DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 166

9 jan 1863 Nîmes PERSIGNY Jean

L’avertissement du préfet du Gard à l’*Opinion du Midi* pour avoir publié une lettre de lui, frappe moins cette lettre que son nom et derrière son nom, l’évêque de Nîmes. – On a voulu le frapper parce qu’on le considère comme hostile au gouvernement: il réfute en sept points cette inculpation. – Il est uniquement catholique et dévoué aux intérêts de l’Eglise. – Il s’est toujours employé à faire cesser les malentendus. – Pourquoi le préfet l’a-t-il désigné comme vicaire général de l’évêque de Nîmes sinon pour atteindre en même temps l’évêque? – Mais en frappant l’évêque, on frappe le troupeau tout entier. – Vexations dont les catholiques ont été l’objet et dont la dernière est la représentation du *Fils de Giboyer*. – Que le ministre ordonne donc une enquête impartiale. – On ne pourra pas en tout cas lui reprocher le désordre qui pourra marquer la représentation du *Fils de Giboyer*.

Informations générales
  • DR04_166
  • 1886
  • DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 166
  • Minute ACR, AO 107; D'A., T.D. 39, n. 2, pp. 346-351.
Informations détaillées
  • 1 ANTICLERICALISME
    1 CONSEIL SUPERIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EVEQUE ORDINAIRE DU DIOCESE
    1 FONCTIONNAIRES
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 GOUVERNEMENT
    1 POLEMIQUE
    1 SPECTACLES
    1 VICAIRE GENERAL
    2 BARAGNON, NUMA-PIERRE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 DU LIMBERT, HENRI-FRANCOIS
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 MEYERBEER, JACOB
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 ROULAND, GUSTAVE
    2 SCRIBE, EUGENE
    2 THOUREL, ANDRE
    2 VARIN d'AINVELLE, J.-B.-FELIX
    3 AVEYRON, DEPARTEMENT
    3 GARD, DEPARTEMENT
    3 NIMES
    3 NIMES, EGLISE SAINT-CHARLES
  • A MONSIEUR DE PERSIGNY, MINISTRE DE L'INTERIEUR
  • PERSIGNY Jean
  • [Nîmes,] 9 janvier 1863.
  • 9 jan 1863
  • Nîmes
La lettre

Monsieur le ministre,

Un arrêté de M. le préfet du Gard, frappe d’un avertissement l’Opinion du Midi, pour avoir publié une lettre de moi à propos du Fils de Giboyer(1). Il n’entre nullement dans ma pensée de vous présenter une justification de cette lettre; ceux qui me connaissent savent fort bien mes intentions et M. le préfet, moins que personne, n’ignore mes dispositions véritables. Du reste, l’opinion universelle ici est que l’avertissement avait pour but d’atteindre, moins une lettre parfaitement inoffensive, que mon nom et, derrière mon nom, l’évêque dont j’ai l’honneur d’être le grand-vicaire. Personne ici ne s’y est mépris. Mais vous, M. le ministre, qui avez donné votre approbation à cette mesure sur le seul rapport de votre subordonné, vous pouvez n’envisager les faits qu’à son point de vue exclusif, et il peut être bon à Votre Excellence de recevoir quelques renseignements qui rétabliront bien des choses sous leur véritable jour.

Partant de ce point, incontestable à mes yeux et dont je vous fournirai tout à l’heure la preuve matérielle, que je ne voulais par ma lettre provoquer aucun désordre, j’en conclus qu’on n’a voulu me frapper que parce qu’on me considérait comme un homme hostile au gouvernement. Eh bien! M. le ministre, veuillez examiner un instant avec moi quelques circonstances assez significatives de mon passé, et vous jugerez vous-même si cette inculpation est fondée.

Etais-je hostile au gouvernement lorsque, le surlendemain du coup d’Etat, j’acceptais les fonctions de membre du Conseil général de l’Instruction publique(2)?

Etais-je hostile au gouvernement lorsque, il y a dix ans environ(3), le préfet du Gard, ayant proposé la candidature à la députation à M. Varin d’Ainvelle et celui-ci effrayé, d’une pareille offre, ayant consulté Monseigneur Cart alors évêque, nous le déterminâmes tous les deux à accepter une mission, difficile sans doute, mais qui prouvait la bienveillance de l’administration pour les catholiques?

Etais-je hostile au gouvernement lorsque, un peu plus tard, M. Numa Baragnon(4), candidat du gouvernement pour l’arrondissement de Nîmes, craignant de ne pas obtenir un nombre de voix suffisant par l’effet de certaines abstentions, je lui fournis l’appoint nécessaire?

