- DR03_180
- 1331
- DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.180
- Orig.ms. ACR, AD 1214; D'A., T.D. 22, n. 592, pp. 245-248.
- 1 AMOUR DU CHRIST
1 DIRECTION SPIRITUELLE
1 MALADIES
1 PRIEURE DE NIMES
1 REPOS
1 SYMPTOMES
2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
2 CABRIERES, ANATOLE DE
2 DUSSAUD
2 GALABERT, VICTORIN
2 KOMAR, LOUISE-EUGENIE DE
2 MALBOSC, FRANCOISE-EUGENIE DE
2 MARTHE, SAINTE
2 PICARD, FRANCOIS
2 REVEILHE, DOCTEUR
2 SABRAN, HELENE
2 VARIN D'AINVELLE, JEANNE-EMMANUEL
3 NIMES - A la Mère Marie-Eugénie de Jésus
- MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
- [Nîmes], 14 décembre 1859.
- 14 dec 1859
- Nîmes
Je vous avais promis une lettre avant-hier, ma chère fille, mais l’homme propose et Dieu dispose. Dimanche, dans la journée, je me sentis pris de frissons, de mal de tête et de mal de gorge. Le soir on vint me dire que 17 soldats étaient morts en un jour de la petite vérole à l’Hôtel-Dieu. Je crus que je devais soigner ces symptômes, je me suis mis au lit de bonne heure; lundi j’y restai sans difficulté, sur l’ordre de M. Réveilhe. Hier j’aurais pu parfaitement me lever, je ne me sentais plus aucun mal, par obéissance j’y restai encore. Aujourd’hui on me défend de sortir; mais par le dortoir, sans sortir, je suis allé dire la messe avec un peu de difficulté, il est vrai, mais enfin je l’ai dite. Je compte rester enfermé aujourd’hui et demain, pour raison de santé. Par là je mettrai un peu plus évidemment à flot l’arriéré de correspondance que j’ai avec bien de vos filles et d’autres personnes encore. Dans tous les cas je veux commencer par vous.
Il commence à se former quelques orages entre Soeur M.-Aug[ustine] et moi. Je me suis permis de lui dire très sérieusement que je la trouvais très peu sérieuse. Cela la désole. Elle m’a écrit une lettre de dignité. Quand je l’ai vue, je l’ai traitée un peu rondement, et cela a passé. Quand est venue la question de planter des arbres, elle avait une idée; j’en avais une autre, que je croyais approuvée par vous et qui, du reste, avait l’assentiment complet de Soeur Fr[ançoise]-Eug[énie]. Je lui ai dit mon opinion en particulier, elle l’a combattue, j’ai tenu bon. Dussaud étant venu, tandis que je lui expliquais ma pensée qu’il approuvait, sauf quelques modifications très raisonnables qui avaient trait à la possibilité d’arroser plus aisément, Soeur M.-Aug[ustine] vient se mettre en travers. Je lui dis tout net que la chose étant arrêtée, il n’y avait pas à y revenir. Evidemment il y eut un orage dans sa tête; mais elle le prit très bien, car il faisait froid, mouillé, et, avant que je ne dis la messe, elle vient m’apporter un chauffe- pieds. J’en fus touché, quoique je refusasse, (en quoi j’eus tort, car j’y ai pris une douleur de rhumatisme au pied et peut-être une courbature). Depuis, elle me fait demander par le P. Galabert six communions par semaine. Je lui fais répondre que je lui en permets quatre seulement les semaines, où elle n’aura pas travaillé tous les jours à la rédaction de ses cours. Alors elle entre en fureur, sauf à avoir le lendemain des scrupules de ses colères contre moi.
Mais voici ce qui m’arrive, c’est que voyant que mes oreilles lui échappent, elle s’empare de celles du Père Galabert. J’avais prévu la chose. Soeur Fr[ançoise]-Eugénie avait établi de lui donner tous les jours à déjeuner, je l’avais défendu. Cette bonne Soeur, sous prétexte que aller et venir si loin, pendant l’hiver, à jeun fatiguerait son chapelain m’a tant conjuré de lever la défense que je l’ai levée. Il en est résulté que tous les matins Soeur M.-Aug[ustine], par pur amusement, va jaser avec le P. Gal[abert] et que cela dure quelquefois jusqu’à 9 heures. Comme je suis sûr de celui-ci, je n’ai qu’à lui recommander d’être rendu ici à heure fixe, il y sera; mais Soeur M.-Aug[ustine] ira le trouver à la sacristie, ce qu’elle fait déjà. Je tâcherai d’y songer encore, mais je conclus: 1° à la nécessité de tenir cette pauvre fille éloignée du noviciat; 2° à l’indulgence envers les Soeurs qui vivent auprès d’elle et qui subissent involontairement son influence; 3° à la facilité très pardonnable de la pauvre Soeur Jeanne-Emmanuel(1) de parler du jardin et d’autres choses encore, quand aux récréations Soeur M.-Aug[ustine] ne cesse, malgré les observations de Soeur Fr[ançoise]-Eugénie, de juger, blâmer et critiquer.
Si je vous conte tout ceci, c’est qu’ayant aujourd’hui un peu de temps, j’ai voulu par ces détails vous donner une idée de cette petite lutte continuelle que j’ai à subir. Autre exemple. Si je n’eusse pas été souffrant, je serais allé hier assister à une représentation des élèves donnée pour la Sainte-Catherine et différée à cause de la maladie d’Hélène Sabran. Elle m’a demandé dix fois d’inviter M. de Cabrières; je répondais toujours que j’amènerais le P. Galabert. Elle insistait. J’ai fini par faire observer que M. de Cabrières étant à l’évêché était moins libre. Ma vraie raison est que je trouve inutile que l’on sache partout qu’on joue ou qu’on ne joue pas des pièces au prieuré. N’importe, elle m’a [écrit] encore deux fois, si je ne me trompe, depuis dimanche, pour me rappeler d’amener M. de Cabrières. Et savez-vous la raison? C’est que M. de Cabrières étant amusant et le P. Galabert ennuyeux, pendant la représentation elle pourrait causer avec M. de Cabrières, s’il venait, tandis que s’il ne vient pas, je serai absorbé par Soeur Fr[ançoise]-Eug[énie] et qu’elle n’aura pour tout potage que le Père Galabert. Ah! ma fille, comment avez-vous pu vivre dix-huit ans avec une pareille cervelle(2)?
Je m’arrête pourtant aujourd’hui, sauf à vous écrire encore demain, si je ne suis pas mort. Je voulais vous parler de vous, je vous parle de Soeur M.- Augustine. Il faudra bien pourtant que je vous en dise quelque chose demain ou ce soir. Pour à présent, je m arrête.
Tout vôtre, chère fille, du fond du coeur.
E.D’ALZON.
Jeudi matin [= 15 décembre 1859].
Je me suis aperçu, hier soir, que ma lettre ne vous arriverait pas plus tôt à Auteuil pour être mise à la poste avant ce matin, c’est pour cela que j’ai le temps d’ajouter quelques lignes.
Puisque vous voulez rompre tout ce qui répugne à votre goût, vous avez bien fait de dire au P. Picard ce qui vous fait peine, mais je ne pense pas que habituellement ce soit nécessaire. Je crois bien plutôt que vous ferez bien de revenir avec moi sur les obéissances que je vous ai données et que vous n’avez pas accomplies. Vous voilà, ce me semble, disposée à entrer dans cette voie d’amour, vers laquelle il me semble que Notre-Seigneur veut que je vous pousse. Si d’autres ne vous y soutiennent pas, je crains qu’il n’y ait défaut d’unité dans la direction et trouble pour votre âme. Or tout me pousse à vous conduire dans cette voie de tendresse pour notre divin Maître, dans laquelle il me semble que vous décuplerez vos forces, pourvu que vous y entriez généreusement.
La vue que vous avez eue de l’amour de Dieu sur vous est très précieuse, et il faut y revenir tant que vous pourrez. Croyez-moi, ma fille, c’est par le coeur plus que par la tête qu’il faut servir Notre-Seigneur. Vous avez prouvé que vous saviez être Marthe, mais il faut être quelque chose de mieux. Ainsi vous aurez la bonté:
1° Dans votre oraison de vous attacher surtout à vous exciter à l’amour envers Notre-Seigneur;
2° Dans la journée vous offrirez vos actions avec tout l’amour dont vous êtes capable;
3° Vous tâcherez de faire passer l’esprit de Notre-Seigneur à travers les pores de votre corps et les tissus de votre robe, pour que tout le monde le ressente auprès de vous;
4° Vous me rendrez compte au plus tôt des manquements que vous avez commis contre les quelques pratiques que je vous avais imposées.
Le Père Picard est ravi de vos conseils; il craint seulement de vous faire perdre votre temps. Comment va Nathalie?
2. "Je reconnais bien Sr M.A. dans toutes les petites choses que vous me dites, répondra Mère M.-Eugénie, mais je puis vous assurer qu'elle ne témoigne aucun mécontentement... Dans toutes ses lettres, vous êtes toujours à la meilleure place possible... Mais puisqu'elle trouve le P. Galabert ennuyeux, pourquoi va-t-elle le chercher? C'est à cela que vous ferez le mieux de remédier en donnant une heure à ce Père pour rentrer, afin qu'il ne soit pas bientôt usé auprès d'elle et ne fasse pas fi de lui parler à d'autres moments quand il se trouve être votre socius."