DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.135

21 aug 1859 Clichy ROZET Françoise-Marie ra

A son avis, elle a cent chances de plus de se sauver sous le voile que dans la crinoline. – N.S. saura la dédommager de ce qu’elle aura fait pour lui. – Les saints ayant toujours été des originaux, son originalité est un gage de perfection… – Il est plein de compassion pour elle dans sa perplexité. – Il a toujours eu un faible pour les originaux. – Le bon Dieu nous prend comme nous sommes.

Informations générales
  • DR03_135
  • 1285
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.135
  • Orig.ms. AC R.A.; D'A., T.D., 35, n. 4, p. 62.
Informations détaillées
  • 1 MISERICORDE DE DIEU
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 DEBUSSI, MAXIME
    3 CONSTANTINOPLE
  • A Mademoiselle Camille Rozet
  • ROZET Françoise-Marie ra
  • Clichy, 21 août [18]59.
  • 21 aug 1859
  • Clichy
La lettre

Ma chère enfant,

Votre lettre me donne réellement à réfléchir, et vous êtes une petite personne qui tourne pour moi à l’énigme. Si vous croyez que le bon Dieu viendra en chair et en os vous dire: « Mademoiselle, faites-moi l’honneur de devenir mon épouse », vous êtes dans une grande erreur. Si donc, après avoir fait l’essai que vous venez de faire, vous croyez que le couvent ne sera pas pour vous un séjour supportable, permettez au mortel que vos parents vous auront choisi de vous présenter ses voeux.

Je ne vous ai jamais dit, chère petite, que le couvent fut la condition sine qua non de votre salut. Vous pouvez vous sauver dans le monde, peut-être même y faire du bien. Seulement je continue à penser que telle que vous vous êtes montrée à moi, vous avez dix chances, cent chances de plus de vous sauver sous le voile que dans la crinoline. Voilà ma très profonde conviction. C’est donc à vous de voir. Posez-vous par la pensée entre un mari et Notre-Seigneur, voyez lequel des deux vous voulez choisir. Seulement si vous penchez pour le mari, Notre-Seigneur ne vous abandonnera certainement pas; mais si vous donnez la préférence à Notre-Seigneur, après avoir un peu souffert, je pense que Notre-Seigneur saura bien vous dédommager de ce que vous aurez fait pour lui. Ce qui me donne de grandes espérances pour votre perfection, c’est que le vieux P. de Bussy disait toujours dans ses retraites pastorales que les saints avaient été des originaux, et que si quelque chose vous manque, ce n’est sûrement pas l’originalité.

Adieu, ma fille. Après ce que je vous ai dit, c’est à vous à dire un bon je veux ou je ne veux pas. Seulement quelque parti que vous preniez, faites-le moi bientôt connaître.

Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Je viens de relire votre lettre, et, après avoir bien prié le bon Dieu pour vous, quelque chose me pousse à vous adresser quelques mots moins durs que ceux qui précèdent. Quand je me rappelle la manière dont j'ai dû soutenir quelques pauvres âmes dans votre perplexité, je me demande pourquoi je ne vous donnerai pas un peu de compassion. Si l'on n'était pas faible, aurait-on besoin d'être soutenu? Enfin, mon enfant, ne m'en veuillez pas si je vous trouve un peu originale, on m'a toujours reproché d'avoir un faible pour les originaux. Servez Notre-Seigneur avec votre nature, vous ne pouvez pas le servir avec celle du grand lama. Le bon Dieu nous prend comme nous sommes, et c'est ce qui prouve son infinie bonté.|Je vous attends au mois de décembre, et souvenez-vous que c'est moi qui vous donnerai l'habit(1).1. Camille Rozet, Soeur Françoise-Marie, n'entra à l'Assomption qu'en 1862 et prit l'habit en mars 1863: le P. d'Alzon était alors à Constantinople.