DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 191

23 feb 1863 Constantinople COLLEGE de l'Assomption

La plus belle ville du monde, mais les rues! – La population. – Catholiques et français sont ici la même chose. – Le progrès de la langue française. – Devenez tous des missionnaires catholiques.

Informations générales
  • DR04_191
  • 1914
  • DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 191
  • Orig.ms. ACR, AK 411; D'A., T.D. 33, n. 1, p. 306.
Informations détaillées
  • 1 ARMENIENS
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 ECOLES
    1 FRANCAIS
    1 GRECS
    1 JUIFS
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 OEUVRES D'ORIENT
    1 TURCS
    2 VAILHE, SIMEON
    3 CONSTANTINOPLE
    3 CRIMEE
  • AUX ELEVES DE L'ASSOMPTION, A NIMES
  • COLLEGE de l'Assomption
  • Constantinople, 23 fév[rier 18]63.
  • 23 feb 1863
  • Constantinople
La lettre

Mes chers enfants,

Je veux que ma première lettre de Constantinople vous soit adressée et, bien que j’aie les doigts gelés, je vous assure que je vous écris avec un coeur bien chaud. Me voilà ici depuis quarante-huit heures, et qu’est-ce que j’ai trouvé? De la neige(1) qui ne fond pas, et il ne faut pas trop s’en plaindre, car, quand elle fond, il est impossible de sortir. C[onstantino]p[le] est la plus belle ville du monde, vue de loin et du côté des toits, mais les rues! Ah! c’est quelque chose d’impossible. Des gens sales, des rues sales, des gens à cheval qui vous éclaboussent, des voitures dont les cochers sont toujours à pied, des chiens morts, un pavé impossible à décrire. Figurez-vous la colline des Moulins à vent couverte d’un étang de boue, voilà le pavé de Constantinople, et je n’exagère pas.

Les plus honnêtes gens sont les Turcs, puis les Grecs, puis les Juifs, puis les Arméniens. Un Arménien vaut six Juifs. Quelques personnes disent qu’après cette procession vertueuse viennent à la fin les Français. Il faut s’entendre. La guerre de Crimée a fourni matière à de telles turpitudes en fait de voleries que les Français sont complètement déconsidérés. Aussi pourquoi n’a-t-on laissé venir ici que l’écume de la France? Pourquoi d’honnêtes gens comme vous ne se proposeraient-ils pas de réparer et relever ici notre honneur national? Il faut que vous le sachiez, catholiques et français sont ici la même chose. De plus, avant dix ans, à Constantinople on parlera français plus que grec et turc. Voici pourquoi, c’est que les Soeurs de Saint-Vincent de Paul et les Frères des Ecoles chrétiennes enseignent le français dans leurs écoles, que dans une foule d’écoles grecques on enseigne le français. Le français est devenu à la mode et tous les jours le français fait les plus étonnants progrès. Il y a bien à craindre que la révolution ne se serve de ce moyen pour faire pénétrer les mauvaises idées françaises; c’est pour cela qu’il faut que les catholiques prennent les devants.

Vous êtes donc invités à devenir tous des missionnaires catholiques. Pour cela il n’est pas nécessaire que vous preniez la soutane, mais il est urgent que vous vous occupiez et vous préoccupiez des oeuvres d’Orient. J’espère qu’à mon retour vous m’en apprendrez des merveilles.

Adieu, mes enfants. Je ne cesse de prier pour vous. Il semble qu’il m’ait fallu venir à Constantinople pour me faire sentir combien je vous aime.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Le P. d'Alzon arriva à Constantinople sous la neige. Ses notes de voyage (CQ 271) nous apprennent que le 18 février il avait "foulé la neige au Parthénon". Sur le séjour du P. d'Alzon à Constantinople, voir VAILHE, *Vie* II, pp. 354-366.