Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 482.

31 jan 1849 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Confiance et joie devraient résulter de l’immense amour miséricordieux de N.-S. pour vous – Le succès – Notre amitié me préoccupe moins que votre âme – Les sept péchés capitaux que vous avez sentis en vous – Mortifications – Faire toutes choses saintement – Pénitences – Priez Sr Thérèse-Emmanuel de vous traiter comme une novice – Argent – J’ai dû accepter le carême à la cathédrale.

Informations générales
  • PM_XIV_482
  • 0+604 b|DCIV b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 482.
  • Cop.ms. ACR, AQ 104; D'A., T.D. 20, pp. 63-67.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMITIE
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANIMATION PAR LE SUPERIEUR
    1 BONTE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DETACHEMENT
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 DISTRACTION
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 ESPERANCE
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 GESTION FINANCIERE
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MAL MORAL
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
    1 PENITENCES
    1 PERSEVERANCE
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 REPOS
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SUPERIEURE
    1 TRAVAIL
    1 VANITE
    1 VERTU DE PAUVRETE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOIE UNITIVE
    1 VOLONTE
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 EVERLANGE, JEAN-LEOPOLD-DIEUDONNE D'
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 VIEFVILLE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 31 janvier 1849.
  • 31 jan 1849
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

J’ai différé de répondre à votre lettre d’un jour ou deux, ma chère fille afin d’avoir plus mon temps à moi pour le faire en tout repos et après avoir bien prié pour vous. Je prie Notre-Seigneur de me donner des paroles de sanctification pour cette chère âme, que je voudrais voir si sainte et si parfaite. C’est donc une chose bien pénible de vous voir telle que vous êtes. Il me semble pourtant qu’à côté de tout ce que votre clairvoyance découvre de mal, elle doit apercevoir aussi l’amour immense, la patience divine dont Notre-Seigneur use à votre égard, et cela doit vous faire du bien. Quand on est si prévenu de la miséricorde infinie, on doit avoir quelque confiance et de la joie de tout ce que nous pouvons espérer pour peu que nous ayons une volonté forte et persévérante. Eh bien, donc, ma fille, vous me voyez comme je suis et vous avez grande raison d’être fort ennuyée et fatiguée à mon égard. Mais vous avez aussi parfaitement raison, ces choses veulent être laissées de côté; car, comme ma fille, vous n’avez pas à vous arrêter à ces choses, sous peine d’y trouver un très grand dommage, et c’est pourquoi je vous le défends expressément. Voici ce que vous aurez la bonté de faire pour vous en punir. Vous aurez la bonté de dîner trois fois à genoux au milieu du réfectoire. Je vous donne quinze jours pour accomplir cette pénitence. Vous prierez Soeur Th[érèse]Em[manuel] de vous frapper une fois sur les épaules pendant un Ave Maria, et vous réciterez trois fois cinq Pater et cinq Ave les bras en croix.

Franchement ma chère fille je me suis peu occupé et surtout je m’occupe très peu, depuis quelque temps, ni du succès collectif, ni de succès d’aucune espèce. C’est une de mes tentations de ne pas croire au succès. Je vais pourtant sans désespoir, m’efforçant de me mettre dans une grande confiance en la miséricordieuse volonté de Dieu. Pour le succès, il viendra quand il pourra. Je vous avoue encore que je m’occupe peu pour le moment de notre amitié, en ce sens qu’elle soit pour moi autre chose qu’un appui que Dieu m’a donné, dont je le remercie sans cesse; mais je me préoccupe avant tout de votre âme et du bien que je puis lui faire. J’ai le sentiment très profond que je suis bien moins aimable que vous, dans le sens où vous prenez ce mot. Toutefois, vous avez tort de croire que j’attache moins de prix à ce qui vous touche, à cause de ce que j’ai pu en souffrir. Il me semble que je passe au-delà pour aller jusqu’à vous. J’ai tort peut-être de ne pas vous le faire sentir, mais je l’éprouve ainsi. Quant au dédain de vos conseils, j’ai pu avoir tort envers vous jadis; aujourd’hui je ne le pense pas, il me le semble du moins. Ainsi, lorsque j’ai refusé d’accéder aux propositions du nonce, c’est bien évidemment en vous appelant au conseil intérieur que j’ai tenu dans ma conscience, ne pouvant vous consulter, puisqu’on me demandait une réponse immédiate. Mais je vous promets de profiter de tout ce que vous me dites d’utile. Toutefois, remarquez bien que j’apprécie, au-delà de tout ce que je puis dire, tout ce qu’il y a de bon en vous et qu’il me paraît que vous êtes un peu exigeante, si vous voulez que je l’aime plus que je ne fais. Malheureusement vous trouvez que je ne vous rends pas assez. Vous avez sans doute raison, je vais demander à Dieu ce qui me manque de ce côté.

Mais il est surtout question de vous. Vous avez donc senti en vous, d’une manière horrible, les sept péchés capitaux. Cela ne me surprend pas beaucoup, à vrai dire; je le serai bien davantage, si vous me disiez que vous n’êtes pas fille d’Adam et d’Eve. Sans être colère, vous sentez de l’impliabilité, et de l’irascibilité. Faites bien attention, c’est une disposition très dangereuse, qui se développera avec l’âge et que je vous ordonne d’attaquer par les plus grands efforts des vertus contraires. Je regrette bien vivement que vous n’ayez plus le même attrait pour vous unir aux mystères de la vie de Notre- Seigneur. Je vous conjure de vous en rapprocher le plus que vous pourrez. Ce me serait une vive douleur, si je pouvais penser que par ,ma faute vous vous êtes éloignée de cette source précieuse de toute vie surnaturelle. Vous pouvez évidemment tout trouver en Dieu, et tout ce qui semble vous être enlevé par votre vie occupée, brisée, de supérieure peut vous être rendu par un redoublement de bonne volonté. Je le sens trop, pour ce qui me concerne, qu’il est impossible que ce ne soit pas vrai pour vous. Mais pour cela faire, il faut avant tout une chose, il faut absolument vous convertir, comme vous le dites très bien. Je vous en conjure, mettez-vous-y donc avec générosité, et commencez votre réforme non par l’extérieur, mais par le fond même de votre nature.

