DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.59

29 apr 1859 Lavagnac PERNET Etienne aa

Ne pouvant aller à Paris, il répond à son rendement de compte. Il a besoin de se retremper dans la prière pour obtenir le courage sacerdotal et religieux qui lui manque beaucoup trop.

Informations générales
  • DR03_059
  • 1222
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.59
  • Orig.ms. ACR, AP 286; D'A., T.D. 34, n. 10 p. 14.
Informations détaillées
  • 1 COLLEGE DE CLICHY
    1 CURES D'EAUX
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 REPOS
    1 SANTE
    1 VIE DE PRIERE
    2 CUSSE, RENE
    2 LAURENT, CHARLES
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    3 CLICHY-LA-GARENNE
    3 LAMALOU-LES-BAINS
    3 PARIS
  • Au Père Etienne Pernet
  • PERNET Etienne aa
  • [Lavagnac], 29 avril 1859.
  • 29 apr 1859
  • Lavagnac
La lettre

Je comptais aller vous porter moi-même ma réponse au rendement de compte que vous m’avez envoyé, il y a quelque temps, mon cher ami; voilà pourquoi, par l’effet de circonstances indépendantes de ma volonté, je vois mes plans changés et je viens vite causer avec vous(1). Laissez-moi vous dire, tout d’abord la peine que me fait la disposition de votre âme, qui est toujours portée à une sorte de découragement. Cela sent beaucoup trop la dévote; il y a au-dessous une plainte, et même un murmure que je ne puis accepter de la part d’un religieux. Tout cela contraste avec ce besoin de se donner aux oeuvres extérieures. Est-ce qu’on est capable de porter les autres, quand on l’est si peu de se porter soi-même? Sous l’influence de quel mauvais génie êtes-vous donc pour vous laisser ainsi abattre? Autrefois, bien avant que vous ne fussiez prêtre, vous n’éprouviez pas ces défaillances, et maintenant que vous montez tous les jours à l’autel, on dirait que vous n’avez plus aucune force. Retrempez-vous dans la prière, qui, pour vous, est encore plus nécessaire que la science, et que vous obteniez en priant ce courage sacerdotal et religieux qui vous manque beaucoup trop.

Adieu, mon cher ami. Au lieu d’aller à Paris, j’irai à Lamalou; ma santé l’exige après le carême que j’ai prêché à nos enfants et dont j’ai ressenti les fatigues après Pâques.

Adieu, encore une fois. Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Parmi les reproches que le P. Pernet se fait dans son rendement de compte, il signale d'abord que, depuis le départ du P. d'Alzon, il n'a parlé de son intérieur à personne.
"Votre dernière visite nous avait fait du bien, écrit-il alors, elle avait mis de l'entrain parmi nous. Pour ma part, il y avait eu retour assez prononcé du côté de la vie intérieure et de la profession religieuse. Aujourd'hui, je sens que votre influence me fait défaut; mon esprit et mon coeur sont plus répandus dans les choses du dehors qu'épris des douceurs et des biens de la vie de retraite et de contemplation. Second reproche à m'adresser, c'est donc de ne point travailler avec zèle à devenir un homme d'oraison. Vous voulez pourtant cela de chacun de nous avant tout le reste.
"Mis en dehors de toute affaire, je me tiens peut-être trop étranger à ce qui pourrait procurer le bien de notre maison de Clichy. Je ne voudrais point me jeter en avant, ni prendre une initiative qui pourrait être hors de saison. J'attends, toujours prêt à ce qu'on voudra de moi. Cela n'empêche pas que les jours, les semaines, le temps, me semblent fuir comme un éclair. Voici la réflexion que je faisais il n'y a pas longtemps: La vie est comme une pierre qui tombe de haut et qui redouble de vitesse dans sa course à mesure qu'elle approche du terme qui doit l'arrêter. De toute cette vie qui s'en va, il ne restera rien que les instants qui auront été fixés au livre de vie par les bonnes oeuvres et l'amour de Dieu. Malgré mes mille défauts, je crois que je suis attaché de coeur à l'un et à l'autre. Mais amour stérile et inutile , et qu'une lâcheté éternelle annihile.
"Je suis par-dessus tout professeur d'une classe d'un élève, et de huitième. On me promet deux ou trois autres élèves pour après Pâques. La besogne n'en sera guère plus dure. Quatre heures de classe par jour; ajoutez à cela quelques petits dérangements par-ci, par-là de surveillances supplémentaires, et vous aurez pénétré dans les profondeurs de mon existence active et officielle.
Avant et après les classes, le P. Cusse m'enferme chez lui, et nous voilà feuilletant théologie, droit canon et liturgie. Je suis heureux de pouvoir consacrer tant d'heures aux études sacerdotales. J'en ai déjà tiré un excellent fruit qui est de me douter maintenant de tout ce qu'un prêtre a besoin de savoir pour être de quelque utilité aux âmes et au bien de l'Eglise.
"Nous nous proposons avec le P. Cusse des choses grandioses en fait d'études. Mais qui sait l'avenir et comment Dieu mènera les choses: en attendant, profitons."
Impressionné par le vide apparent de sa vie, le P. Pernet avoue au P. d'Alzon son désarroi. Des raisons de santé venaient s'y ajouter. En effet, le 14 avril, il avait écrit au P. Hippolyte Saugrain, qui le désirait comme surveillant à Nîmes: "Je ne me sens plus le courage de désirer une surveillance suivie et complète; je ne crois pas y mettre de la mauvaise volonté. Mais quand j'ai fait seulement deux heures de surveillance, je n'en puis plus. Cela tient évidemment à un état de santé qui ne va guère s'améliorant. Je dors assez mal, digère plus mal encore; les nerfs sont excités; habituellement la migraine occupe ma tête. Ajoutez à ces légères indispositions de la fatigue dans les membres, des douleurs d'entrailles assez persévérantes, et vous comprendrez s'il y a quelque chose d'étonnant à ce que l'embonpoint me soit tout à fait étranger. Vous comprendrez aussi combien je dois être peu porté à rechercher une tâche aussi pénible que celle de surveillant."
Le 29 avril, Mère M.-Eugénie écrivait au P. d'Alzon: "Clichy ne va pas bien; le P. Cusse y souffle un vent destructif, à mon sens, de toutes les idées religieuses. Le P. Laurent doit y souffrir; il n'est à l'aise, je crois, qu'avec le P. Picard et nous; du reste, avec sa grande discrétion, il ne se plaint pas. Je ne sais quelque chose que par le P. Picard et mes propres observations."