DERAEDT, Lettres, vol.5 , p. 334

6 jun 1865 Le Vigan MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Vous n’osez pas enfoncer des portes ouvertes… – Qui n’a pas de doutes contre la foi? – Il n’y a pour vous rien de fermé chez moi. – Tirons l’un et l’autre les leçons de nos torts.

Informations générales
  • DR05_334
  • 2542
  • DERAEDT, Lettres, vol.5 , p. 334
  • Orig.ms. ACR, AD 1384; D'A., T.D. 23, n. 843, pp. 174-175.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 COMPORTEMENT
    1 HUMILITE
    1 ILLUSIONS
    1 IMAGINATION
    1 MALADIES MENTALES
    1 OBLATES
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PRESSE
    1 SAGESSE HUMAINE
    1 SOUFFRANCE SUBIE
    1 TENTATION
    1 VERTU DE FORCE
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 DONEY, JEAN-MARIE
    2 LE BLANC, SEBASTIEN
    2 PAUL, SAINT
    2 PICARD, FRANCOIS
    3 CHARENTON-LE-PONT
    3 FRANCE
    3 MONTAUBAN
    3 MONTELIMAR
    3 NAVARRE
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Le Vigan, 6 juin 1865.
  • 6 jun 1865
  • Le Vigan
La lettre

Eh bien, ma fille, vous apercevez-vous qu’il faut vous mettre un cran au- dessous des sorciers de Montélimar, qui, eux du moins, enfoncent les portes ouvertes, tandis que vous n’osez pas y toucher, parce que vous vous obstinez à les croire fermées? Qui n’a pas de doutes contre la foi(1)? Ce serait vraiment du beau de s’embarquer sur une pareille question! Allons, soyez forte. L’évêque de Montauban me faisait observer un jour que si l’on écrivait toutes les idées qui passent par le cerveau de l’homme le plus sage de France et de Navarre en vingt-quatre heures, on aurait quelque chose de pire que le journal du plus grand fou de Charenton(2). La différence entre l’homme sage et le fou est que l’un s’arrête à tout, et le sage ne s’arrête qu’à ce qui est sage. Or entre ces deux extrêmes il y a divers degrés, et c’est ce qui constitue les degrés dans la sagesse ou dans la folie. C’est ce que saint Paul appelle éprouver les esprits.

Souvenez-vous bien qu’il n’y a pour vous rien de fermé chez moi, mais que j’ai eu le tort de vous traiter comme si vous étiez incapable d’être ailleurs qu’au plus haut degré de la sagesse, tandis qu’en bon père et en bon ami j’aurais dû aller vous chercher, quand vous descendiez momentanément quelques échelons, où vous vous débattiez contre la douleur, mais par malheur une douleur déraisonnable. C’est ce que j’ai eu le tort de ne pas voir, accoutumé que je croyais être à l’indéfectibilité de votre sagesse. Voilà-t-il une jolie manière de faire des excuses, si besoin est!

Depuis deux ou trois jours, vous découvrez que vous m’êtes plus dévouée que vous ne le pensiez, et depuis le même temps je m’aperçois que si j’avais moins tenu compte de ce qui en vous me paraissait moins sage, nous aurions pu nous entendre plus aisément. Que ceci nous serve de leçon. Vous compterez un peu plus sur moi, même quand je veux faire de l’humilité, et moi je tiendrai un peu plus compte de cette imagination de coeur, qui vous fait voir les choses en rouge quand elles sont bleues, et jamais quand elles sont vertes. Je m’arrête. On dîne et je n’aurai pas même le temps de me relire(3).

Tout vôtre, et j’espère que vous le croyez.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Mère M.-Eugénie s'était ouverte au P. d'Alzon des tentations contre la foi qui l'avaient assaillie à plusieurs reprises au cours des derniers mois (lettre du 4 juin).
2. A Charenton-le-Pont, au confluent de la Seine et de la Marne, se trouvait le célèbre hospice d'aliénés, dit "de Charenton", fondé en 1642 par Sébastien Le Blanc, desservi par les Frères de la Charité de Saint-Jean de Dieu, jusqu'en 1790. C'était à la fois une maison de santé et un centre de détention. Rétabli par le Directoire, l'asile fut reconstruit et agrandi à diverses reprises, notamment vers 1830 et de 1855 à 1867. (note ajoutée en avril 2001).
3. Les lettres de Mère M.-Eugénie et du P. d'Alzon ont retrouvé la sérénité qu'elles avaient perdue depuis le début de mai. D'autres s'étaient aperçus du froid qui s'était installé dans leurs relations. Ainsi V. de Paul Bailly qui, le 29 mai, écrivait au P. Picard: "J'ai l'âme navrée des différends qui s'élèvent entre Madame la Supérieure et le P. d'Alzon, je sens que Madame la Supérieure, blessée par quelques lettres, a dû répondre vivement." Et V. de Paul se demandait si des points de vue opposés dans la question des Oblates n'expliquaient pas ce différend. Mère M.-Eugénie elle-même avait demandé confidentiellement au P. Bailly dès le 18 mai s'il n'avait aperçu aucun changement dans l'état général du P. d'Alzon. Ses dernières lettres, lui disait-elle, laissaient paraître chez lui une instabilité et une inquiétude inhabituelle. "Oui, avait répondu V. de Paul, la santé du P. d'Alzon nous cause beaucoup d'inquiétude, il est très épuisé et se fatigue très facilement [...] mais il est toujours lui-même, plutôt moins irritable que par le passé [...] ses instructions n'ont jamais été plus belles...". Mais il ajoutait: "Je vous dirai une impression générale qui s'est formée dans mon esprit sans faits suffisants, j'en conviens. Le P. d'Alzon serait disposé à interpréter le désir que vous avez pour le bien des deux oeuvres de leur faire un centre solide à Paris, comme une tendance à rompre le courant qu'il imprime personnellement aux oeuvres [...]. Dès lors il devient comme jaloux pour ses travaux, et les occasions de chocs s'accumulent." (22 mai).