DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 242

29 mar 1863 Constantinople BRUNONI Mgr

Observations présentées à sa demande au vicaire apostolique patriarcal de Constantinople par le P. d’Alzon et l’abbé Testa sur le projet de réunion des habitants de Svistov.

Informations générales
  • DR04_242
  • 1957
  • DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 242
  • Copie ms. ACR, AN 199 et 2 CK 28; Brouillon autogr. ACR, CV 42; D'A., T.D. 39, n. 4, pp. 123-130; MANSI, t. 45, col. 95-100.
Informations détaillées
  • 1 BULGARES
    1 RETOUR A L'UNITE
    2 FAVEYRIAL, JEAN-CLAUDE
    2 GREGOIRE XIII
    2 PHOTIUS
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 SOFRANOV, IVAN
    2 TESTA, CARLO
    3 CONSTANTINOPLE
    3 SVISTOV
  • A MONSEIGNEUR BRUNONI, VICAIRE APOST. PATRIARCAL DE CONSTANTINOPLE
  • BRUNONI Mgr
  • Constantinople, le 29 mars 1863(2).
  • 29 mar 1863
  • Constantinople
  • A Sa Grandeur
    Monseigneur Brunoni Archevêque de Taron
    Vicaire Apostolique de Constantinople(1)
La lettre

Monseigneur,

Vous nous avez demandé des observations sur le projet de réunion que Vous ont fait parvenir les habitants de Sistov. Nous avons l’honneur de Vous les soumettre en Vous priant, tout d’abord, de remarquer une difficulté qui se présente en jetant un simple coup d’oeil sur cette pièce.

En effet, elle est tellement incomplète, et si remplie d’inexactitudes que l’on se demande si c’est à la plus absolue ignorance des choses, ou à la mauvaise foi qu’il faut attribuer ses nombreux défauts de rédaction.

Si ce n’était que l’ignorance unie à la bonne foi, nous proposerions de passer sur une foule de détails que plus tard l’instruction corrigerait pour aller au point essentiel, l’Union; malheureusement les Bulgares nous ont fait faire de tristes expériences de leur mauvaise foi. Nous pensons donc, sauf meilleur avis, que le mieux est de discuter ligne par ligne la pièce, comme si ceux qui l’ont écrite connaissaient la portée de tous les détails. S’il y a malentendu, des explications seront données, et dans tous les cas, ceux qui veulent venir vers nous ne pourront nous accuser d’avoir espéré les prendre par surprise.

Pour juger plus facilement des observations que nous avons l’honneur de Vous soumettre, Monseigneur, nous plaçons d’un côté le texte du projet tel qu’il a été présenté par les habitants de Sistov, et nos observations de l’autre côté(3).

PROJET PRESENTE PAR LES HABITANTS DE SISTOV(4).

Au Patriarcat Bulgare à Cons[tantino]ple.

Les habitants de Sistov.

Nous Bulgares habitants de Sistov, clergé et laïques, ayant invoqué le secours de la grâce du St Esprit, déclarons solennellement et publiquement ce qui suit, à savoir: Que nous renonçons au pouvoir anticanonique et illégal que l’Archevêque grec de Constantinople exerce sur notre église bulgare orthodoxe. Et en rompant tout lien et toute communication spirituels avec lui aussi bien qu’avec le clergé grec qui lui est soumis. Nous revenons à l’exemple de nos pères et de nos aïeux, au souverain domaine canonique et légal du Chef des Apôtres, Saint Pierre, et nous renouvelons la communication et participation avec la sainte Eglise Occidentale Romaine. Nous prions donc Sa Sainteté le Vicaire Apostolique Pape Pie IX de nous recevoir dans l’unité de cette commune église du Christ en approuvant et confirmant les principes et la manière de réunion contenus dans l’arrangement suivant:

OBSERVATIONS

Cette prière pèche par sa suscription même. Elle est adressée au Patriarcat Bulgare à Constantinople. Ce Patriarcat où est-il? Veut-on dire que l’Union subsistera quand le Patriarcat sera érigé? La condition est inacceptable. S’unira-t-on avant que l’érection du Patriarcat n’ait lieu? On s’adresse alors à un être imaginaire. La suscription ferait seule chanceler sur sa base même tout le projet soumis à notre examen. Nous proposons de supprimer cette suscription et de la remplacer par celle-ci: Au Très Saint Père le Pape Pie IX, Evêque de l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine. Dans ce paragraphe qui sert de préambule, les Bulgares déclarent renoncer au pouvoir du Patriarche Grec sur notre Eglise Bulgare Orthodoxe. Le mot Orthodoxe est parfaitement légitime, mais puisque dans le langage généralement accepté, cette désignation s’applique aux Grecs schismatiques, pourquoi la conserver si l’on veut revenir franchement à l’unité? Nous proposerions de mettre seulement: notre église Bulgare. Si les Bulgares y tiennent, ils peuvent conserver leur titre d’Orthodoxes, mais dans la situation actuelle, il leur fera peu d’honneur aux yeux des Catholiques, et excitera peut-être les réclamations des schismatiques, qui s’intitulent orthodoxes eux aussi; que si par cette dénomination ils veulent se laisser une porte de derrière pour se former un jour en église nationale, il faut absolument leur en ôter le prétexte. Votre Grandeur, sait que de graves motifs peuvent faire croire qu’ils ont cette idée.