Pour aujourd’hui, je ne vous retranche rien ni de votre sommeil, ni de votre flanelle. Qu’il vous souvienne seulement que je vous retrancherai tout cela, quand je le jugerai à propos pour le bien de votre âme. Mais ce que vous direz en prenant les ménagements nécessaires à votre santé : « Je ne me soigne ainsi que parce qu’on me le permet, sans quoi je n’en aurais pas le pouvoir et je devrais me soumettre à telle direction qu’on jugerait à propos de me donner, même de 200 lieues », n’est-il pas bien étonnant qu’on ose forcer la grandeur de votre dignité à se tenir un pareil langage ? Sans doute, mais il est bien plus étonnant qu’après un si long temps passé en religion vous en soyez réduite à avoir encore des sentiments si tristes que ceux que vous me dévoilez. Par exemple, vous couperez vos cheveux au plus vite; c’est une superfluité, sur laquelle je me rappelle ce que vous m’avez dit dans le temps et dont je serais honteux à votre place. Les préoccupations qui vous distraient sont très naturelles à une jeune supérieure, mais, depuis le temps que vous l’êtes, je ne comprends pas que cela puisse encore vous empêcher de prier Dieu.

Je ne puis rien dire sur le reste de la journée, sinon que les saints sanctifiaient tout et qu’alors rien de leur temps n’était perdu. Si vous faites toutes ces choses saintement, vous faites bien; sinon vous avez tort. Vous êtes pauvre et par conséquent obligée au travail. Avec de l’ordre, on a du temps pour tout. Toutefois, il vous faut conserver une certaine liberté d’esprit pour le commandement et vous souvenir que la disposition d’être toujours au service des autres est quelque chose qui brise et qui veut après un certain repos; mais ce repos peut être un repos de prière.Je n’aime guère le thé ni les gâteaux de la vieille dame, mais je regrette que vous ne preniez pas de viande à souper. Quant aux gâteaux et au thé du soir, vous supprimerez tout cela, je vous prie. Pour le thé du matin, je vous laisse libre. Pourquoi dire que c’est moi qui vous le défendrai peut-être ? N’est-ce pas du bavardage ? J’ai eu, en général, une impression peu édifiante de vos jugements sur vos supérieurs, mais ceci ne peut se réformer que par l’humilité. Je vous ordonne de demander comme pénitence à vous faire imposer par Soeur Th[érèse]-Em[manuel] de vous donner 7 coups de discipline, chaque fois que vous aurez été trop raide, ou trop irritable, ou trop orgueilleuse dans vos actions ou dans vos jugements intérieurs, pourvu toutefois qu’ils aient été bien distincts. Je vous avouerai que j’ai prié Cardenne de me rendre quelquefois le même service et que je m’en suis bien trouvé.

Ainsi, il est bien convenu que vous prierez, de ma part, Soeur Th[érèse]-Em[manuel] de vous traiter comme une de ses novices. Je crois la chose très nécessaire à votre orgueil; et, comme la vertu fondamentale d’une religieuse supérieure de sa commnunauté est l’humilité, vous aurez une grande reconnaissance à cette bonne Soeur qui vous traitera comme vous le méritez, quand votre impatience, votre irascibilité ou votre amour-propre vous auront fait faire quelque sottise.

Je m’aperçois, à mon tour, que j’ai été très fier avec vous en refusant les 3.500 francs que vous m’offrez pour M. Viefville. J’aurais dû les accepter, si cela ne vous gêne pas. De plus, je dois vous dire que M. d’Everlange me compta, le 17 décembre 1846, 2.800 francs; plus tard, vers le mois de mai, il me donna 500 francs, ce qui fait les 3.300 francs dont je vous ai parlé. Voulez-vous que nous défalquions les intérêts que vous êtes censée me devoir pour ces 3.000 francs, (les 300 ont été comptés à part) à partir du 1er janvier 1847 ? Je crois que les intérêts se balancent à peu près, et si vous êtes en perte de quelque chose, je vous paierai en messes, d’autant plus qu’il y a quelques jours d’intérêts à votre détriment ou, au moins, dans lesquels je me perds un peu. Seulement, du 1er janvier 1847 au 1er janvier 1849, il y a deux ans et les intérêts sont 300 francs, si je ne me trompe, qu’il faut défalquer avec le capital de votre dette. Vous me devez donc 3.300 francs de moins que ce que je vous ai indiqué sur ma dernière note. Remarquez que les 300 francs représentent l’intérêt des 3.000 francs que j’avais portés à tort, et non les 300 francs de M. d’Everlange, qui forment un compte à part dont il a été fait mention.

Adieu, bien chère fille. Il me faut arrêter, mais croyez bien que tout ce que vous me dites a été pris comme vous le désirez et cela sans aucun effort. Tout vôtre en Notre-Seigneur.

Monseigneur exige que je prêche le carême à la cathédrale. J’ai lutté pendant trois jours, j’ai envoyé des maîtres de l’Assomption réclamer; il n’y a pas eu moyen. Il ne me reste qu’à m’y prêter de bonne grâce, je m’y prépare en cherchant à me sanctifier. Priez pour moi. Je prêche trois fois par semaine.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum