DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 223

16 mar 1863 Constantinople BAILLY_VINCENT de Paul aa

Une exposition à Constantinople. – Une révolution en Russie. – Il faut ici un séminaire patriarcal, un centre d’action apostolique et scientifique: « c’est là, ce me semble, un des buts de notre congrégation ». – Une affreuse canaille. – « Il me tarde d’être à Rome, je voudrais être toujours ici, je voudrais être en France ».

Informations générales
  • DR04_223
  • 1939
  • DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 223
  • Orig.ms. ACR, AG 69; D'A., T.D. 27, n. 69, pp. 62-63.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 BULGARES
    1 COMMERCE
    1 GRECS
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SEMINAIRES
    1 TURCS
    1 VOYAGES
    2 BAILLY, BERNARD
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BARAGUEYS d'HILLIERS, ACHILLE
    2 BRUNONI, PAOLO
    2 GALABERT, VICTORIN
    2 HERZEN, ALEXANDRE IVANOVITCH
    2 NAPOLEON III
    2 STIERNON, DANIEL
    3 CONSTANTINOPLE
    3 KADI-KOY
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 SOLFERINO
    3 TURQUIE
  • AU PERE VINCENT DE PAUL BAILLY
  • BAILLY_VINCENT de Paul aa
  • Constantinople, 16 mars 1863.
  • 16 mar 1863
  • Constantinople
La lettre

N° 9

Cher ami,

Le P. Galabert est parti, le sultan a pris ce soir une nouvelle femme. Je devais aller voir la fête des chandelles, je ne l’ai pas vue. On cherche un honnête homme parmi les Bulgares; jusqu’à présent, on ne l’a pas trouvé. Le trouvera-t-on? Question bien plus que problématique. Constantinople est plus sale encore que ses faubourgs. Les femmes turques se ruent sur l’exposition, où, dit-on, il n’y a rien. Mais une exposition à Constantinople, c’est plus qu’une révolution, c’est comme une demi-douzaine de révolutions. J’ai voulu la voir aujourd’hui. On ne laissait entrer que les femmes. Or… Frère Emmanuel, finissez le syllogisme. A propos de révolution, on nous en annonce une en Russie, bien plus belle que celle des Grecs, bien plus belle que celle d’Italie, que 48, que 1830, que 93. Tous les boyards seront rôtis, tous les enfants seront mangés, toutes les dames seront démariées, pour avoir tous les maris qui leur passeront par la tête. Herzen(1) est un modéré, un retardataire, un réactionnaire auprès de ce que vous allez voir. La Turquie a une peur bleue de la Russie, qui a une peur rouge de la révolution, laquelle a des espérances très noires; enfin, tout cela n’est pas blanc.

L’empereur des Français a ici un fameux ambassadeur. Jamais personne n’a su mieux faire jouer la comédie. On dit qu’il va être remplacé par un grognard, Baraguay d’Hilliers(2).

Priez bien Dieu pour que je sache que faire. Evidemment, il faut ici un séminaire patriarcal, un centre d’action apostolique et scientifique. Eh bien! C’est là, ce me semble, un des buts de notre Congrégation(3). Savez-vous ce qui m’épouvante? C’est la cherté des terrains. A une lieue de Constantinople, les terrains sont à 12.000 francs l’hectare et plus. Quant aux Bulgares, c’est la plus affreuse canaille qu’on puisse se figurer. Mgr Brunoni, après force recherches, croit avoir trouvé un honnête homme; il avait planté là sa femme et donné sa fille en pouvoir de mari à je ne sais plus qui. C’est pire que de la boue, c’est de la crotte. Enfin, il faut les aimer; c’est notre prochain.

Arriverai-je à Rome le 17 ou le 23? Je l’ignore encore. Il me tarde d’être à Rome; je voudrais être toujours ici; je voudrais être en France. Que je voudrais de choses impossibles à la fois! Autre détail. Voilà trois semaines que je demande l’ouvrage le plus remarquable que les Grecs aient écrit en matière religieuse. Les Grecs n’ont rien écrit depuis vingt ans, et pour avoir quelque chose de remarquable, il faut remonter à quatre-vingts [ans] . Il est 10 heures à Constantinople, 9 1/2 à Rome. Je vous envoie ma bénédiction. Bonsoir. Allez vous coucher, et moi aussi.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Si Bernard est encore avec vous, dites-lui mille choses de ma part.1. Le ms a *Hertzen*.
2. Maréchal de France (1795-1878). Eut une part importante à la victoire de Solferino.
3. Le scolasticat assomptioniste créé à Kadi-Köy en 1895 deviendra ce centre rayonnant que le P. d'Alzon appelait de ses voeux. Une pléiade de savants y trouvèrent leur vocation, et c'est là notamment que furent créés en 1897 les *Echos d'Orient*, ancêtre de la *Revue des Etudes Byzantines*. Voir D. STIERNON, *La science assomptioniste au service de l'Unité en Orient*, dans *Pages d'Archives* 2, pp. 453-466 (mars 1965).