DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.220

26 mar 1860 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Sa soeur aînée est gravement souffrante. – Il répond à ses deux billets. – Il renonce à faire planter convenablement le jardin. – Le P. Brun a été prié de s’en rapporter à elle pour les négociations sur les terrains. – Elle ne doit pas ajouter à ses soucis de supérieure générale tous ceux d’une supérieure particulière: il va demander à Soeur Thérèse-Emmanuel de la surveiller sur ce point. – Soeur M.-Augustine et les voyages des soeurs. – Il ne l’approuve guère de s’être tuée au chevet de Soeur M.-Joséphine, mais l’approuve fort de consacrer une heure entière à l’oraison. – Qu’elle continue à se tenir au pied de la croix et s’exerce à faire beaucoup sans agitation. – Pour son compte, il lui semble gagner de ce côté. – Dieu le travaille aussi.

Informations générales
  • DR03_220
  • 1369
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.220
  • Orig.ms. ACR, AD 1227; D'A., T.D. 22, n. 607, pp. 257-259.
Informations détaillées
  • 1 JARDINS
    1 MALADES
    1 ORAISON
    1 PRIERES AU PIED DE LA CROIX
    1 SOINS AUX MALADES
    1 SUPERIEURE
    1 SUPERIEURE GENERALE
    1 VENTES DE TERRAINS
    1 VOYAGES
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 BRUN, HENRI
    2 MALBOSC, FRANCOISE-EUGENIE DE
    2 NOURRIT, MARIE-JOSEPHINE
    2 NOURRY
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    3 AUTEUIL
    3 MONTPELLIER
  • A la Mère Marie-Eugénie de Jésus
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • [Nîmes], 26 mars 1860.
  • 26 mar 1860
  • Nîmes
La lettre

Ma chère fille,

J’ai reçu à la fois, à mon retour de Montpellier où j’ai laissé ma soeur aînée très gravement souffrante du larynx, vos deux billets(1) venus, l’un par M. Nourry, l’autre par Soeur Fr[ançoise]-Eug[énie], et, tandis que vous vous préparez à la profession de vos filles, je vais répondre à ce que ces deux billets renferment.

D’abord, pour parler de votre jardin d’ici, je renonce à le faire planter convenablement. Il m’est impossible d’avoir un avis [sans] que Soeur M.- Aug[ustine] devant le jardinier n’en émette un tout opposé. Vous savez que vous aviez voulu faire mettre un jour une machine à vapeur ou à vent à l’un des puits à roue. Sous prétexte de protéger le cheval qui tournera au soleil, on a planté tout autour des peupliers, qui ou empêcheront le vent ou seront noircis par la fumée. Notez que l’on a laissé sans arbres juste le côté du Midi par où vient le soleil. L’idée vient du bon coeur de Soeur Fr[ançoise]- Eug[énie] pour les bêtes. Je vous donne ces détails pour vous montrer que si vous n’êtes pas satisfaite, il ne faudra pas vous en prendre pr[és]entement à mon seul mauvais goût.

J’ai écrit au P. Brun que je le conjure de s’en rapporter à vous pour les négociations des terrains. Il m’est impossible de ne pas croire que vous en savez plus que lui sur ce chapitre et quelques autres. Je vous préviens qu’au premier moment libre j’écrirai à Soeur Thérèse-Em[manuel], pour lui faire observer que vous vous comportez plus comme supérieure particulière que comme supérieure générale, toutes les fois que meurt une Soeur, et que vous finirez, à force de vous tuer en détail, par vous tuer si bien en gros qu’il sera impossible de réparer le mal fait à votre santé(2). Ce n’est pas à vous sans doute à dire ces choses, mais il faut qu’on les dise pour vous.