Etais-je hostile au gouvernement lorsque, il y a cinq ou six ans, j’allai, de la part de mon évêque, demander à M. le ministre des Cultes une nouvelle cathédrale(5) pour Nîmes, en faisant valoir des motifs tous en faveur de l’influence à exercer sur nos populations catholiques?

Etais-je hostile au gouvernement lorsque, en 1859, à propos d’une bonne oeuvre protégée par vous ou par un de vos prédécesseurs, et en l’absence de Monseigneur l’Evêque, j’écrivais à MM.les curés du diocèse, le lendemain du traité de Villafranca: « A une guerre glorieuse succède une paix glorieuse aussi par la modération du vainqueur les principes qu’elle consacre, les alarmes qu’elle apaise, les sacrilèges espérances qu’elle confond. »(6). Je me trompais, sans doute, dans la dernière partie de ma phrase, mais vous m’accorderez bien, M. le ministre, que mon erreur ne venait pas d’un sentiment d’hostilité au gouvernement.

Etais-je hostile au gouvernement lorsque, vers la fin de décembre(7), la défense de faire visite à Monseigneur l’évêque ayant été renouvelée, j’écrivis à M. le procureur général une lettre confidentielle, pour le conjurer de faire observer en haut lieu l’exaspération qu’une pareille mesure devait produire, comme elle l’a produite en effet, dans tout le diocèse?

Enfin, étais-je hostile au gouvernement lorsque, quelques jours avant la pose des affiches annonçant la représentation du Fils de Giboyer, j’écrivais à M. le procureur général la lettre suivante:

Nîmes le 29 décembre 1862.

Monsieur le procureur général,

J’apprends d’une source sûre que non seulement M. le préfet a autorisé à Nîmes le Fils de Giboyer, mais qu’il a lui-même envoyé, à titre d’encouragement, trois exemplaires de la pièce imprimée au directeur du théâtre. J’apprends, de plus, que les catholiques comptent se rendre en masse à la représentation pour siffler et que d’autres personnes se coalisent pour applaudir. Je puis vous garantir que les prêtres de Nîmes feront tout ce qu’ils pourront pour éviter toute collision funeste; ils se réservent de protester par les moyens légaux, mais laissez-moi, M. le procureur général, vous conjurer de remarquer et de faire remarquer au besoin que si, malgré nos efforts, de douloureuses perturbations ont lieu, toute la responsabilité doit en retomber sur ceux qui les provoquent par leurs encouragements. Ne serait-il pas plus prudent, dans un pays comme le nôtre, d’éviter de porter le feu au milieu d’esprits si inflammables? Que peuvent désirer de plus les ennemis du gouvernement? Ils n’ont qu’à se croiser les bras et à regarder faire.

Je suis avec respect, etc…

Et, en effet, si j’avais été ennemi du gouvernement, comme M. le préfet le donne à entendre, moi aussi, je me serais tu. J’aurais dit, comme je l’ai entendu si souvent répéter aux chefs les plus intelligents des anciens partis, que M. Dulimbert est le plus précieux des préfets pour servir la cause des princes en exil et qu’il faudrait payer cher pour le conserver longtemps parmi nous.

D’où vient donc, de la part de l’administration, le mauvais vouloir dont je suis l’objet? Je vous le dirai, M. le ministre, en toute loyauté; c’est que je suis uniquement catholique et dévoué aux intérêts de l’Eglise; que toutes les fois que je la crois menacée, je jette le cri d’alarme dans l’humble sphère de mon action et que, pour m’éclairer sur ma conduite, je consulte plutôt les appréhensions manifestées par les évêques que les promesses rassurantes du pouvoir. Toutefois, veuillez le remarquer, je n’ai pas rencontré une seule occasion de prouver mon désir de faire cesser de déplorables malentendus que je ne l’aie saisie avec empressement. Ainsi, il y a deux mois à peine, à la rentrée de la cour impériale, je me suis offert pour remplacer Monseigneur l’Evêque à l’audience d’ouverture. Ce fut un pas fait vers la magistrature, dont les chefs comprirent à merveille ma démarche. Il est déplorable que les sentiments conciliateurs des magistrats aient été étouffés par les sentiments haineux d’autres fonctionnaires; mais ce n’était certainement pas moi qui cherchais alors à troubler la paix et à renouveler le combat.

J’ai maintenant à me permettre une question, M. le ministre. Pourrais-je savoir pourquoi M. le préfet, dans son avertissement, m’a désigné comme vicaire général de Monseigneur l’évêque de Nîmes? Je n’avais point ajouté mon titre à mon nom; je ne m’en étais point prévalu pour donner des conseils à la population. Pourquoi l’inscrire dans une pièce destinée à me blâmer, sinon pour avoir la satisfaction de frapper du même coup le grand-vicaire et l’évêque?

