Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 519.

29 jun 1849 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

La part que je prends à votre peine – Il est injuste de dire que vous m’*ennuyez* – Il n’est pas vrai que je prenne à la légère l’état de votre âme – Ma non-intelligence ne peut provenir que d’une permission de Dieu qui veut purifier votre âme ou vous montrer que ce n’est pas à moi à vous conduire – En tout cas vos méfiances ne m’ont pas *ennuyé*, elles m’ont fait souffrir.

Informations générales
  • PM_XIV_519
  • 0+624 b|DCXXIV b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 519.
  • Orig.ms. ACR, AD 657; D'A., T.D. 20, pp. 100-104.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PURIFICATION
    1 SOUFFRANCE
    2 FRANCHESSIN, ERNEST DE
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 29 juin 1849.
  • 29 jun 1849
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Je suis encore tout abasourdi, ma chère fille, de votre lettre qui ne m’a été remise hier soir que fort tard, et je ne me l’explique que par ce que vous me dites, en finissant, du chagrin que vous a causé le départ de M. de Fr[anchessin], en la compagnie que vous me dites. Peut-être ne devrais-je vous parler que de la part bien vraie que je prends à votre peine et laisser de côté tout ce qui m’est personnel, dans ce qui précède. Je comprends combien il doit y avoir pour vous de désenchantement et de désespérance chrétienne, dans la conduite d’un homme que vous aimez tant et qui, à son âge, donne cette preuve de peu de sérieux qu’il veut mettre dans sa vie. Mais, ma chère enfant, je sens bien qu’aujourd’hui mes paroles seraient bien incapables de vous consoler, si auparavant je ne répondais à la première et principale partie de votre lettre.

Je commencerai par dire bien franchement qu’elle me paraît une grande injustice; il n’est pas vrai que vous m’ennuyez.Je vous demande pardon de cette expression, mais je voudrais en avoir une plus énergique encore pour vous persuader, s’il est possible, de ce que je vous affirme. Il n’est pas vrai que je prenne à la légère l’état de votre âme. J’avais réfléchi pendant plusieurs jours à ce que je vous écrirais. Ainsi qu’il soit bien entendu que ce que j’ai voulu dire, je l’ai dit. Mais me suis-je bien fait comprendre ? C’est une autre question. Ce que je voulais dire m’est parfaitement présent à l’esprit; je vais vous le redire en d’autres termes. Peut-être serai-je plus heureux cette fois.

Je suis tous les jours préoccupé davantage de l’état de votre âme depuis quatre ans surtout Cette non-intelligence qui devient de plus en plus grande, ne peut avoir que trois causes, ou vous, ou moi, ou la volonté de Dieu. Je n’ose pas vous l’attribuer, parce que vous en souffrez trop. Quant à moi, s’il y a de ma faute, j’avoue que je ne comprends plus rien ni à moi-même, ni à quoi que ce soit. Il me semble être tellement sûr de moi à votre égard, je crois être tellement disposé à ne mettre au-dessus de vous que ce qui me paraît être la volonté de Dieu, je souffre trop de l’état où vous êtes depuis quelque temps, et j’en souffre trop uniquement par amitié pour vous, que sur ce point, ma chère fille, vous direz ce qui vous plaira, vous me taxerez de légèreté, – tout en m’accusant ensuite de vous adresser des insultes, – [mais] je sens trop ce que vous êtes pour moi pour que je ne passe pas au-dessus de tous ces reproches, auxquels, je l’avoue, je ne répondrais peut-être pas, si je n’y voyais un bien pour vous et si je n’avais, pardessus tout, le désir de vous faire du bien, quoi que vous en disiez.

Reste donc, ce que je crois, que cette non-intelligence entre nous vienne de la volonté ou de la permission de Dieu. S’il en est ainsi, on ne peut l’envisager que sous deux points de vue : ou Dieu pour purifier votre âme veut la faire souffrir, ce qui me paraît très naturel et ce qui est le point auquel je m’étais arrêté; ou Dieu veut vous montrer que ce n’est pas à moi à vous conduire, ce que je ne consentirai jamais à me dire. Voyez si vous voulez aller jusque-là. Cependant, il faut bien examiner aussi cette hypothèse; car enfin si, au lieu de vous faire faire des progrès dans le bien, je vous suis au contraire un obstacle, à quoi vous suis-je bon ? Et si je vous suis bon à rien, si je vous suis, au contraire, une pierre d’achoppement, ne dois-je pas me demander si ma mission envers vous ne touche pas à son terme ?

