DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.458

25 may 1861 Rome PICARD François aa

Il désespère de trouver des professeurs. – Les Polonais leur offrent deux étages: il y a une magnifique position à prendre à Rome. – La révolution n’est pas loin. – Il a vu le Pape et le verra peut-être une seconde fois. – Tout l’espoir du Pape est dans la France, malgré les misères que celle-ci lui suscite. – Le P. Chaillot est désolé de ce qu’il se refuse à rien solliciter pour leur congrégation. – Il lui a promis quelque chose sur la pensée que les catholiques du monde entier doivent s’emparer de Rome pour que la Révolution ne s’en empare pas.

Informations générales
  • DR03_458
  • 1608
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.458
  • Orig.ms. ACR, AE 111; D'A., T.D. 25, n. 111, p. 93.
Informations détaillées
  • 1 ITALIENS
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 QUESTION ROMAINE
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    2 CHAILLOT, LUDOVIC
    2 FIORAMONTI, DOMENICO
    2 NAPOLEON III
    2 PIE IX
    3 FRANCE
    3 ROME, COLLEGE DE L'APOLLINAIRE
    3 ROME, COLLEGE DE LA MINERVE
    3 ROME, EGLISE SAINT-CLAUDE DES BOURGUIGNONS
  • Au Père François Picard
  • PICARD François aa
  • [Rome], 25 mai 1861.
  • 25 may 1861
  • Rome
La lettre

Mon bien cher ami,

Me voilà depuis dix jours à Rome, et je désespère de trouver les professeurs que je cherche. Personne n’a quitté la place, sauf des gens qui ne sont point disposés à quitter l’Italie. Peut-être faudra-t-il en venir à envoyer nos gens à Rome! Si vous aviez la santé, ce serait chose vite et très vite faite. Les Polonais nous offrent deux étages chez eux(1), en tout dix chambres, et nous proposent de nous nourrir. La position est bonne pour suivre les cours de la Minerve ou de l’Apollinaire. Examinez. Il y a une magnifique position à prendre à Rome.

Je crois que la révolution n’est pas loin; elle est même fort près, à moins d’un miracle. Mais les Français n’y courent pas grand risque. J’ai vu le Pape(2). Il m’a admirablement reçu. On veut que je le voie de nouveau. Je vais examiner si je prierai Mgr Fioramonti(3) de m’y conduire une seconde fois. C’est à examiner.

Il y a par le monde de bien grandes misères, et celles que la France suscite à Rome sont bien odieuses. Cependant, le Pape m’a dit que sur la terre tout son espoir était dans la France. Il faut donc que nous fassions pour lui tout ce que nous pourrons. A ce point de vue, plus il y aura de Français à Rome, mieux cela vaudra.

Vous ririez vraiment si vous voyiez la mine que fait le bon Père Chaillot, quand il me sollicite de demander quelque chose pour notre petite Congrégation et que je lui réponds que je ne demanderai rien. Il est désolé, étonné, scandalisé, vexé. Mais je tiens ferme et je crois que c’est pour le mieux. On désire faire q[uel]q[ue] chose pour nous. Je vois venir. J’abasourdis un peu le saint homme en lui disant qu’il y a trois grandes questions: Y a-t-il une religion? Y a-t-il une Eglise? S’il y a une Eglise, quelle est sa forme? Son droit canon est relégué ainsi au troisième plan dans la grande bataille de la Révolution contre Dieu. Cela le consterne. Sa Correspondance(4) va, je l’espère, se transformer, s’il est capable de lui faire subir une transformation. On se propose de correspondre avec le monde entier. Je lui ai promis quelque chose sur cette pensée, qui est celle avec laquelle je quitte ce pays-ci: Il faut que les catholiques du monde entier s’emparent de Rome, pour que la Révolution ne s’en empare pas(5), et si elle les gagne de vitesse, elle doit leur préparer providentiellement la voie en les débarrassant des Italiens, qui sont bien le plus triste peuple qu’on puisse voir.

Adieu, et tout vôtre.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Le P. Chaillot vous fait ses compliments.1. Les Pères Résurrectionistes, à Saint-Claude-des-Bourguignons.
2. Le P. d'Alzon eut une audience de Pie IX le 18 mai.
3. Secrétaire aux lettres latines.
4. La *Correspondance de Rome*, fondée en 1848 par l'abbé Chaillot pour soutenir l'ultramontanisme français, avait été supprimée en 1852 sur réclamation de Napoléon III. Elle reparaissait depuis 1860, mais elle sera interdite en France le 6 avril 1862.
5. Voir *Lettre* 1663, complément à la note 3.