Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 21.

26 feb 1850 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Faire pénétrer l’esprit de N.-S. et non le nôtre dans l’oeuvre de l’Assomption – Enfants corrompus – Quelle est ma responsabilité ? – Un sujet parfait que j’aimerais voir chez vous.

Informations générales
  • PM_XV_021
  • 0+679 a|DCLXXIX a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 21.
  • Orig.ms. ACR, AD 701; D'A., T.D. 20, pp. 142-144.
Informations détaillées
  • 1 RENVOI D'UN ELEVE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    3 AVIGNON
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 26 février 1850.
  • 26 feb 1850
  • Nîmes
  • Maison de l'Assomption
La lettre

Je n’ai pas grand’chose à vous dire aujourd’hui, ma chère fille. Je vous ai écrit assez longuement la dernière fois; et pourtant il me semble que j’ai besoin de vous parler un peu et toujours de la nécessité de faire bien pénétrer l’esprit de Notre-Seigneur dans cette pauvre petite oeuvre de l’Assomption. Que faisons-nous, en effet, en y laissant se développer notre esprit à nous ? C’est-à-dire nos défauts, nos misères, nos idées tout humaines. Est-ce pour cela que des âmes sont venues nous confier la responsabilité de leur salut et de leur sanctification ? Hélas ! voilà des années que nous avons cette charge, et que voyons-nous s’accomplir pour le bien ? Souvenez-vous des détails que vous m’avez donnés sur vos filles. Je pourrais vous faire un tableau semblable des miens. Mais dans tout cela, où est la vie complète de Notre-Seigneur, reproduite avec amour par des chrétiens qui veulent être parfaits ? Tout cela me préoccupe beaucoup, je vous assure, et me force à penser que, puisqu’il n’est pas bon de se décourager, il faut autant que possible commencer par travailler sérieusement, vous et moi, afin d’arriver à notre but, qui est Jésus connu et glorifié dans les âmes.

Le 27.

Votre lettre des 20 et jours suivants m’arrive. Je suis un peu contrarié de ce que vous me dites qu’Hippolyte est parti sans amener personne avec lui. Nous en avons pourtant bien besoin, et, d’après ce qu’il m’avait dit dans ses précédentes lettres, je croyais qu’il aurait compris ce qu’il avait à faire, du moins en m’écrivant plus exactement; car voilà dix jours que je n’ai pas un mot de lui, et c’est vous qui m’apprenez qu’il a dû partir. En ce moment, la maison va assez bien. Et pourtant, la nuit dernière, j’ai dû me décider à renvoyer encore un enfant qui faisait, depuis quelque temps, des communions sacrilèges et engageait un de ses camarades à cacher certains péchés en confession. J’avais découvert sur lui des faits extrêmement graves, mais ce dernier trait m’a décidé à ne pas tarder une minute, et ce matin je l’ai renvoyé sans tambour ni trompette; ce qui a produit un excellent effet dans la maison. Mais, ma fille, qu’espérer d’enfants qui en sont à ce point de corruption d’ériger l’impiété en système, dans un âge si peu avancé ? Je frémis en y réfléchissant, surtout lorsque je me demande s’il n’y a pas là de ma faute, et je me réponds que, très probablement, il y en a plus que cela ne paraît du premier coup. Quoi qu’il en soit, j’ai pris la résolution de me mettre de toutes mes forces à la sanctification de la maison, et, Dieu aidant, j’espère y réussir.

La jeune personne, dont je vous ai parlé, est fille d’un employé dans les droits réunis, si je ne me trompe. Il est mort et a laissé cette enfant, avec sa mère et deux frères. Or, pour vivre, ils ont un bureau de tabac. Le fils aîné a été en quelque sorte adopté par moi. Je lui ai donné une bourse complète ici. Or, cette jeune personne meurt d’envie de se faire religieuse. Elle a été faire une retraite à la Visitation, où l’on a été enchanté d’elle. Je l’ai vue plusieurs fois. Son éducation n’est pas brillante, je crois, au point de vue de l’instruction; mais elle a un caractère si parfait, tant de grâce naturelle, malgré un petit défaut de langue, une piété si bien entendue, un esprit de foi et de dévouement à ses devoirs si parfait, qu’il me paraît voir en elle un sujet parfait. A Avignon, on les prendrait, elle et sa mère, pourvu que quelqu’un voulût se charger de son plus jeune frère. Il a fallu que je me tinsse à quatre pour ne pas consentir à le prendre, comme son frère aîné, pour rien. Ce dernier est un très bon élève, et l’on dit que le cadet est extrêmement distingué. Si je pensais que vous pourriez prendre la mère à votre compte, je me chargerais bien du petit garçon, mais je prévois que je vais en faire une grosse affaire avec les visitandines d’Avignon. Je dois aller assister demain à une séance du Cercle catholique avignonnais, et peut- être profiterai-je de l’occasion pour faire quelque tentative de façon à tout arranger. Veuillez seulement me répondre si vous pourriez consentir à prendre par-dessus le marché une femme de quarante-cinq ans, qui vous arriverait avec cent écus pour son entretien. Ceci me semble un peu imprudent. La jeune personne a dix-neuf ans. Si je prenais son frère, vous seriez censée me payer sa pension; mais ceci s’arrangerait plus tard.

Adieu, ma fille. Avec la meilleure volonté, le temps me manque et je veux que ma lettre parte ce soir. Mille fois à vous en Notre-Seigneur. Je tâcherai de vous écrire au plus tôt pour ce qui vous concerne.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum