DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.451

26 apr 1861 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

La prédication de carême de M. Deplace à la cathédrale, Mgr de Nîmes et le P. d’Alzon. – Il tient peu à sa prédication à Paris, mais tient beaucoup à être agréable à M. Deguerry. – Qu’elle lise cette lettre à M. Véron et lui dise que 50 prêtres de Nîmes ont écrit à Mgr de Poitiers pour le féliciter, et à M. Delangle pour protester contre sa circulaire.

Informations générales
  • DR03_451
  • 1602
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.451
  • Orig.ms. ACR, AD 133; D'A., T.D. 23, n. 674, pp. 22-24.
Informations détaillées
  • 1 CLERGE NIMOIS
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 QUESTION ROMAINE
    2 ATTENOUX, MADAME
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 DEGUERRY, JEAN-GASPARD
    2 DELANGLE, CLAUDE
    2 DEPLACE, CHARLES
    2 LA GUERONNIERE, LOUIS DE
    2 MORLOT, FRANCOIS-NICOLAS
    2 NEGRE, JOSEPH
    2 PIE IX
    2 PIE, LOUIS
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 SURVILLE, FELIX DE
    2 THIBAULT, CHARLES-THOMAS
    2 VERON, PAUL
    3 NIMES, CATHEDRALE
    3 NIMES, EGLISE SAINT-CHARLES
  • A la Mère Marie-Eugénie de Jésus
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 26 avril 1861.
  • 26 apr 1861
  • Nîmes
  • Evêché de Nîmes
La lettre

Ma chère fille,

Rien de ce qui viendra du P. Deplace ne saurait m’étonner. La première fois du dernier carême(1) que je le vis avec l’évêque, il conjura celui-ci de ne pas écrire de nouveau. Monseigneur manifestait devant nous le désir de répondre à La Guéronnière; moi, au contraire, je demandais que Monseigneur suivît sa veine. Ce furent mes propres expressions. A la suite d’une conversation fort vive, il finit par me dire qu’il voyait bien que j’exerçais une sorte de pression sur Monseigneur. Je vis la perfidie du trait et je lui dis: « Halte-là, Monsieur l’abbé! Monseigneur est là, et je vous prie de lui demander si jamais j’ai pesé sur lui pour aucune détermination grave. Je me suis réservé de l’applaudir, quand il ferait des actes de courage, et, quoiqu’il y ait des nuances entre lui et moi, je m’estime le plus heureux des grands vicaires de France d’avoir un évêque qui a le courage de son opinion ».

L’évêque lui a demandé de prêcher quelques sujets actuels. Il répondit que son Carême était tout fait. Mais il dit à plusieurs personnes, à M. Félix de Surville qui le répéta pour le justifier, à Mme Attenoux qui nous le dit en propres termes chez M. de Cabrières, qu’il n’avait pas voulu aborder la question du Pape, parce que le cardinal le lui avait défendu et qu’il n’était pas libre. J’avoue que cette raison, qui a couru la ville, a paru une singulière manière de se justifier.

Il fut malade. Monseigneur le remplaça trois fois. Dans les deux derniers discours, il fut aussi loin que possible et plusieurs personnes m’assurèrent que je n’en avais jamais dit la dixième partie. La quatrième fois où M. D[eplace] avait besoin d’être remplacé à la cathédrale, Monseigneur était exténué. A 4 h. et demie, il me fit dire de monter en chaire à 8(2). Le lendemain, il voulut m’entendre à Saint-Charles, et, quand je descendis de chaire, il me dit: « Vous avez été à la fois courageux et prudent. » Je ménageai une petite ovation à l’évêque. Le dimanche qui suivit sa prédication, tout le clergé et presque tous les gens comme il faut de la ville allèrent le remercier, et je dois dire que c’est une des choses qui vexèrent le plus M. Deplace, qui, ayant prêché sur le sacerdoce et l’autorité dans l’Eglise, ne dit pas un mot du Souverain Pontife. Le scandale fut si grand dans le peuple que la cathédrale, pleine jusqu’alors, se dégarnit; l’auditoire se déplaça et alla, à Saint-Paul, aux sermons du P. Nègre. Le résultat a été qu’à Saint-Charles nous avons eu près de mille hommes qui ont fait leurs pâques, à Saint-Paul un nombre également très considérable et presque personne à la cathédrale.

Le pauvre évêque avait un peu peur de l’abbé D[eplace]. Il fit sa brochure contre M. de La Guéronnière, sans en rien dire à personne, pas même à moi; mais je le sus l’avant-veille de son apparition et je me donnai le malin plaisir d’aller dîner à l’évêché et de reprocher aimablement à Monseigneur de ne m’avoir pas dit un mot de sa future circulaire. L’abbé Deplace, qui déjà ne me saluait plus et ne me parlait plus, même quand nous dînions ensemble, ouvrit de grands yeux et fut tout étonné du peu de profit que ses conseils de prudence avaient pu produire. Tous les convives eurent un curieux spectacle, l’embarras de Monseigneur et la stupeur de l’abbé.

En voilà bien long et je devrais me borner à vous dire que ce n’est pas moi, mais tout le clergé et tous les catholiques qui exercent ici une pression sur l’évêque, en ce sens que Monseigneur serait peut-être moins courageux, s’il ne se sentait aussi fortement appuyé par tout son diocèse.