Quant à Soeur M.-Aug[ustine], établissez que faire voyager les Soeurs pendant les vacances est une chose absurde(3). Soeur M.-Aug[ustine] répondra que les religieux voyagent bien. Il n’y a pas de comparaison. C’est un point de toutes les règles d’hommes, sauf la Trappe, où l’on s’occupe du travail des mains, que les hommes doivent faire une ou deux promenades par semaine. Notre genre de vie a besoin de mouvement, et il y a un besoin de dépense de forces que les femmes n’ont pas. Pour obtenir qu’elle accepte cette privation, je lui accorderai certaines choses, car il n’y a pas de semaine que je ne lui refuse des communions et des articles de journaux. Enfin, je pense qu’elle fera mieux de ne pas vous venir.

Je passe à votre conscience.

Vous avez bien eu raison de profiter des derniers moments de la pauvre Soeur M.-Joséphine pour faire des retours sur vous-même. C’est la seule chose qui me fasse vous pardonner d’être restée autant auprès d’elle. Mais il est très vrai qu’une supérieure a une très grande responsabilité, et qu’il est utile qu’elle l’ait toujours devant les yeux. C’est là, si je puis dire ainsi, ce qui donne la vraie tenue de supérieur ou de supérieure. Ce ne sera donc pas moi, ma chère fille, qui vous détournerai de ces idées, mais je vous avoue que peut-être ferez-vous bien de les prendre par le côté un peu plus général(4). Ainsi je n’approuve guère que vous vous soyez tuée auprès de votre pauvre moribonde, mais j’approuve très fort que vous preniez la résolution de prendre une heure entière pour l’oraison. Quand vous aurez parlé à Dieu avec plus d’abandon, vous parlerez de lui avec plus de force et d’efficace. Un seul mot des saints produisait plus d’effet que mille paroles des honnêtes gens, uniquement parce que leurs mots semblaient tomber du coeur même de Dieu, où ils étaient allés les prendre.

Comme votre disposition à vous tenir au pied de la croix est un peu la mienne, ce n’est pas moi qui vous en détournerai(5). Les préoccupations des divers mystères sont bonnes, mais je vous laisse bien volontiers vous fixer à n’importe quel; mais ce que je vous demande, c’est de vous exercer à faire beaucoup sans agitation. Vous savez si par nature je suis agité. Il me semble que je gagne quelque chose de ce côté, sauf les échappées du vieil homme. Mais il me semble qu’une grande possession de vous-même à l’oraison ne peut que vous faire un grand bien sous tous les rapports. Dieu me travaille aussi, je voudrais profiter du temps de la Passion.

Adieu, ma fille. Tout vôtre avec un coeur bien dilaté pour vous.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Le P. d'Alzon répond ici, non pas à deux, mais à trois billets de Mère M.-Eugénie, ceux des 18, 19 et 20 mars.
2. Mère M.-Eugénie avait confié au P. d'Alzon qu'elle ressentait la fatigue des heures passées au chevet de Soeur M.-Joséphine.
3. Mère M.-Eugénie demandait au P. d'Alzon si elle devait accorder à Soeur M.-Augustine la permission qu'elle sollicitait de venir passer les vacances à Auteuil.
4. Répondant à ces observations du P. d'Alzon, Mère M.-Eugénie écrira le 28 mars: "Je ne me suis pas tant fatiguée près de Soeur M.-Joséphine que vous croyez... L'émotion que m'a causée cette maladie si subite, le contact de parents si chrétiens et si brisés, enfin les dispositions touchantes de la malade, tout cela m'avait causé des impressions dont j'avais plus de fatigue que des heures passées près de notre pauvre petite soeur."
5. Mère M.-Eugénie avait écrit: "En ce moment je suis portée à me tenir auprès de la Croix et à adorer N.S. dans son excessive souffrance et son excessive humiliation et délaissement si aimant et étranger à toute amertume. J'ai extrêmement besoin de cette leçon. La grâce me demande de me porter à l'humilité et à l'humiliation et de demander à N.S. l'esprit de souffrance: or le grand écueil pour cela ce sont les amertumes et les séparations de coeur qui peuvent en résulter, c'est pour moi une chose très difficile à vaincre ou à neutraliser." (20 mars).