DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 323

19 jun 1863 Nîmes GALABERT Victorin aa

Il a reçu une lettre du P. Vincent de Paul au sujet de son mémoire. – En écrivant à Mgr Brunoni, il s’explique à ce sujet. – La situation politique en France. – Si Rome ne nous approuve pas pour Philippopoli, restez à Constantinople jusqu’à nouvel ordre. – Le P. Vincent de Paul sera nommé sous-directeur à Nîmes.

Informations générales
  • DR04_323
  • 2027
  • DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 323
  • Orig.ms. ACR, AJ 87; D'A., T.D. 32, n. 87, p. 74.
Informations détaillées
  • 1 BULGARES
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONGREGATION DE LA PROPAGANDE
    1 ELECTION
    1 MISSION DE BULGARIE
    1 POLITIQUE
    1 RETOUR A L'UNITE
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 BARNABO, ALESSANDRO
    2 BRUNONI, PAOLO
    2 COCHIN, AUGUSTIN
    2 GUEROULT, ADOLPHE
    2 MALCZYNSKI, FRANCOIS
    2 MAURAIN, JEAN
    2 PAUL, SAINT
    2 PERNET, ETIENNE
    2 PIE IX
    2 PITRA, JEAN-BAPTISTE
    3 AUTRICHE
    3 CONSTANTINOPLE
    3 FRANCE
    3 KADI-KOY
    3 PARIS
    3 PHILIPPOPOLI
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 TURQUIE
  • AU PERE VICTORIN GALABERT
  • GALABERT Victorin aa
  • Nîmes, 19 juin 1863.
  • 19 jun 1863
  • Nîmes
La lettre

Mon cher ami,

J’ai reçu votre lettre que j’ai immédiatement envoyée à Rome(1), d’où j’ai reçu une immense lettre du P. V[incent] de P[aul] au sujet de mon mémoire(2). Vous verrez l’accueil qu’il a reçu. Il y a des choses bonnes, d’autres que l’on redoute. Je vous enverrai la copie de la réponse officielle(3). En attendant, en écrivant à Mgr Brunoni je lui dis ce qu’il y a de plus important. Lisez la lettre avant de la lui remettre(4).

On s’attend à une révolution. Tout le monde fait de l’opposition. La citation devant le conseil d’Etat de sept évêques a valu à Guéroult 6.000 voix catholiques qu’on a voulu protester(5). On dit que la guerre contre la Russie est décidée. Nous allons passer par une crise très grave. A Rome, on trouve Malczinski trop jeune. Si Rome ne nous approuve pas pour Philippopoli, vous resterez à C[onstantino[p[le] et nous n’enverrons personne jusqu’à nouvel ordre(6).

Le P. V[incent] de P[aul] va partir pour Nîmes, où je le nommerai sous-directeur. Pernet le remplacera.

