Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 477.

4 jan 1849 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Grand format – Rendez-moi compte de toutes vos pensées mais *à la bonne* – Etre *fille* sans réserve – Un mauvais procédé de ma part, susceptibilité de la vôtre – Pénitences – Humilité, amitié et direction – Impatience et raideur – Je viens de refuser l’évêché de Mende.

Informations générales
  • PM_XIV_477
  • 0+599 e|DXCIX e
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 477.
  • Orig.ms. ACR, AD 618; D'A., T.D. 20, pp. 59-62.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 COLERE
    1 CRITIQUES
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EFFORT
    1 EVECHES
    1 FIERTE
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PATIENCE
    1 PENITENCES
    1 SAINTETE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTUS RELIGIEUSES
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 4 janvier 1849.
  • 4 jan 1849
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Rien de plus facile, ma chère fille, que de vous écrire sur du grand papier, et, puisque je n’avais pas lu la dernière ligne de votre dernière lettre quand j’ ai commencé à répondre à celle du 27, vous m’excuserez de vous envoyer la petite feuille qui contient mes premières observations. Il est bien sûr, ma chère enfant, que, si vous le voulez, ma direction peut vous être plus utile que par le passé. Pour ce qui me concerne, je le veux de toute mon âme, et, depuis quelque temps, je crois vous en avoir donné des preuves. De votre côté aussi, j’aperçois plus d’efforts et je suis convaincu que Notre-Seigneur les bénira. Partez d’abord de cette volonté très ferme et très arrêtée de ma part. J’exige que vous me rendiez toujours compte de vos pensées, même les plus pénibles, du moment que vous croirez que les dire peut vous faire du bien; non pas que je veuille que vous entriez dans certains détails absurdes, mais qu’en allant à la bonne vous puissiez forcer à crever tous ces petits abcès, qui, trop souvent, se forment depuis quelque temps autour de votre coeur. Ceci est un point parfaitement arrêté; j’exige de votre part une obéissance absolue et de bonne foi.

Puis, il faudra en effet que vous veuillez être entièrement et sans réserve fille à mon égard. Tous ces sentiments de dignité, de grandeur, de fierté n’ont absolument rien de chrétien et de religieux. C’est donc à vous de voir, une bonne fois, si vous voulez être religieuse et prendre les moyens pour cela. Il est malheureusement très vrai que vous ne l’avez point été depuis quelque temps. Désormais voulez-vous, et tout de bon, réparer le temps perdu ? Les mystères dont nous célébrons dans ces temps-ci les solennités doivent vous aider à pénétrer au fond de votre âme, pour y découvrir l’opposition qui subsiste entre vos enflures et les saints anéantissements de Jésus-Christ.

Il paraît que la susceptibilité que vous a causée un mauvais procédé de ma part, quand je pris congé de vous, vous a bien tenu au coeur. Je ne veux point me disculper; vous savez que je me reconnais bien des torts de cette espèce, mais parlons de ce qui vous concerne. Quel bien avez-vous retiré de vous irriter ainsi ou de vous enfoncer dans votre fierté ? Quel bien n’eussiez-vous pas retiré, au contraire, de ce qui vous a fait mal, si vous eussiez eu un degré de sainteté de plus ? Enfin, vous retirerez de tout ceci la conviction que vous êtes loin d’être une sainte, et ce sera beaucoup, si, comme vous le devez, vous voulez vous mettre une bonne fois à le devenir. Vous avez donc à prendre sur ce chapitre, comme sur les autres, les plus fermes résolutions.

Vous ne me dites pas dans vos lettres si vous avez accompli les pénitences que je vous ai imposées; il serait pourtant bon que j’en fusse averti. Tout ce que vous dites sur les exigences de votre amitié à mon égard peut être vrai. S’il s’agit d’amitié, je ne le discute point; mais je ne sais trop ce que cela peut faire à la direction, supposé que vous ayez une dose ordinaire d’humilité. C’est donc toujours à l’humilité qu’il vous en faut revenir. C’est là le chapitre essentiel pour ce qui vous concerne. Il est très possible que j’aie, par rapport à vous, les reproches les plus graves à me faire en présence de Dieu pour avoir négligé votre âme. Ceci, je ne le nie ni ne l’affirme avec vous, mais comme en dernière analyse je crois qu’il est peu de personnes au monde qui aient eu de quelqu’un les soins que vous avez reçus, je me demande devant Dieu quel profit vous en avez retiré, et je vois l’obligation pour vous de mieux profiter, soit du peu qu’on vous donnera, soit des délaissements où l’on pourrait vous laisser, parce que vous n’avez pas su mettre à profit ce que Dieu, quoi que vous disiez, a fait pour vous. Sous ce rapport je serai inflexible pour vous forcer (laissant les reproches que je puis avoir à me faire,) à vous occuper avant tout de ceux que vous avez à vous faire devant Dieu.

L’impatience, la raideur que vous avouez est encore une preuve que vous avez mal pris les tentations; les saints ne s’impatientent ni ne se resserrent. Voyez donc de prendre garde désormais à ce que vous aurez à faire, à donner et à offrir à Notre-Seigneur dans un sentiment d’humilité pour réparer ces impatiences et ces resserrements. Si tout ce qui précède vous paraît trop dur, dites-le moi. Je n’en retrancherai rien, mais je prendrai patience, s’il le faut, pour attendre que vous soyez capable de le porter. Du moment que vous avez permis à certaines pensées de révolte d’entrer dans votre âme, je conçois avec quelle violence elles ont dû y faire irruption, mais il s’agit de savoir s’il faut permettre en vous la moindre apparence de ces sortes d’irruption-là.

Je m’arrête, pour que ma lettre puisse partir. J’ai déjà écrit quelques-unes des lettres que vous me demandez.

Adieu, chère fille. Tout vôtre en Notre-Seigneur. Je viens de refuser l’évêché de Mende. Ceci pour vous seule absolument. Il me semble, toute réflexion faite, que je suis un peu trop dur. Il me semble que je dois l’être, pour vous forcer à être toute à Notre-Seigneur, comme vous devez le devenir. Le temps me manque.

Notes et post-scriptum