DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.104

3 jun 1859 Nîmes PERNET Etienne aa

Théorie et pratique. – Le P. Cusse. – La seule influence que vous puissiez accepter est celle des supérieurs.

Informations générales
  • DR03_104
  • 1253
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.104
  • Orig.ms. ACR, AP 288; D'A., T.D. 34, n. 21, p. 15.
Informations détaillées
  • 1 DROIT CANON
    1 GOUVERNEMENT DES RELIGIEUX
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 SUPERIEUR DE COMMUNAUTE
    2 CUSSE, RENE
    2 LAURENT, CHARLES
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    2 PICARD, FRANCOIS
    3 CLICHY-LA-GARENNE
  • Au Père Etienne Pernet
  • PERNET Etienne aa
  • Nîmes, le 3 juin 1859.
  • 3 jun 1859
  • Nîmes
  • Evêché de Nîmes
La lettre

Mon bien cher enfant,

Le P. Cusse est arrivé et m’a remis votre lettre(1). Voyez comme j’ai l’esprit mal fait, vos distinctions entre la manière pratique et théorique m’ont fait partir d’un immense éclat de rire. Pour en finir avec Cusse, il sait beaucoup, mais c’est un esprit faux et surtout dépourvu de sens pratique pour employer votre expression. Il m’a compromis une fois à Rome et ne m’y compromettra pas deux.

Quant à vous, c’est autre chose. Vous avez les plus pures et les plus surnaturelles intentions, seulement vous subissez des influences et il suffit d’avoir deux yeux pour le voir(2). Les meilleures influences que vous puissiez accepter sont celles de vos supérieurs, et, avec le genre d’esprit que vous avez, ce sont les seules qui vous donneront la paix. Faites effort pour surmonter les petites difficultés qui se présentent et allez en paix dans une douce et confiante obéissance.

Adieu. Je vous embrasse de tout mon coeur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Lettre datée du 29 mai et dans laquelle le P. Pernet se signale une fois de plus par son esprit profondément religieux, sa franchise et son amour de la paix dans la charité. Voici ce qu'il écrivait:
"Vous pouvez, mon Père, lire ma lettre puis ensuite libre au P. Cusse d'être mon interprète auprès de vous. Je lui donne toute licence. Vous l'écouterez d'une oreille et en même temps vous me lirez du coin de l'oeil. [...] D'après bien des choses que je sais de science certaine, il me semble entrevoir que différentes questions vous seront adressées et quand on vous dira que ces questions résument les dispositions d'esprit de plus d'un, voici ce que je vous prie d'en prendre pour ma part. A mon avis, le P. Cusse est un homme d'une valeur réelle, animé d'un zèle ardent, vrai et *selon moi éclairé* pour le bien et le développement de la congrégation. Ses aperçus ou pour mieux dire ses données, théoriquement parlant, me paraissent avoir une grande portée. Non seulement elles ne contredisent pas le bon sens et la raison, mais elles ont reçu la sanction de l'Eglise et du droit dans tous les siècles depuis qu'il y a des ordres religieux. Remarquez, mon Père, que j'ai dit théoriquement parlant. Quant à l'application de ces grands principes qui ont été et seront toujours, je le crois, la force et la vie d'un corps, je ne me permettrai pas sans votre permission expresse d'en dire un seul mot touchant notre petite famille. [...] Soyons une famille bien unie, pleine de confiance réciproque et d'affection, généreuse et sincère. Vivons dans la paix. C'est pourquoi j'ai répété à notre cher Cusse: craignons les extrêmes, ne nous montons pas les têtes. [...]"
Et le P. Pernet résume sa position: "J'avoue donc, mon Père, que quant aux principes, je suis d'accord avec le P. Cusse. Quant à leur application je la souhaite pour le bien de tous et la prospérité de l'oeuvre, mais je la désire sans violence ni trouble. Je suis intimement convaincu que si Dieu vous bénit et aussi vos enfants, il vous amènera à tout régler et tout former selon tout droit et toute discipline religieuse. La chose ne pouvant se faire sur d'autres bases."
2. Le P. Picard, le P. Laurent et Mère M.-Eugénie elle-même avaient signalé au P. d'Alzon l'emprise que le P. Cusse exerçait sur le P. Pernet. Voici ce qu'avait écrit Mère M.-Eugénie le 14 mai: "Imaginez-vous que le P. Pernet pendant les deux jours de repos qu'il a pris ici ne parlait que de retourner à ses études de *droit canon* faites avec le P. Cusse. Je lui demandais à quoi bon pour lui en riant, et il me dit: *c'est très utile pour connaître le droit commun*, c'est-à-dire d'après le sens de ses phrases, les droits de chacun, ceux des religieux, ceux des Supérieurs... Il ne disait pas cela, mais pour moi, il était clair comme le jour que c'est là le thème des enseignements du P. Cusse, ses idées dans la conversation, et qu'il fait voir à ces pauvres gens tout ce qu'il a dans la tête le leur donnant pour science."
Et quand le P. d'Alzon écrit au P. Pernet, il vient à peine de recevoir du P. Laurent une lettre (du 28 mai) où le supérieur de Clichy résume en dix points les raisons de mécontentement du P. Cusse telles que ce dernier les a exprimées au cours d'une "vive fusillade". Parmi les reproches que le P. Cusse fait à la congrégation, il y a celui-ci: "On y dépend des caprices des Supérieurs: il n'y a pas de règle. Il faudrait au moins que l'on fût gouverné selon le droit commun".
Brutalement résumé, n'est-ce pas ce qu'avec beaucoup de respect le P. Pernet a écrit au P. d'Alzon? A propos du P. Pernet, voici d'ailleurs ce qu'écrit le P. Laurent: "Le P. Pernet depuis qu'il a lu trois règles d'ordre et le droit commun, fera tout ce qu'on voudra, mais il ne peut pas ne pas dire que cette lecture lui a été utile et qu'on ne peut pas traiter les hommes comme des machines et que depuis dix ans la Congrégation n'a pas marché. Le P. Pernet dit toutefois tout cela dans un bon esprit et j'ai vu avec plaisir qu'il se met à l'écart."
Cependant le supérieur de Clichy juge la situation si grave qu'il croit pouvoir dire au P. d'Alzon: "Le P. Cusse, avec ses récriminations, ses inquiétudes et sa science fort peu pratique fait beaucoup de mal... il faut lui donner sa liberté si vous voulez sauver la Congrégation. Un pareil esprit n'est pas tolérable. Le supprimer dans sa source est le seul moyen de le corriger. Il en est temps."
Dans ces conditions, il restait au P. Pernet bien peu de chances de convaincre le P. d'Alzon du *zèle éclairé* du P. Cusse...