Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 541.

3 oct 1849 Lavagnac MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Arguments pour et contre l’acquisition de la propriété de Laverune – Sorèze – Pour mettre le noviciat à Paris, il faudrait me remplacer ici – Pourriez-vous intéresser M. Gerbet à notre oeuvre ?

Informations générales
  • PM_XIV_541
  • 0+651 b|DCLI b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 541.
  • Orig.ms. ACR, AD 673; D'A., T.D. 20, pp. 120-123.
Informations détaillées
  • 1 ANGLAIS
    1 COLLEGES
    1 MAITRES
    1 NOVICIAT DES ASSOMPTIONNISTES
    1 VENTES DE TERRAINS
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BARBEYRAC-SAINT-MAURICE, DE
    2 BARBEYRAC-SAINT-MAURICE, MADAME DE
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 DURAND, ACHILLE
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 RAYNAUD, ABBE
    3 BEZIERS
    3 CARCASSONNE
    3 LAVERUNE
    3 MARSEILLE
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PROVENCE
    3 SOREZE
    3 TOULOUSE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Lavagnac, le 3 octobre 1849.
  • 3 oct 1849
  • Lavagnac
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 94 rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Je fus interrompu hier, ma chère fille, par une visite qui m’a donné bien à réfléchir. Mme de Barbeyrac Saint-Maurice, qui a son fils chez moi, vint voir ma mère, en apparence pour faire une simple visite de politesse, mais au fond pour me dire que M. Achille Durand, le premier banquier de Montpellier, avait emprunté cinq millions à la Banque de France, au mois de janvier dernier; que, obligé de payer au mois de janvier prochain et ne pouvant se faire payer lui-même, il était obligé de vendre la plupart de ses terres et qu’entre autres il avait mis en vente une maison de campagne appelée Lavérune, qui n’était qu’une terre d’agrément. Lavérune est l’ancienne maison de campagne des évêques de Montpellier et de leur séminaire. C’est, à trente lieues à la ronde, la maison la plus convenable pour une communauté. Elle est à trois quarts d’heure de Montpellier, sur une grand’route. Il n’y a qu’un parc, très grand pour nos pays, tout clos de murs, composé de très beaux bois, de prairies et d’une pièce d’eau qui est réputée la plus grande des environs. Les bâtiments sont disposés pour une communauté; les murs sont excellents, mais il y aurait des réparations intérieures à faire. M. Durand l’a payée 200.000 francs; on m’assure qu’il la vendrait pour 150.000.

J’ai répondu : 1° que je ne voyais pas la nécessité de quitter Nîmes; 2° que je ne croyais pas que le moment fût venu de changer de place, mais que si les parents de Montpellier désiraient que je vinsse m’établir chez eux, il fallait qu’ils payassent eux-mêmes la propriété, et en me donnant 200.000 francs : 150.000 pour le prix d’achat et 50.000 pour les réparations mobilières, dont je leur paierais l’intérêt avec 4 %. Voilà quelle a été ma réponse, qui ne me compromet pas. Mais maintenant, je voudrais discuter avec vous ce qu’il est opportun de faire. Voici les motifs pour et les motifs contre. Je vous donne les uns et les autres comme simple rapporteur. Il m’est impossible d’avoir encore un avis.

Si je vais à Lavérune, je m’éloigne de Marseille et il est à craindre que les enfants de la Provence ne me viennent plus. On me répond : Vous en aurez davantage du côté de Montpellier, de Béziers et de Carcassonne.

A la campagne, je ne pourrai pousser les enfants aux visites des pauvres, qui deviennent tous les jours pour moi un des moyens les plus puissants d’éducation. On répond : Lavérune n’est qu’à une heure de Montpellier; on fera les visites des pauvres le jeudi et le dimanche. Pesez bien ceci, rien à mon avis n’est admirable comme le développement d’idées, que la vue des pauvres opère dans nos enfants. Gêner cette action, la diminuer seulement me semblerait funeste.