Eh bien! M. le ministre, laissez-moi vous déclarer que si l’on espère par de semblables mesures détacher nos populations de leur pontife, on est dans la plus grave des erreurs. Ce qui fait la force morale de Monseigneur Plantier, c’est que toutes ses paroles sont, sans doute, l’expression de sa pensée, mais qu’elles sont surtout la traduction éloquente des sentiments séculaires d’un peuple, chez qui les principes politiques viennent bien après les principes religieux. Vous ne pouvez donc frapper le pasteur sans frapper le troupeau tout entier et toutes les mesures vexatoires, dont le père de cette grande famille est l’objet, ne font que rendre plus indissolubles les liens qui lui unissent ses enfants. Est-ce un bien, est-ce un mal à votre point de vue, M. le ministre? C’est ce que je ne veux point examiner, mais c’est un fait incontestable et dont il est important de tenir compte dans l’intérêt du gouvernement.

Maintenant chercherai-je à énumérer toutes les vexations dont les catholiques ont été l’objet? Les commencements d’enquêtes(8) avortés par l’impartialité de la magistrature, et d’où résultait seulement la malveillance calomniatrice de l’administration contre Monseigneur de Nîmes et contre moi; les procès faits à des prêtres(9) uniquement coupables d’exercer la charité et que les tribunaux absolvaient ou condamnaient à la moindre peine, parce que l’ignorance seule leur avait fait négliger une prescription de police; la dissolution d’une société catholique(10) prononcée, après une autorisation verbale du commissaire central, de façon à nous exposer à des désordres graves, si nous n’avions pas cherché par tous les moyens à apaiser une irritation causée par un procédé cette fois trop brutal? Je ne m’arrêterai qu’au dernier fait. Tandis que, dans les années les plus paisibles de Louis-Philippe, on n’a jamais voulu permettre à Nîmes la représentation des Huguenots(11), jouée sans inconvénients dans les villes voisines, M. le préfet profite du moment où notre population est surexcitée par la défense faite aux fonctionnaires de se présenter à l’évêché, pour faire jouer une pièce que l’auteur lui-même déclare une attaque contre le clergé et ses partisans. Si l’on se proposait d’apporter la perturbation dans notre ville, pourrait-on prendre un autre moyen?

Si votre Excellence n’est pas résolue à maintenir, quoi qu’il arrive, M. le préfet du Gard dans son système d’arbitraire et de vexations, qu’elle ordonne une enquête impartiale et je suis convaincu qu’il en résultera trois faits: le premier, que je ne suis pas un perturbateur du repos public, le témoignage des chefs des anciens partis qui me reprochent assez de ne point marcher avec eux suffira de reste pour le prouver ; le second, que, sauf les questions où les intérêts de l’Eglise lui ont paru directement menacés, jamais, Monseigneur de Nîmes n’a fait le moindre acte d’opposition au gouvernement, bien que depuis quelque temps il soit constamment injurié par le journal de la préfecture; le troisième, que le système maladroit et cassant de M. le préfet produit dans nos populations catholiques une irritation, dont lui seul doit porter la responsabilité.

Dans tous les cas, M. le ministre, si à la représentation du Fils de Giboyer qui doit avoir lieu demain, dit-on, il y a du désordre, ce n’est pas moi qui aurai les mains rouges du sang qui pourra couler.

Je suis avec respect, Monsieur le ministre,

Votre très humble et très obéissant serviteur.

Notes et post-scriptum
1. Voir *Lettre* 1884, n. 2.
2. Le P. d'Alzon fut membre de ce Conseil de 1850 à 1852.
3. En février 1853.
4. L'élection de M. Numa Baragnon père, eut lieu en 1854. Deux ans plus tard, M. Baragnon devint préfet de l'Aveyron.
5. Entrevue avec le ministre Rouland du 26 décembre 1856 (*Chronologie* Vailhé).
6. *Lettre* 1267 du 16 juillet 1859.
7. En décembre 1862, le gouvernement avait renouvelé l'injonction faite aux fonctionnaires du Gard l'année précédente de cesser tous rapports avec Mgr Plantier (v. *Lettres* 1702, n. 5, et 1876).
8. Voir *Lettres* 1635, n. 1, et 1753, n. 1.
9. Ainsi le procès intenté à un vicaire de Saint-Charles pour avoir organisé une loterie sans l'autorisation légale (v. *Lettre* 1753 et n. 3).
10. L'*Association de Saint-François de Sales* dissoute le 14 février 1862 (v. *Lettre* 1731, n.).
11. Sans doute l'opéra de Scribe et Meyerbeer (1836).