DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.353

6 dec 1860 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Prix consenti pour l’achat d’un terrain à la rue François Ier à Paris. – Autres perspectives d’établissement. – Joséphine ne demande pas double intérêt. – Il tient à sa disposition une gouvernante.

Informations générales
  • DR03_353
  • 1507
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.353
  • Orig.ms. ACR, AD 1269; D'A., T.D. 22, n. 649, pp. 295-296.
Informations détaillées
  • 1 INTERETS DU CAPITAL
    1 MUTATION DES BIENS IMMEUBLES
    1 RESIDENCES
    1 TERRAINS
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 FABRE, JOSEPHINE
    2 GOUY, GENERAL DE
    2 JACKSON
    2 LAURENT, CHARLES
    2 LEROUX
    2 MILLERET, LOUIS
    2 OUVRE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    3 CLICHY-LA-GARENNE
    3 PARIS
    3 PICARDIE
  • A la Mère Marie-Eugénie de Jésus
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, 6 déc[embre 18]60.
  • 6 dec 1860
  • Nîmes
La lettre

Ma bien chère fille,

Votre lettre d’hier soir nous a fait bien réfléchir(1). Il est sûr que si l’on pouvait avoir pour 200.000 francs, avec le terrain à vendre, l’enclave Leroux et la langue de terre Jackson, qui est tout près de la propriété Ouvré, on pourrait faire une chapelle à côté de M. Ouvré et il resterait encore un joli carré pour un cloître. Cela posé, je dis:

1° S’il y a chance d’acheter le lopin Leroux, je consens à ce qu’on aille jusqu’à 170.000 francs.

2° La créance de 90.000 francs sera à vos ordres, mais pour quand? Vous savez qu’elle n’est payable que dans deux ans.

3° Je serais bien heureux que M. de Gouy voulût bien nous prêter son nom, et je vous prie de le lui demander.

Le Fr. Vincent de Paul trouve, pour se mettre au point de vue du P. Hippolyte, des inconvénients au voisinage du palais de l’industrie; j’y trouve des avantages d’une certaine espèce. Maintenant écoutez bien. Si réellement vous croyez que la rue Miromesnil est préférable, je consens à l’acheter: 90.000 francs couvriraient presque tout, surtout si le château de Clichy se vend. Alors nous prendrions notre temps pour vendre le reste des terrains. Que pensez-vous de cette combinaison? Nous autres ne vendant pas, M. votre frère vendrait plus tôt ce qui lui appartient, et le prix élevé que nous mettrions à ce que nous avons à nous l’aiderait à demander plus cher de ses lots à lui.

Si vous me demandez mon goût, je me sens poussé pour aller nous établir définitivement sur les ruines du mur d’enceinte, entre la rue de Courcelles et la rue du faubourg Saint-Honoré. Nous serions en face des terres, entre deux rues parfaitement habitées et dont l’extrémité ne peut qu’acquérir une valeur immense, et loin de toute église.

En résumé, si on peut avoir la rue François Ier à 170.000 francs, j’y consens; plus cher, je reviens à un provisoire rue Miromesnil, avec l’espoir d’aller plus tard entre la rue du faubourg Saint-Honoré et la rue de Courcelles, sur les débris du mur de ceinture.

Le P. Hippolyte m’assure que, vérification faite, Joséphine ne demande pas double intérêt. Ce sera encore une erreur du P. Laurent. Ne m’aviez-vous pas parlé de vous trouver une gouvernante ou demoiselle de compagnie, dont vous auriez besoin? J’ai une perfection, pourvu que ce ne soit pas trop de sérieux que l’on réclame.

Tout vôtre.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Il s'agit de la *lettre du 4* (perdue), à laquelle le P. d'Alzon annonçait une réponse dans son P.S. de la veille.
Le terrain dont il est question dans notre lettre est situé rue François Ier. Il est mentionné pour la première fois dans une lettre de Mère M.-Eugénie du 1er décembre. Ce jour-là, Mère M.-Eugénie est allée l'examiner avec le Fr. Vincent de Paul. On le leur avait indiqué la veille.
Une lettre du Fr. Vincent de Paul, datée du 4 décembre comme la lettre perdue de Mère M.-Eugénie et à laquelle le P. d'Alzon se reporte également, va nous aider à comprendre ce dont il est question ici.
Le P. d'Alzon avait demandé au Fr. Vincent de Paul, à son retour de Picardie où il s'était rendu au chevet de son père, de rester à Paris pendant un certain temps "pour y régler notre établissement". Dès lors, ce jeune homme de 28 ans, qui vient à peine de recevoir l'habit assomptionniste, va jouer le premier rôle aux côtés de Mère M.-Eugénie et du P. Picard, dans toutes les démarches et transactions qui aboutiront à l'acquisition du terrain de la rue François Ier, révélant ainsi d'emblée tout son savoir-faire et son dynamisme. Au cours de ce mois de décembre 1860, il n'adressa pas moins de douze lettres au P. d'Alzon, le tenant au courant de l'évolution de l'affaire et sollicitant ses avis. Vincent de Paul Bailly n'est pas entré dans la congrégation, il y a fait irruption. Mais revenons à sa lettre du 4 décembre. Après avoir décrit divers emplacements qui leur ont été offerts, Vincent de Paul écrit: "A côté de ces affaires qui ne me sourient guère, il y en a une autre qui a su me plaire davantage; c'est la déchiqueture de terrain dont je vous envoie ci-joint le plan. 15 m. 60 c. seulement de façade sur la rue François Ier; une enclave Leroux dont on ne peut point trouver le possesseur et qui n'est desservie que par un long passage donnant avenue d'Antin, une autre langue de terrain marquée d'une croix et qui ne pourra jamais servir à rien à son propriétaire, M. Jackson ou ses héritiers, et qu'on peut désirer absorber à des conditions pas trop lourdes." Il expose ensuite longuement les avantages de ce terrain, puis, changeant son "rôle d'avocat pour celui du P. Hippolyte" (économe général), il formule quelques objections: le terrain est petit, il faut le payer, il faut bâtir, le quartier compte beaucoup d'Anglais et d'Américains, enfin: "Si la chapelle devient la seule église du pâté de maisons compris entre l'avenue Montaigne et l'avenue d'Antin, elle a aussi pour paroissiens le palais de l'Industrie, les Squares, le panorama qui n'offrent pas grandes ressources." Et il ajoute: "L'avoué ne croit pas que l'adjudication dépasse 160 mille fr. - Les frais n'iront pas à 20 mille fr. C'est donc 180.000 qu'il faudrait mettre en ligne. Vous nous avez parlé, mon Père, de 90.000 disponibles sans intérêts, il m'a été facile de calculer que cela ferait juste la moitié de ce qu'il faut, mais un des avoués consultés par Mme la supérieure a déclaré qu'une fois ce premier paiement fait, il se faisait fort de trouver les 90 autres mille francs *avec intérêts*!"
A partir de ces éléments, la lettre du P. d'Alzon est parfaitement intelligible. Ajoutons que Vincent de Paul ne fait pas allusion à M. de Gouy comme prête-nom pour l'achat. La suggestion doit venir de Mère M.-Eugénie.