère avoir trouvé ici un très bon maître pour la cinquième. Mais ce à quoi je tiens, c’est au plein exercice. J’aurai un pro- fesseur de philosophie je ne veux plus envoyer d’élèves au collège. Puisque l’établissement est libre, il me semble qu’il ne doit plus y avoir de difficulté et que l’on ne doit plus venir nous tracasser sur cet article. Il me semble que si M. Buchez voulait bien, il pourrait faire quelque chose dans ce sens. Et, du reste, il en a besoin, car la popularité dont les catholiques avaient consenti à l’entourer commence à baisser d’une manière qui me fait peine. Parce que je crains qu’elle ne l’aigrisse, ou que l’on ne voie dans son impuissance une preuve de plus de l’hostilité des hommes de la République contre tout ce qui se rapproche de catholicisme. Pourquoi, par exemple, les hommes du pouvoir sortis du National laissent-ils le National dire que la civilisation moderne est la plus grande protestation contre le catholicisme?

Si je n’avais l’assurance d’avoir le plein exercice, dès que je serai établi à une demi-lieue du collège royal, je crois que je n’hésiterais pas à aller, l’année prochaine, à Marseille, où je m’établirais dans une des deux campagnes que l’on m’a montrées. Quant à aller à Stanislas, quelque reconnaissant que je vous sois, ainsi qu’à M. Gouraud, de votre désir de m’y attirer, il n’y faut pas songer tant que la maison de Nîmes ne sera pas définitivement établie à Nîmes ou à Marseille. Mes parents, dont je dois tenir compte à cause de l’argent qu’ils m’ont donné, s’opposent à ce que je quitte Nîmes. La garantie du plein exercice les déterminerait, seule, à me voir m’éloigner jusqu’à Marseille ou [à] me rapprocher du côté de Montpellier.

Ma conscience me reprochera toujours de renoncer à une oeuvre de cette importance. Du reste, je ne suis pas pressé. Il m’est très bon de souffrir, et quand j’y réfléchis un peu attentivement, je ne me crois guère capable d’autre chose. Quel bien est-ce que je fais ? Voyez le mal que je vous ai fait depuis deux ans. Je ne pousse personne au bien, et par moments cette impuissance me pèse bien plus que tous mes autres soucis. Si jamais Dieu me veut ailleurs, il saura bien m’en donner le désir, et, pour le moment, je ne vois pour moi que l’obligation de passer un an dans la retraite avec les trois compagnons que je crois choisis tout exprès, pour que je me place à leur égard dans une disposition d’autorité et de sainteté qui me manque, et qu’ils m’aideront à acquérir.

Il me semble que sous ce rapport je n’ai guère varié. Qu’importe que je trouve à Paris des jeunes gens à former, si je ne suis pas encore capable de les former ? Or je n’ai pas ce que j’aurai un peu plus tard, si Dieu le veut. J’ai trop souvent couru devant la Providence, je ne veux pas refaire la même sottise. Vous me dites qu’ici j’ai commencé par les toits et qu’il fallait commencer par la base. Mais si je vais à Stanislas, ne sera-ce pas le même travail ? Ici, au contraire, je vais commencer un noviciat qui sera plus ou moins long, mais ce sera un noviciat sérieux, à cause de ceux avec qui je le ferai. Je les crois très souples et très capables d’entrer en esprit de foi.

Il ne faut pas croire que les maîtres, ici, me retiennent à Nîmes, c’est moi qui les y retiens. Quant à M. Durand, il sera toujours prêt à ce qu’on lui proposera.

Notes et post-scriptum