Quant à mes prédications à Paris, je serais ravi de ne pas y être obligé. Toutefois, je trouve que le plus simple est de laisser M. Deguerry arranger tout comme il l’entendra; mon principe étant que quand je vais prêcher quelque part, je dois me mettre à la disposition de celui qui y commande. Enfin, pour ce qui concerne les allusions politiques que quelques-uns me reprochent ici, je réponds à tous ceux qui me demandent si j’en ferai à Paris, que je suis résolu à être exclusivement mystique(3).

Adieu, ma chère fille. Vous tirerez de ces détails ce que vous voudrez. Vous lirez tout à M. Véron, si vous le trouvez bon. Réellement, je tiens peu à prêcher à Paris, je tiens beaucoup à être agréable à M. Deguerry; puis, à la garde de Dieu! Si l’on a des observations à me faire, que l’on s’adresse directement à moi. M. Véron sait que je compte assez sur sa bienveillance, pour lui parler toujours à coeur ouvert. Je suis tout à ses ordres. Quant au mot pression qui étonne, j’en connaissais un plus fort, M. Deplace m’a reproché en face ma domination. Le fait est qu’il est parti, ayant fatigué tous les secrétaires de l’évêché; et ce n’est pas ma faute, s’ils venaient me conjurer de lui river ses clous, ce qui a eu lieu plusieurs fois à table, en présence de l’évêque. Mais je trouve tout simple qu’il soit parti furieux de se voir délaissé par son auditoire, excepté pour la Passion et Pâques où les églises sont toujours pleines, et délaissé parce qu’il n’avait voulu suivre ni mes conseils ni les exemples de l’évêque; furieux de l’opposition tranchée entre lui et tous les membres de l’évêché sur certaines questions. Est-ce ma faute, si l’évêché et tout le clergé sont ainsi à Nîmes?

Vous pouvez dire à M. Véron que cinquante prêtres de Nîmes ont écrit à Monseigneur de Poitiers pour le féliciter(4); qu’environ le même nombre a écrit à M. Delangle une lettre des plus énergiques pour protester contre sa circulaire. On peut croire que je suis le provocateur de tout cela et l’on n’aurait peut-être pas tout à fait tort, mais je n’ai pas l’habitude de reculer devant mes actes.

Adieu, ma fille. Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Sur le Carême de Nîmes en 1861, voir *Lettre* 1577 et notes.
2. Cette prédication du P. d'Alzon eut lieu le 7 mars (comme le confirme une lettre du P. Saugrain datée de ce jour, et non le 8 (comme on l'a dit en se fiant à la *Revue Catholique du Languedoc* qui, après avoir parlé du *mardi 6* - le mardi était le 5 mars - situe le sermon du P. d'Alzon le surlendemain). Les notes du P. d'Alzon sont conservées.
3. Mère M.-Eugénie avait demandé: "Puis-je affirmer que partout vous êtes dans le principe du plus grand respect de l'autorité épiscopale? que jamais vous n'iriez contre une intention manifestée de cette autorité? qu'ainsi à Paris ni vous ni [les] vôtres ne direz dans votre chapelle ce que le Cardinal *demandera* qu'on ne dise pas, que comme vous l'avez promis au Curé vous ne ferez à l'Assomption cette année que des instructions de piété sans allusions politiques..." (24 avril).
Dans une lettre du 28 (portant par erreur la date du 25), Mère M.-Eugénie précisera au P. d'Alzon que les propos de M. Deplace le concernant lui avaient été rapportés par M. Deguerry, curé de la Madeleine, qui les tenait lui-même d'une personne proche de l'archevêché. Effrayé, le saint M. Deguerry, chez qui le P. d'Alzon devait monter en chaire pour le mois de Marie, cherchait désespérément le moyen d'éviter ce danger. Depuis lors, écrit Mère M.-Eugénie, "M. Deguerry m'a fait répondre que la station devenait impossible à cause des chanteurs, de l'orgue, etc... mille regrets, mille politesses et l'espoir que vous prêcherez l'année prochaine, qu'il vous le demande dès à présent". M. Véron, par contre, ignorait tout de l'affaire. Il a été fort impressionné par l'énergique démenti de Mgr Plantier et a assuré des bonnes dispositions de l'archevêché. Et Mère M.-Eugénie conclut: "Le résultat de tout cela n'est pas bien mauvais. M. Véron est très chaud à défendre les gens quand il est convaincu, il défendra vous et les vôtres contre ces allégations. Vous ne désiriez pas prêcher ce mois de Marie, vous en êtes quitte."
Sans aucun doute, M. Deguerry dut avertir le P. d'Alzon (par dépêche probablement) que le mois de Marie était devenu impossible. Toujours est-il qu'on reçut à Auteuil, le 28 au matin, une dépêche du P. d'Alzon annonçant qu'il retardait son arrivée (lettre de Vincent de Paul Bailly du [28 avril]. Rappelons qu'il était prévu qu'il quitterait Nîmes le 28 à 11 h. du matin, afin de pouvoir présider le lendemain la première communion chez les Religieuses de l'Assomption.
Epilogue: le 10 juin, Mère M.-Eugénie écrira au P. d'Alzon: "Le P. Deplace m'a fait dire que jamais il n'avait dit un mot à l'archevêché de ce qu'on lui avait prêté. Je croirais que c'est à feu l'évêque de Montpellier qu'il avait fait ses histoires et que c'est celui-ci qui a travaillé à vous empêcher de prêcher. Requiescat in pace". Mgr Thibault était mort à Paris le 4 mai.
4. Pour son mandement du 22 février, voir *Lettre* 1577, note 1.