Vous ne comprenez plus mes paroles, ou je n’ai plus la grâce qui me ferait comprendre de vous. Ainsi cette lettre, qui vous a si fort peinée, je l’avais réfléchie très longtemps, sinon quant à la forme, du moins quant au fond; et, pour cette expression qui semble surtout vous affecter, qu’il faut de ces sortes d’épreuves pour ne pas tomber dans le fade, je vous avoue que je me l’appliquai encore plus à moi qu’à vous et que, à mes yeux, elle signifiait que Dieu permettait cette épreuve pour purifier tout ce qui, jusqu’au dernier atome, ne serait pas pour sa plus grande gloire. Il me paraissait que le reste de la lettre amenait à cette pensée.

Ainsi, je me résume. Tout ce qui vous fait souffrir vient

1° Ou de vous, et c’est à vous à examiner pourquoi.

2° Ou de moi, et je vous proteste que, depuis mon dernier voyage à Paris surtout, j’ai été constamment préoccupé de chercher ce qui pourrait vous être bon. Si je n’y ai pas réussi jusqu’à présent, y réussirai-je mieux plus tard ?

3° Ou de Dieu, qui veut vous éprouver, et c’est vers quoi je penche pour mon compte.

4° Ou de Dieu, qui veut nous séparer, et c’est vous seule qui, sachant ce que je vous fais souffrir, pouvez décider cet article.

Tout ce que je puis vous dire en toute vérité, c’est que vos défiances, à peu près continuelles depuis quatre ou cinq ans, m’ont, non pas ennuyé, mais bien fait souffrir. Du moment que je puis penser que je vous suis bon à quelque chose, je suis tout heureux de souffrir encore vos plaintes et de partager vos peines, autant qu’il dépendra de moi; mais recevoir sans cesse l’expression d’une défiance qui augmente tous les jours sur mon dévouement, voilà ce qui paralyse absolument mon amitié pour vous faire du bien, quoiqu’elle reste toujours la même, du moins quant à ses désirs.

Voilà, ma chère fille, ce sur quoi il faut réfléchir. La confiance ne se commande pas. N’en avez-vous plus en mon amitié ? Me croyez-vous, avec toutes les dispositions que vous m’exprimez ou que vous me laissez deviner dans votre lettre ? L’affaire de votre salut est pour moi chose trop importante, pour que je ne puisse consentir à vous y aider plus longtemps. Croyez-vous, au contraire, que, malgré tous mes défauts dont je vous fais bon marché, il y a au fond de mon coeur un dévouement qui n’a d’autres bornes que Dieu seul ? Croyez-vous encore que ce dévouement puisse être assez intelligent pour vous faire du bien ? Dans ce cas soyez un peu plus miséricordieuse et n’allez pas attaquer, de votre côté, ce qu’il y a de plus intime dans mon amitié pour vous.

Je ne réponds pas aujourd’hui aux articles de votre lettre qui ne se rapportent pas au sujet principal; ce sera pour une autre fois. Du reste, je suis souffrant. Il est 2 heures après-midi, et je n’ai pu rien prendre encore qu’un peu de tilleul. Je voudrais bien ne pas vous dire que je perds mon sang-froid, quand vous m’exprimez des doutes comme ceux que votre lettre m’indique, mais il m’est impossible de n’avoir pas le coeur brisé par certains reproches. Je demande avec instance à saint Pierre et à saint Paul de nous obtenir à l’un et à l’autre ce qui nous est nécessaire pour nous mieux comprendre désormais.

Adieu, ma chère fille. Je ne puis vous dire combien je suis attristé et combien je souhaite que votre âme retrouve, n’importe à quel prix, la paix dont elle a besoin pour se sanctifier.

Notes et post-scriptum