Addio, très cher. La lettre à M. Brunoni vous dira le reste. Totus tibi.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Au P. Bailly, avec pour instruction de la communiquer au card. Barnabo (v. *Lettre* 2026).
2. Le card. Barnabo a présenté au pape, le 11 juin, le rapport du P. d'Alzon (*Lettre* 1979). Le 13, il a fait part de la réaction du pape au P. Bailly et, le même jour, ce dernier l'a communiquée à son supérieur.
Voici l'essentiel des remarques du pape telles que le P. Bailly les rapporte au P. d'Alzon dans sa lettre du 13 juin:
"1° Que le plan est trop grandiose et d'une exécution difficile.
2° Que Pie IX ne pourra admettre d'arrière-pensée au sujet des rites à latiniser, il a fait des promesses et il les tiendra largement: si cela doit se faire, dit-il, ce sera un autre que moi, je ne puis me déjuger, j'ai commencé un plan opposé en divisant la Propagande en deux branches et je demande que les écoles soient *orientales* comme les séminaires.
3° [...] Il y a trois choses demandées qui ont été tentées et regardées comme impossibles ou inopportunes, à savoir:
*Le Patriarchat*, proposé il y a six ans par le Saint-Père lui-même, la France a poussé les hauts cris, d'autres puissances y ont fait une opposition considérable.
*L'Archevêché de Chalcédoine* proposé, il y a six mois ou un an, et repoussé après examen dans la crainte de donner à croire justement aux Orientaux si inquiets qu'on veut les latiniser.
*Les rapports directs avec la Porte* [...] la France et l'Autriche n'ont pas permis aux négociations d'aboutir, et à grand regret on y a renoncé.
Au reste le rapport sera lu en Congrégation générale dès qu'on pourra appuyer les propositions d'un avis de Brunoni qui aurait dû dire les choses ci-dessus au P. d'Alzon, attendu qu'il était bien au courant."
A ces points essentiels ajoutons le fait que Mgr Malczinski, dont d'ailleurs les Bulgares ne veulent pas, est jugé bien jeune pour être évêque.
Le P. d'Alzon reçoit tout de même un bon point pour la pensée de commencer par des écoles et un séminaire (c'est le point sur lequel tout le monde est d'accord) et pour celle de "prêcher les Ecoles d'Orient en France".
En lisant la lettre à Mgr Brunoni (*Lettre* 2028), comme le P. d'Alzon invite le P. Galabert à le faire, nous y retrouvons en effet certains points sur lesquels le P. d'Alzon vient d'apprendre la réaction du pape: le patriarcat latin, l'archevêché de Chalcédoine, l'élévation à l'épiscopat de Mgr Malczinski, mais nulle part ce qui est dit n'est présenté comme une position prise par le pape en face de son mémoire. Et surtout nous n'y retrouvons pas ce qui à nos yeux est le plus grave: l'intention latinisante prêtée au P. d'Alzon par Pie IX.
Il semble que le P. d'Alzon ne se rende pas compte encore de l'effet désastreux produit sur le pape par son rapport. Le ton des lettres à Galabert et à Brunoni qui nous occupent ici, comme la façon dont il parle de la réaction à son rapport dans les lettres suivantes jusqu'à la fin de juin, nous le donnent à penser.
3. Réponse officielle que, disait le P. Bailly, le cardinal avait reçu l'ordre du pape de donner au P. d'Alzon et qui lui parviendrait dans huit jours.
Faut-il voir cette "réponse officielle" dans une lettre du card. Pitra au P. d'Alzon, datée du 28 juin? Dom Pitra avait été créé cardinal le 16 mars précédent et était membre de la section orientale de la Propagande. Français et connaissance de vieille date du P. d'Alzon, il était tout naturel qu'on lui confiât la tâche de communiquer à ce dernier l'avis de la congrégation. Nulle part cependant dans sa lettre, le cardinal ne se dit explicitement le porte-parole de la Propagande, mais il insiste sur le fait que sa pensée est la pensée même du Saint-Siège.
Cette pensée de Rome est bien aussi la vôtre, dit-il au P. d'Alzon, mais en prenant la peine de l'expliciter, il laisse entendre qu'il a pu s'en écarter quelque peu. Lui-même d'ailleurs a bien dû le constater et le faire remarquer: "Je n'ai pu dissimuler quelques dissidences". Et quand il regrette de n'avoir pu échanger avec lui que des paroles hâtives lors de ses passages à Rome, ne lui fait-il pas un reproche discret? ("Que n'êtes-vous donc venu me voir plus longuement? J'aurais peut-être pu vous éviter des faux pas...").