Et ces mots, vers la fin du paragraphe, Nous renouvelons notre communication et participation, il faudrait ajouter soumission.

Le Vicaire Apostolique le Pape Pie IX, supprimer Vicaire Apostolique.

En confirmant les principes et la manière de réunion contenue dans l’arrangement suivant. Ceci semble traiter un peu trop de puissance à puissance. Peut-être vaudrait-il mieux mettre: A cet effet nous présentons à son examen et à son approbation, s’il y a lieu, l’arrangement suivant.

PROJET…

1. Nous croyons vraiment notre Eglise Orientale telle que nous l’avons reçue des Saints Pères et des Saints Conciles oecuméniques. En même temps, nous croyons et confessons que les Souverains Pontifes Romains sont les vrais successeurs de Saint Pierre et nous renouvelons notre communication avec le siège de Saint Pierre, sur lequel J.-C. a fondé son Eglise, et sur lequel est assis et gouverne souverainement cette même Eglise Pie IX, que nous reconnaissons, nous aussi, pour chef spirituel et protecteur de notre église Bulgare Orthodoxe.

OBSERVATIONS

Paragraphe 1. Nous croyons vraiment notre Eglise Orientale telle que nous l’avons reçue des saints Pères et des saints conciles Oecuméniques. Le sens de cette phrase est ambigu. Ou vous croyez votre église telle qu’elle est aujourd’hui, et alors vous êtes hérétiques, ou vous croyez votre église telle que l’avaient faite vos Pères et les Conciles Oecuméniques, mais telle qu’elle n’est plus depuis le schisme, et alors il faut le dire clairement. Voici ce qu’il serait essentiel de dire:

« Repoussant les erreurs de Photius et de ses successeurs qui ont détruit l’unité de l’Eglise Catholique, et mêlé plusieurs erreurs au dogme véritable, nous acceptons la profession de foi telle qu’elle a été proposée aux Chrétiens d’Orient par le Pape Grégoire XIII(5). »

Que nous reconnaissons aussi pour chef spirituel et protecteur de notre église Bulgare Orthodoxe. Le mot protecteur dit trop et trop peu; le supprimer. Même observation pour le mot Eglise Bulgare Orthodoxe.

Ne pourrait-on pas mettre « que nous reconnaissons pour le Père et le Chef de toute l’Eglise Catholique et par conséquent de notre église Bulgare qui veut rentrer dans l’Unité. »

PROJET…

2. Pendant que d’une part nous continuerons toujours d’être très fidèles à S. M. le Sultan, notre Souverain, d’autre part et en même temps, nous garderons aussi une fidélité pleine et sincère, et une soumission très cordiale et filiale à Sa Sainteté le Pape Pie IX et à ses successeurs sur le Saint Siège. Dès aujourd’hui et pour toujours nous avons et reconnaissons la sainte Eglise Bulgare de Constantinople pour notre vraie mère spirituelle.

OBSERVATIONS

Paragraphe 2. Le second article est excellent, mais sa rédaction manque de clarté. Il faudrait indiquer la fidélité due au sultan pour les choses temporelles et la fidélité au Souverain Pontife pour les choses spirituelles. L’oubli de cette distinction qui ne vient évidemment que d’un défaut de rédaction peut donner matière à des réclamations: en l’établissant on évite tout embarras.

Nous reconnaissons la sainte Eglise Bulgare de Constantinople pour notre vraie mère spirituelle. La paroisse est une mère, l’église cathédrale est une mère, l’église métropolitaine, l’église Patriarcale le sont aussi; mais quand il s’agit de l’union, déclarer une église autre que l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine pour sa mère, c’est s’exprimer très incorrectement. Voici notre projet: « Nous déclarons la Sainte Eglise Catholique , Apostolique et Romaine la mère de toutes les églises; et plus particulièrement notre mère à nous la sainte Eglise Bulgare quand elle sera établie à Constantinople et tant qu’elle restera en union avec l’Eglise Romaine. »

PROJET…

3. La Sainte Eglise Romaine ayant déjà dans les temps anciens réglé qu’il y eut dans notre église Bulgare une hiérarchie canonique et indépendante S.S. le Pape Pie IX, qui est maintenant son chef suprême, daignera lui aussi rétablir et reconnaître notre hiérarchie canonique et indépendante.

OBSERVATIONS

Paragraphe 3. Une hiérarchie canonique et indépendante. Supprimer le mot indépendante ou tout au moins le remplacer par le mot distincte.

PROJET…

4. Le Principal Archevêque de notre Eglise Bulgare de Cons[tantino]ple sera le Chef de toutes les églises et de tout le clergé Bulgares, et il les gouvernera conformément aux règles ecclésiastiques et aux lois Impériales. Pour ce motif ils porteront, lui et ses successeurs le titre de Patriarche Bulgare.