A la campagne, dans un village, les professeurs mariés seraient fort mal. Un répond : ils vivront meilleur marché, et les femmes n’en seront pas fâchées. On ajoute que l’on est plus libre, plus indépendant; que le noviciat peut se faire plus aisément, que l’on peut bâtir dans le parc à bien moins de frais. Oui, mais on n’aura pas de maîtres d’agrément. – On en trouve dix fois plus à Montpellier qu’à Nîmes; ce qui est très vrai.

Maintenant que je vous ai analysé les principaux arguments pour et contre, tels que M. Cardenne – qui est ici – et moi les avons discutés, je dois vous dire que M. Cardenne est avec fureur pour Lavérune et que, quant à moi,j’y ai une certaine répugnance : 1° J’aime peu Montpellier; 2° A se déplacer, je voudrais faire deux maisons, l’une à Marseille, l’autre ; Sorèze; 3° Si je quitte Nîmes, je dois pour longtemps renoncer au T[iers]-O[rdre] des femmes. Est-ce là une considération ? Enfin, – et voici la pensée qui me frappe le plus, – il me semble que, tant que nous n’aurons pas un noviciat fait et des engagements pris, nous ne devons pas songer à nous déplacer, à moins que le bon Dieu ne fasse lui-même les choses, parce que la prudence humaine semble s’y opposer; qu’en le laissant faire, au contraire, tout s’arrangera de soi, si nous devons quitter Nîmes. Voilà à moi ma pensée et mon impression.

Quant à Cardenne, il prétend qu’il ne faut pas tenter Dieu, qu’une communauté seule peut acheter Lavérune, que c’est une maison faite tout exprès pour nous, et qu’il faut que la Providence ait arrangé les choses pour avoir à si bon prix une maison que M. Durand, en temps ordinaire, n’eût pas vendu 400.000 francs, s’il l’eût vendue. Quoi qu’il en soit, je suis résolu à ne rien faire et à voir venir, mais j’ai voulu vous tenir au courant de tout.

Votre lettre du 2 me parvient. Comme je pense que vous n’aimez pas à voir sur la même feuille les affaires de l’oeuvre et ce qui concerne votre conscience, je finirai ici par vous dire : que l’on est encore revenu à la charge, indirectement il est vrai, pour ce qui concerne Sorèze; d’où je conclus que je suis bien embarrassé. Vous espérez toujours voir le noviciat à Paris. Eh ! ma chère fille, je ne demande pas mieux; mais trouvez-moi quelqu’un pour me remplacer ici, de façon à ce que tout ne se disloque pas, quand j’en suis absent. C’est pour moi la véritable pierre de touche. J’ai souvent eu idée que M. Gerbet pourrait être pour nous un excellent ami. Il pourrait par son influence nous ménager bien des moyens de réussir, s’il le voulait bien. Lui parlez-vous de notre oeuvre de Nîmes ? Il me paraît qu’il doit la goûter. Et si j’allais faire un noviciat à Paris, avec qui le ferais-je ? Qui voyez-vous qui pût nous venir ? Enfin, nous causerons de tout cela dans trois semaines. Nous aurions trois Anglais. Mais quels Français sur qui compter ?

Avez-vous eu le temps d’écrire à l’abbé Reynaud ? Il y a ici, en ce moment, un prêtre établi à Toulouse, mais que je connais depuis trente ans. Il ne cesse de me presser d’accepter Sorèze, que l’on me céderait à des conditions très belles. On prétend que je l’aurais, en restant quatre ans sans payer d’intérêts; ensuite, je paierais le 4 % et je rembourserais le capital au fur et à mesure que je rentrerais dans mes fonds. Ceci me semble presque trop beau.

Adieu, encore une fois. Voilà qu’on vient prendre mes lettres. Vous m’excuserez et me devinerez, si je ne me relis pas.

Notes et post-scriptum