DERAEDT, Lettres, vol.5 , p. 440

2 nov 1865 Nîmes MENU Camille-Stanislas ra

Pourquoi je me suis tu. – Mon peu de mérite et toutes vos vertus. – Je serai à Paris du 15 au 25 janvier. – Voulez-vous de mon vin et de mes poulets?

Informations générales
  • DR05_440
  • 2679
  • DERAEDT, Lettres, vol.5 , p. 440
  • Orig.ms. AC R.A.; D'A., T.D. 35, n. 14, pp. 15-17.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE GRACES
    1 ANGES
    1 BETISE
    1 BONTE
    1 CALOMNIE
    1 CHANT
    1 CLOCHER
    1 COLERE
    1 CRITIQUES
    1 DOUCEUR
    1 FATIGUE
    1 MALADES
    1 MALADIES
    1 OFFICE DES MORTS
    1 PATIENCE
    1 RECONNAISSANCE
    1 REMEDES
    1 REPOS
    1 VERTUS
    1 VIE DE SILENCE
    1 VIEILLESSE
    1 VIN
    1 VOLAILLES
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOYAGES
    2 LAURENT, CHARLES
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A SOEUR CAMILLE-STANISLAS MENU
  • MENU Camille-Stanislas ra
  • Nîmes, 2 nov[embre 18]65.
  • 2 nov 1865
  • Nîmes
La lettre

Pendant que les cloches de la ville sonnent lugubrement l’office ou le salut des morts, je veux, ma bien chère fille, vous expliquer pourquoi je me suis tu. Voyez-vous, le P. Laurent, parmi ses nombreuses chansons, en a une très remarquable par les vérités profondes qu’elle contient, entre autres celle-ci: qu’un homme n’est pas une femme. Voyez-vous, je suis homme et un peu bête, je prends les choses naïvement. Vous vous confondiez en actions de grâces de ce que je vous avais répondu ponctuellement. Je me suis dit: Cette pauvre enfant est touchante; elle se croit obligée, elle, souffrante, endolorie, de me répondre courrier par courrier. Cela la fatigue, diminuons nos lettres. Ainsi ai-je fait.

Puis, je me disais: Qui sait si elle [ne] me remercie tant que pour me faire comprendre que j’écris trop? Je suis soupçonneux. Vous voyez que quand je m’y mets, je ne m’arrête pas pour si peu. J’ai soupçonné que vous me remerciez avec cette effusion, comme on remercie les gens pour leur dire: C’est bon, mais n’y revenez pas si souvent. Je suis trop naïf, mais devant vos désirs si catégoriquement exprimés il n’y a plus qu’une chose à faire, à prendre la plume. Et, bien que cinq minutes avant de recevoir votre lettre, j’eusse dit que j’allais me coucher, à cause d’un gros rhume dont je désire me débarrasser, (il est 5 h. et demie), ah! bien, oui, fustigé comme je le suis par vos reproches, je prends vite la plume pour vous dire que vous avez dix fois, cent fois, mille fois raison; que je ne vaux pas la corde pour me pendre, et que c’est l’unique motif pour lequel on ne m’a pas pendu. Je me coucherai quand le sommeil viendra, et vous l’avez joliment dissipé, je suis tout meurtri de componction.

Quoi qu’il en soit, je fais à part moi de fameuses réflexions sur mon peu de mérite et sur toutes vos vertus. Je songe qu’avec un petit mal de tête et de gorge je me crois perdu, je fais du feu, je prends de la tisane, des pastilles de gomme, etc., etc., tandis que cette chère petite Soeur souffrant depuis si longtemps, toujours chétive, toujours incapable de travailler, a une patience angélique, une douceur archangélique, une bienveillance séraphique, comme j’en juge très bien par les délicieuses choses qu’elle m’écrit.

Vous voulez savoir quand j’arrive à Paris. Si Dieu le veut, du 15 au 25 janvier. Ce ne sont pas les voyages que je n’aime pas, mais la fatigue qu’ils me laissent. Il faut réellement convenir que l’on devient vieux. C’est peu agréable, mais c’est ainsi.

Adieu, bien chère fille. Voyons, que pourrait-on faire pour vous être agréable? Je suis propriétaire de vignes, voulez-vous un peu de vin: du rouge, du blanc, de la clairette, de l’alicante? Si vous n’étiez pas si loin, je vous enverrais de mes poulets. Mais le port coûterait trop. Enfin, vous réfléchirez. En attendant, croyez à mon bien vif désir de ne plus encourir votre courroux(1).

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Le P. d'Alzon ne se pardonne pas d'avoir laissé sans réponse une lettre de Soeur Camille, et la lettre qu'il lui adresse aujourd'hui prend tout son poids d'émotion quand on sait que sa correspondante est une grande malade (elle n'a plus qu'un an à vivre). Mère M.-Eugénie dira au P. d'Alzon que sa lettre avait fait une vraie joie à Soeur Camille et lui avait donné de la gaieté pour plusieurs jours (lettre du 22 novembre).