OBSERVATIONS

Paragraphe 4. Pour ce motif ils porteront lui et ses successeurs le titre de Patriarche Bulgare. La première partie du paragraphe peut passer; la seconde que nous transcrivons est absolument inacceptable quelles que soient les intentions du Souverain Pontife, nous croyons très dangereux d’engager ses promesses à moins qu’Il ne se soit explicitement exprimé, ce dont nous nous permettons de douter.

PROJET…

5. Le Patriarche bulgare aussi bien que les métropolitains, les Evêques et tout le Clergé qui dirigeront les éparchies et les énories (paroisses) bulgares seront tous d’origine bulgare. Les Evêques seront choisis à la majorité des voix par les éparchies, et ils seront approuvés par le Patriarche. Le Patriarche sera choisi par le commun désir du haut Clergé et de toute la nation, et il sera approuvé par le Pape Pie IX sous la protection duquel il se trouvera.

OBSERVATIONS

Paragraphe 5. Le Patriarche Bulgare mettre « L’Archevêque Bulgare« . La fin du paragraphe peut être acceptée, si Votre Grandeur croit pouvoir répondre de la volonté du Saint-Père.

PROJET…

6. Tous les rites et institutions de notre Eglise Orientale, telles que: la messe, les solennités et usages et coutumes ecclésiastiques de notre haut et bas clergé, la manière d’administrer les saints mystères et de donner la communion restent invariables sous tous les rapports; comme ils ont été en usage jusqu’à présent, ainsi le seront-ils à l’avenir.

7. La lecture du symbole de la foi se fera en la manière qu’il se trouve dans les livres ecclésiastiques, et il restera invariable. Le calendrier restera de même à la manière ancienne et avec les Saints et les fêtes reçus dans l’Eglise Orientale.

8. Les livres d’église dont nous avons fait et ferons usage pour le service divin restent les mêmes qui sont aujourd’hui en usage dans la langue slave ou ancien Bulgare. Pareillement dans nos écoles la langue bulgare avec les lettres et caractères nationaux sera toujours la langue principale et la base de l’enseignement de notre jeunesse.

17 février 1863, Sistov.

1er mars

Suivent les signatures.

OBSERVATIONS

Les paragraphes 6, 7 & 8 veulent une observation générale. Les Bulgares se montrent jaloux de leurs privilèges; il faut les leur maintenir, établir que leurs rites, leur symbole, leur langue, leurs saints, leur calendrier seront maintenus, sauf les abus. S’il s’est glissé des erreurs dans les livres liturgiques par l’effet du schisme, s’il s’est introduit de faux saints, tout cela doit être corrigé, sans toucher ni au rite, ni aux prières, ni aux cérémonies.

Il faudrait ajouter ces mots: « sauf les erreurs et abus évidemment introduits par le schisme Photius »; et pour les saints: « Sauf les saints introduits depuis le schisme. »

Quant au Calendrier, il faut d’une part leur laisser toute liberté, mais constater que cette délibération n’implique pas que si d’eux-mêmes ils veulent revenir au calendrier adopté par les vrais savants, ils ne se croient pas arrêtés par cette déclaration.

Quant à leur langue et à leurs caractères nous n’avons pas à nous en occuper; ceci ne nous regarde point. Il faut leur laisser toute liberté à cet égard, mais nous n’avons pas à nous en mêler.

Telles sont, Monseigneur, les observations que nous avons l’honneur de Vous soumettre, et qui paraissent d’autant plus importantes que l’expérience est là pour prouver combien il faut se tenir sur ses gardes avec des hommes qui cachent leur duplicité derrière leur ignorance(6).

Nous sommes avec le plus profond respect

Monseigneur,

Vos très humbles et très dévoués Serviteurs(7),

E. d'Alzon|Ch. Testa|miss. apost.
Notes et post-scriptum
1. Cette adresse figure dans la copie ACR, AN 199. La copie ACR, 2 CK 28 a pour titre: "Lettre du Très Révérend Père d'Alzon et de l'abbé Testa à sa Grandeur Mgr Brunoni, Arch. de Taron, Vicaire Apostolique de Constantinople".
Don Carlo Testa était le secrétaire de Mgr Brunoni et celui du Comité de l'Union Bulgare (Comité latin).
2. AN 199 a laissé un blanc à la place de *29 mars*. CV 42 est daté.
3. Ce paragraphe est absent de 2 CK 28 où les observations sont placées à la suite des divers paragraphes de la supplique: c'est également la disposition que nous adoptons ici.
4. Le brouillon du P. d'Alzon ne contient pas ce document traduit du bulgare (par le P. Faveyrial).
5. En 1575, lors du projet d'union avec l'Eglise gréco-russe (Denzinger, n° 1083-1085).
6. Sur cette pétition des habitants de Sistov (Svistov, Sistovo, Sistova) et sur les observations du P. d'Alzon, v. SOFRANOV, o.c., pp. 286-302.
7. Seule la copie ACR, 2 CK 28 a transcrit les signatures.