DERAEDT, Lettres, vol.6 , p. 98

20 jul 1866 Le Vigan MALBOSC_MADAME

L’ennui. – Faire quelque chose d’excellent des poids qui vous pèsent en les transformant en autant de marches pour aller à Dieu. – J’ai regretté de n’avoir pas vu Paulin. – L’Autriche tombée, voilà la Révolution qui triomphe.

Informations générales
  • DR06_098
  • 2835
  • DERAEDT, Lettres, vol.6 , p. 98
  • Orig.ms. ACR, AM 231; D'A., T.D. 37, n. 5, pp. 211-212.
Informations détaillées
  • 1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 CHATIMENT
    1 CONTRARIETES
    1 ENNUI SPIRITUEL
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 OUBLI DE SOI
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 VERTU DE PENITENCE
    2 MALBOSC, MESDEMOISELLES DE
    2 MALBOSC, PAULIN DE
    3 AUTRICHE
    3 BERRIAS
  • A MADAME PAULIN DE MALBOSC
  • MALBOSC_MADAME
  • Le Vigan, 20 juillet 1866.
  • 20 jul 1866
  • Le Vigan
La lettre

Vous êtes ennuyée, ma chère cousine? Je vous plains de toute mon âme. Depuis hier, je lis un livre où toutes les dix pages on répète que l’ennui est le fond des grands génies. L’auteur est-il ennuyé, lui aussi? Je ne sais, mais je sais bien que les saints qui s’ennuient trouvent dans l’ennui même une grande mortification. L’humilité me porte à vous avouer que, pour mon compte, je m’ennuie très peu. Quand j’étais plus jeune, je disais de certaines gens qu’ils étaient trop bêtes pour s’ennuyer. Voyez comme aujourd’hui cela me retombe sur le nez, mais non certes pas sur le vôtre, au milieu de toutes les tracasseries que vous avez la bonté de me dépeindre, qui sont quelque chose de pénible sans doute, mais qui ont le très grand avantage de faire croître votre vertu, si vous le voulez un peu fortement. Après cela, ma bonne fille, puisque nous avons tous à faire pénitence, ne vaut-il pas mieux accepter tout bonnement celles qui se présentent? J’ai beau tourner et retourner, je ne vois rien de préférable à cet abandon absolu, plein, amoureux à la volonté de Dieu, qui nous châtie quand et comme il lui plaît.

Et voyez pourtant comme en vous traitant ainsi il vous met dans cette voie, dont vous me parlez. Tout vous pèse, vous fatigue et vous est à charge. Mon Dieu, de tous ces poids vous pouvez faire quelque chose d’excellent, puisque vous pouvez les transformer en autant de marches pour aller à Dieu. Sans doute, il est pénible d’avoir toujours à monter, mais il est aussi bien humiliant de rester toujours dans ces régions inférieures, où l’on vit pour soi, où l’on ne songe qu’à soi. Ah! que l’oubli de ce vilain soi au sein de Dieu est une belle chose!

J’ai regretté très vivement de n’avoir pas vu Paulin. Malheureusement, j’étais si écrasé que je n’ai pu aller le chercher. Que de choses à dire sur les événements présents et sur les catastrophes futures! L’Autriche tombée, voilà la Révolution triomphante. Et la Révolution triomphante, qu’est-ce donc? Quels bouleversements nous allons voir! Je suis loin de désespérer pourtant, mais nous allons passer par des transformations merveilleuses. Pour moi, je regarde pour savoir si les pôles du monde ne seraient pas changés et si la terre ne tournerait pas à rebours, tant les choses me font l’effet d’aller à l’envers. C’est le moment où les vrais chrétiens auront de très grands devoirs à remplir, et, je le répète, à des heures pareilles, l’horizon de Paulin me semble un peu étroit à Berrias.

Adieu, ma chère cousine. Mille tendresses à votre petit peuple, mais en particulier à mes deux chères pénitentes(1).

Mille fois vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Les filles de Madame de Malbosc.