DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.476

5 jul 1861 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Les examens de jeunes prêtres lui ont pris un temps énorme. – L’amitié implique le support des torts réciproques: application à leur cas. – Dans la grande dépendance d’idées et de sentiments où il se sent poussé de s’établir par rapport à N.S., c’est en fonction de ce dernier seulement qu’il souhaite désormais pouvoir apprécier leurs relations. – Ils n’ont pas de temps à perdre, et le survivant devra faire tout ce qu’il pourra pour continuer l’oeuvre de l’autre. – Aussi ne veut-il pas qu’elle ait jamais rien à lui reprocher au tribunal de N.S., ni dans les rigueurs de la justice, ni dans les nuances de l’amitié. – Il espère que cette disposition lui permettra de lui faire plus de bien.

Informations générales
  • DR03_476
  • 1630
  • DERAEDT, Lettres, vol. 3, p.476
  • Orig.ms. ACR, AD 1290; D'A., T.D. 23, n. 678, pp. 27-29.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 ETERNITE
    1 EXAMEN DES JEUNES PRETRES
    1 FATIGUE
    1 MORT
    1 PURIFICATION
    2 PICARD, FRANCOIS
    3 EMS
  • A la Mère Marie-Eugénie de Jésus
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, 5 juillet 1861.
  • 5 jul 1861
  • Nîmes
La lettre

Ma bien chère fille,

Les examens des jeunes prêtres, qui m’ont pris tous ces jours-ci un temps énorme, et me laissaient des maux de tête assez forts, m’ont jusqu’à ce moment empêché de répondre à votre longue et bonne lettre d’Ems(1). Le défaut d’exactitude de quelques-uns de ces Messieurs me donne une heure de liberté, et j’en profite pour vous répondre un peu à l’aise. Plus je vais, plus je me convaincs que l’amitié est une vertu et que, dès lors, elle implique la nécessité de supporter des torts réciproques. L’âme qui n’est pas capable de ce support ou a mal placé son affection, ou n’est pas capable d’amitié véritable. Quant à nos relations, je suis parfaitement convaincu que le démon y a mis bien des grains de sable, afin de nous y faire perdre notre temps, et, quelle que soit la souffrance par où vous avez passé, je reste toujours de plus en plus convaincu qu’il peut y avoir eu de ma faute, – ce que j’accorde sans discussion et uniquement pour en faire des excuses amicales, – mais qu’aussi l’amour-propre et la fierté un peu exigeante de ma chère fille y ont été pour quelque chose. Quant à moi, ce qui m’a mécontenté, ces temps derniers, c’est moins cette fierté et le reste(2) de votre nature que le soupçon de je ne sais quelle habileté dans ce que vous disiez ou ne disiez pas. Je crois vous l’avoir fait observer à Paris.

Mais je dois vous avouer que, dans ma disposition d’esprit et de coeur, je me sens peu disposé à rester sur un terrain pareil. Depuis quelque temps, je me sens extrêmement poussé à m’établir, dans tout mon être, dans une grande dépendance par rapport à Notre-Seigneur, dépendance d’idées et de sentiments dont les paroles et les actes ne seraient qu’une conséquence; et dans cette crise que je traverse, beaucoup de choses s’apaisent et se transforment. Ainsi je suis un peu moins préoccupé des reproches que vous pourriez me faire, à cause de vous et de moi, qu’à cause du mal ou du bien dont je puis être pour vous l’instrument, à cause de Notre-Seigneur. Il me semble que nous n’avons plus de temps à perdre, que la fin approche, que si nous restons unis pour J.C. et en J.C. pour faire son oeuvre, ce sera pour l’éternité, et c’est ce dont je suis avant tout jaloux. Si donc je vous ai fait souffrir, je désire vous être un père et un ami patient, doux, délicat pour Notre-Seigneur, et en prenant dans son amour les inventions qui pourront, pour lui, donner du charme à mon amitié.

Nous touchons à un moment où nous pouvons prévoir que l’un précédera l’autre dans le tombeau, et que le survivant devra faire, selon sa position, ce qu’il pourra pour continuer l’oeuvre de l’autre. Ce regard jeté au-delà de la mort, et sur le poids qui pèsera sur les épaules de l’un de nous deux, me prouve que nous n’avons pas de temps à perdre. Je ne veux pas que jamais vous ayez rien à me reprocher au tribunal de Notre-Seigneur, ni dans les rigueurs de la justice ni dans les nuances de l’amitié. C’est pour cela que je voudrais faire disparaître tout ce qui, de mon côté, serait défectueux, mais qu’aussi je vous conjure de voir devant ce tribunal si Notre-Seigneur est toujours content au point de vue de ce que vous m’êtes.

Voilà ce que je voulais vous dire tout simplement, et j’espère que toutes mes paroles vous feront un bien sérieux. Si vous trouvez quelque chose d’exagéré dans le point de vue où je me place, veuillez ne pas m’en vouloir et prendre un peu patience. A mesure que, chez moi, la disposition dont je vous parle se fortifiera, elle me permettra de vous faire plus de bien, je n’en doute pas. J’y trouve bien des lumières sur mon passé, bien du temps perdu pour Dieu, et pour sa gloire, et pour le service que je devais lui rendre auprès des âmes. Je dois dire pourtant que ce reproche est moindre par rapport à vous, car il me semble que je vous ai toujours donné bien plus que vous n’avez semblé le soupçonner.

Adieu, ma fille. J’ajoute une page pour vous parler d’autre chose(3).

Notes et post-scriptum
1. Mère M.-Eugénie faisait une cure à Ems, où se trouvait également le P. Picard.
2. Les T.D. avaient lu *raideur (?)*.
3. Cette page est perdue.