Si la lettre du card. Pitra est bien datée, il est peu probable qu'il ait pu la remettre à Vincent de Paul Bailly et à ses compagnons, qui durent quitter Rome de très bonne heure le 28 juin. Ajoutons que nous n'avons retrouvé aucune mention d'une entrevue du P. Bailly avec le card. Pitra à ce moment, aucune mention non plus de la réception de cette lettre par le P. d'Alzon.
Voici donc le texte intégral de cette lettre (Orig.ms. ACR, 2 BK 103) qui mérite d'avoir sa place dans l'histoire de l'attitude de Rome vis-à-vis des Eglises orientales. Au lecteur de la confronter au texte du rapport, et à voir dans quelle mesure le P. d'Alzon mérite les reproches qui courtoisement mais clairement lui sont adressés.
"Rome 28 juin 1863.
Mon très Révérend Père,
J'ai trop différé de vous remercier du très intéressant mémoire dont vous avez bien voulu me laisser une copie, et regrette de ne pouvoir confier qu'un mot trop court à vos enfants qui vont partir de Rome pour la France. J'ai également regretté à votre départ, comme à votre précédent voyage, de n'avoir pu échanger que des paroles hâtives sur ce grave et bel apostolat de l'Orient.
Je n'ai pu dissimuler quelques dissidences, mais qui ne peuvent aller au fond des choses. Au fond, je n'ai jamais eu qu'une pensée qui résume tout et qui est bien aussi la vôtre, puisque c'est la constante pensée du Saint-Siège. Sauvons l'Orient avec tout ce que Dieu lui a conservé de vie chrétienne, d'institutions religieuses, de rites sacrés, de langues saintes. Sauvons-le, tel que Dieu l'a fait, sans lui ôter ce qui lui a été si longtemps et si miraculeusement maintenu. Le Saint-Siège n'a jamais eu sur ce point qu'un langage et qu'une parole, malgré, il faut bien le dire, la tendance obstinée des missionnaires à vouloir *latiniser*, *italianiser*, *franciser*. Il n'a cessé de répéter le mot de S. Paul qui a toujours été la devise de l'apostolat, de se faire grec avec les Grecs, scythe avec les Scythes, slave avec les Slaves, bulgare avec les Bulgares.
J'ai toujours admiré comment nos missionnaires avaient eu si généralement le courage de se transformer dans l'extrême Orient, de se faire thibétain, chinois, mandarin, et même sauvage avec les sauvages, et comment en sens inverse, à notre poste, avec mille facilités, ces mêmes missionnaires ne s'étaient jamais bien décidés à se faire ni grecs, ni slaves, ni arabes. Ces bons missionnaires nous ont infatués jusqu'à nous tromper, d'admiration pour les chinois; ils se sont passionnés pour les bonzes et les lamas; et ils n'ont eu qu'aversion et mépris, jusqu'à l'injustice, pour ces pauvres églises schismatiques. Ils ont fouillé toutes les sciences de l'Orient, toutes les religions de la haute Asie: et sur les rites, la liturgie, l'hymnographie, la hiérarchie, tout le mécanisme religieux de l'Eglise qui s'appelle orthodoxe, les éléments nous manquent. Au moins les 100 volumes de lettres édifiantes nous laissent dans une nuit profonde sur des choses usuelles et banales.
Il y a là évidemment deux lignes, celle des missionnaires et celle du Saint-Siège. J'ai moins de mérite que d'autres à rester exclusivement dans celle-ci. Je n'en suis pas moins ardent, je vous l'avoue, à ne rien épargner pour la faire prévaloir, et n'hésiterai pas à lui sacrifier même la domination que vous entrevoyez dans un avenir prochain, pour le génie français dans l'Orient. Dieu veuille qu'elle n'amène pas en Orient nos fantaisies modernes et ne crée pas une difficulté de plus pour l'union des églises, le scepticisme ajouté au schisme et à l'islamisme.
Dieu veuille abondamment bénir, mon cher et vénéré Père, votre zèle et celui des vôtres dans le courageux apostolat que vous prêchez si bien de paroles, de faits et d'exemples personnels. Je vous demeure, trop heureux si vous m'accordez une part à vos prières et à vos mérites, tendrement et religieusement uni en S. Pierre et dans le sein de notre mère, la Sainte Eglise."
Js. Bapt. Card. Pitra.
4. Il s'agit de la *Lettre* 2028.
5. Adolphe Guéroult (1810-1872), directeur de l'anticléricale *Opinion Nationale*. Il semble que la plupart des électeurs qui, à Paris, au premier tour des législatives avaient voté pour le catholique libéral Augustin Cochin, reportèrent leurs voix sur Guéroult au second. Ce dernier avait en effet déclaré admettre la formule "l'Eglise libre dans l'Etat libre" (MAURAIN, pp. 643-644).
6. Voir *Lettre* 2026 et n. 3.