DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 239

25 mar 1863 Constantinople CHASSANIS Clémentine

Ne savez-vous pas le plaisir que vous me faites quand vous me traitez en père? – Les vicissitudes de sa prédication. – La piété dans ce pays, ce sont les domestiques. – Dilatez votre coeur dans le feu d’une véritable tendresse pour notre bon Maître. – Claire.

Informations générales
  • DR04_239
  • 1954
  • DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 239
  • Orig.ms. ACR, AM 379; D'A., T.D. 38, n. 16, pp. 99-100.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU CHRIST
    1 DOMESTIQUES
    1 GRECS
    1 PREDICATION DE RETRAITES
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 VIE DE SACRIFICE
    2 ATTENOUX, CLAIRE
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 COMBIE, JULIETTE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    3 ARCHIPEL GREC
    3 CONSTANTINOPLE
  • A MADEMOISELLE CLEMENTINE CHASSANIS
  • CHASSANIS Clémentine
  • Constantinople, 25 mars 1863.
  • 25 mar 1863
  • Constantinople
La lettre

Comment, méchante fille, vous croyez avoir besoin de permission pour m’écrire! Oh! voilà qui est fait. Mais je ne me laisse pas prendre ainsi, et vous savez bien que j’attendais une de vos lettres. Mais, voyez donc, il me semblait vous avoir écrit. Dans tous les cas, je demandais, dans une de mes lettres à Juliette(1), si vous ne me donneriez aucun signe de vie. Vous ne savez donc pas le plaisir que vous me faites, quand vous me traitez en père? Ah! Clémentine, j’aurais envie de me fâcher, si je ne craignais qu’une autre fois vous ne m’écriviez pas du tout.

Je suis ravi que vous ayez toujours des motifs réels d’aller voir le P. Hippolyte. Il vous aura dit que je me porte assez bien, mais il ne vous aura pas dit mes vicissitudes. Dimanche, je prêche. L’église est comble: tout ce qu’il y a de mieux à Constantinople en fait de pachas, de mazziniens, de banquiers, de négociants, de savants – ils ne sont pas forts, leurs savants. – Le lendemain matin, je remonte encore en chaire. Petit auditoire très clairsemé. Je dis: c’est peu. Attendez. A peine ai-je fait le signe de la croix que la moitié de ce petit auditoire décampe. C’étaient des Grecques qui venaient pour une neuvaine. J’avais eu le malheur de prêcher à 10 heures du matin. A Constantinople, une dame catholique bien élevée doit être dans son lit à cette heure-là.

Ce qu’il y a de curieux, c’est ce qui maintient la piété dans ces pays-ci, ce sont les domestiques. Elles viennent des îles de l’Archipel et signifient à leurs maîtresses que, si elles ne peuvent jeûner tout à leur aise, elles décampent. On leur a donné une retraite. On les gardait à l’église trois heures le matin, presque autant le soir. Le dîner ne se faisait pas, le souper n’était pas prêt. Tant pis pour les maîtres! Les cuisinières éprouvaient le besoin de faire une retraite, les nourrices aussi. Elles laissaient crier à la maison les marmots, qu’elles se gardaient bien de porter à l’église.

Puisque le bon Dieu semble vous traiter avec plus de douceur, profitez-en, mon enfant. Croyez-moi, priez, priez beaucoup, entrez dans la vie intérieure, appliquez-vous à donner à N.-S. des preuves de votre amour par des sacrifices continuels. Vous savez ce que c’est qu’un coeur large. Ma chère Clémentine, rendez le vôtre immense en le dilatant dans le feu d’une véritable tendresse pour notre bon Maître. Ah! quand vous viendrez me dire: « Je suis entièrement à Dieu », je sais bien que vous aurez calculé toute la portée de ces mots.

Ces lignes vous arriveront vers la fin de la Semaine Sainte. Je vous souhaite une véritable mort à vous-même sur le Calvaire et une réelle résurrection. Quand je reviendrai, il faut que je vous trouve toute transformée.

Vous avez très bien fait de parler de Claire(2) à M. de Cabrières. Oui, c’est à lui de voir ce qu’il a à faire. Quant à vous, ma chère fille aînée, souvenez-vous que des oeuvres, comme celles dont vous me parlez, attirent la miséricorde de Dieu et sont payées par de grandes grâces.

Adieu, mon enfant. Je n’ai que le temps de vous envoyer une bénédiction de vrai père. Je vais monter en chaire, je ne me relis pas.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Juliette Combié.
2. Claire Attenoux.