DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 230

21 mar 1863 Constantinople DOUMET_MADAME

Il est aux deux tiers de son séjour ici. – Les donneurs de conseil. – Comment donc faut-il prendre les Bulgares?

Informations générales
  • DR04_230
  • 1947
  • DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 230
  • Orig.ms. ACR, AP 383; D'A., T.D. 34, n. 30, pp. 82-84.
Informations détaillées
  • 1 BULGARES
    1 RETOUR A L'UNITE
    2 COMBIE, MARIE-CATHERINE
    2 DOUMET, MARIE-CATHERINE
    2 DOUMET, PAUL-FRANCOIS
    2 STARAVEROS, EMMANUEL
    3 CONSTANTINOPLE
    3 FRANCE
    3 ROME
  • A MADAME DOUMET
  • DOUMET_MADAME
  • Constantinople, 21 mars [18]63.
  • 21 mar 1863
  • Constantinople
La lettre

Voyez, ma fille, comme je suis servi à souhait. Je demandais à votre soeur si vous ne me feriez pas voir votre écriture, et juste je reçois une lettre de vous, Dieu soit béni! Vous ne me parlez pas d’Emile, j’en conclus qu’il va tout à fait bien; et quant à Amélie, j’aurais été enchanté si elle avait pu prendre sur elle de me donner quelque chose de son cru(1).

Voyez comme le temps passe. Me voilà aux deux tiers de mon séjour ici. Dans un mois ou cinq semaines, je serai à Rome, et même sur le point de retourner en France. Quelle rapidité! Je n’ose pas dire que je suis pressé de laisser la multitude de donneurs de conseils, qui pullulent ici peut-être plus que partout ailleurs. Règle générale, le genre humain sait une foule de choses que je ne sais pas; mais quand le genre humain se précipite du matin au soir par ma porte pour me donner des conseils, j’ai la plus terrible envie de me précipiter par la fenêtre pour m’en préserver. Cependant, comme je loge au second étage, j’hésite encore et je n’ai pas jusqu’à présent succombé à la tentation.

De tous ces avis, conseils, renseignements, observations, explications et réclamations donnés jusqu’à la 3e édition il résulte par moments un fouillis dans ma cervelle, qui fait que je ne sais plus où j’en suis. Cependant, après m’être palpé, je me retrouve dans ma chambre, à Constantinople, m’occupant de Bulgares. Mais voyons, donnez-moi votre avis. Est-ce par le côté politique ou le côté religieux qu’il faut les prendre? Est-ce avec douceur ou fermeté? Faut-il consentir à se laisser tromper par eux, et à l’aide de leurs mensonges (ils en font beaucoup), les conduire à la vérité? Faut-il leur ménager la grâce de Dieu en leur donnant de l’argent, qu’ils demandent sans cesse? Ils sont tous ruinés, volés, voleurs, en prison ou sur le point d’y aller ou même d’y rentrer supposé qu’ils en sortent. Quel est le chef bulgare qui n’a pas été un peu en prison, ne fut-ce que pour avoir battu sa femme ou vendu sa fille? Ceux-là sont les plus honnêtes, au dire de Monseigneur de Drama(2). Faut-il convertir cette charmante génération ou attendre celle qui pousse? Faut-il laisser les enfants à la portée de leurs parents, qui risquent de les déformer à leur image et ressemblance? Faut-il les envoyer en France où ils risquent de devenir des orgueilleux qui ne voudront plus retourner chez eux?

Ah! mais vous n’avez pas la tête cassée de mes questions? Heureusement que je vous dispense d’y répondre. Seulement, vous voyez quelle cohue d’idées viennent se heurter, et quand, sur chaque proposition il y a trois avis différents, plus un quatrième qui déclare que l’on ne comprend pas, et qui expose une idée qui va à l’affaire que l’on traite comme des cheveux dans la soupe, à quoi se résoudre? A dire comme le meunier: « Je veux faire à ma guise », et probablement c’est ainsi que je ferai.

Adieu, ma bien chère fille. Priez bien pour moi, et croyez à ma bien profonde affection.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Emile et Amélie, les enfants de Mme Doumet. Sa soeur est Soeur M.-Catherine Combié R.A.
2. Mgr Emm. Staraveros, archevêque de Drama (Thrace), venu à l'unité catholique le 22 novembre 1861. Il avait été sacré archevêque en 1840 sous le nom de Meletios.