DERAEDT, Lettres, vol.6 , p. 114

9 aug 1866 Le Vigan MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

La lettre des Soeurs du Conseil suffit, un chapitre général aurait de graves inconvénients. – Gagnez du temps, amassez des matériaux et, s’il le faut, vous recourrez à Rome. – Je n’irai pas à Paris, mais je suis prêt à partir pour Rome. – Soeur M.-Madeleine. – Pour vous, le mieux est de faire la morte. – Le calme revenu, un chapitre hors de Paris arrangera bien des choses. – Si on le consulte, mon évêque ne répondra rien sans avoir entendu mes explications. – Qui peut empêcher de répéter ce qu’on a dit soi-même ? – L’archevêque ne peut-il se rappeler qu’il a été votre supérieur? – De cette bourrasque les Soeurs retiendront la nécessité de l’union.

Informations générales
  • DR06_114
  • 2848
  • DERAEDT, Lettres, vol.6 , p. 114
  • Orig.ms. ACR, AD 1415; D'A., T.D. 23, n. 886, pp. 214-217.
Informations détaillées
  • 1 BAVARDAGES
    1 CHAPITRE GENERAL
    1 COLERE
    1 CONGREGATION DES EVEQUES ET REGULIERS
    1 CONSEIL DU GENERAL
    1 CONTRARIETES
    1 CRITIQUES
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 PATIENCE
    1 RAPPORTS FINANCIERS
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SUPERIEUR ECCLESIASTIQUE
    1 UNION DES COEURS
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 GAUME, JEAN-ALEXIS
    2 GAUME, JEAN-JOSEPH
    2 GROS, JEAN-NICAISE
    2 JACQUEMET, JACQUES
    2 LA BOUILLERIE, FRANCOIS DE
    2 LAURENT, CHARLES
    2 PETER, MARIE-MADELEINE DE
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PIE IX
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 SIBOUR, LEON-FRANCOIS
    2 TOUJOUZE, THERESE-MAYLIS
    2 VERON, PAUL
    3 AUTEUIL
    3 CARCASSONNE
    3 NANCY
    3 NANTES
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 POITIERS
    3 ROME
    3 ROME, VATICAN
    3 VERSAILLES
    3 VIGAN, LE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Le Vigan, 9 août 1866.
  • 9 aug 1866
  • Le Vigan
La lettre

Ma chère fille,

Je reçois à l’instant votre paquet du 3. C’est quelque chose de tout simple. Le résumé est folie à droite, fureur à gauche, souffrance au milieu(1). Toute ma méditation d’hier matin fut absorbée par la pensée de vos affaires. J’allais en écrire, quand, pendant le Memento, en vous recommandant de mon mieux à Notre-Seigneur, je crus entendre quelque chose qui me disait si nettement: Tais-toi, que je crus bien faire de me taire. Votre lettre me met à l’aise. Du reste, ma préoccupation était que vous ne deviez pas convoquer un chapitre g[énér]al. Que les Soeurs du Conseil aient écrit, cela suffit(2).

Un Chapitre: 1° troublerait toute la Congrégation, et on vous imputerait ce trouble; 2° Vous donnez aux attaques de M. V[éron] plus d’importance qu’elles n’en ont; 3° Vous semblez lâcher pied, ce qui a toujours été regardé comme peu conforme à l’esprit de patience chrétienne. Ainsi il est bien entendu qu’en principe je suis tout à fait opposé au Chapitre général. Que faire? Une fois la lettre des conseillères envoyée, gagner du temps. Tout me dit de partir pour Paris, sauf la prudence. A Paris je suis inférieur, M. V[éron] est juge. Gagnez du temps, amassez vos matériaux, et si l’affaire ne s’assoupit pas, vous aurez votre recours à Rome. Là je pourrai parler.

Qu’on ne dise pas que vous ne pouvez pas consulter(3). De M. Combalot à M. V[éron], je vous compte huit supérieurs à Paris: M. Gaume, M. Jacquemet, M. Gros, M. de la Bouillerie, M. Sibour, M. Darboy(4). Est-ce que c’est avec huit supérieurs successifs en vingt ans qu’une oeuvre se fonde? A Rome on comprendra cela. Maintenant il faut choisir le moment de parler. Dieu me garde de désirer que le Pape soit obligé de quitter le Vatican, mais si cela arrive on n’aura plus rien à ménager, et les gens qui procèdent comme M. V[éron] n’auront guère beau jeu. Je n’irai pas à Paris, à moins que vous n’y voyiez un avantage réel, mais je suis prêt à partir pour Rome quand vous voudrez, cependant pas avant le 15 oct[obre], à moins d’archinécessité.

Au milieu de si graves préoccupations, je ne veux pas vous fatiguer de détails, mais concevez-vous que la Mère M.-Madeleine eût depuis dimanche votre lettre et n’ait pas compris que le paquet était pour moi, la voyant chargée, vous lui disant de l’envoyer à son père, le P. Hippolyte y étant allé au moins une fois. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle s’est décidée à me la remettre(5). C’est un peu pour tout comme cela. Ni elle ne veut consulter le P. Hip[polyte], ni elle ne veut rien faire que par elle-même. Enfin c’est une sainte fille; on ne peut accuser ses intentions.

Quant à ce qui vous est personnel, il faut vous souvenir que ces scènes sont tellement absurdes qu’il n’y a qu’à vous garer et faire la morte. Cela peut être très dur, et si l’on me disait ce que l’on vous a dit, je ne sais si je me tiendrais bien sur le moment; mais une fois l’accès passé, je crois que j’y trouverais trop d’avantages, même humainement parlant, pour n’en être pas fort aise. C’est le cas de dire: Quelques coups de bâton et je suis à mon aise. En attendant, les gens qui ne sont pas huissiers sont peu flattés de recevoir des coups. Je prie pour vous de toute mon âme, et, encore une fois, je suis prêt à partir, mais on vous fera un grief de mon voyage. Puisqu’on sait tout, on ne peut le tenir secret.

C’est à Rome que je puis vous être utile. J’oubliais de vous dire que l’idée m’était venue de faire écrire par toutes les supérieures des communautés tout ce que les Soeurs du Conseil ont écrit, mais cela n’est plus nécessaire. La lettre du Conseil est bien suffisante. Un motif de plus de ne pas convoquer le Chapitre g[énér]al est que ou il aura lieu à Paris, et il n’y peut être tenu sans une protestation contre M. Véron, ou il faut le tenir dans une maison particulière, et vous auriez alors de belles affaires sur les bras. Faites les mortes, laissez couler l’eau, et quand le calme sera fait, un Chapitre tenu hors de Paris arrangera bien des choses. On peut même prier Rome d’ordonner la tenue d’un Chapitre général à Nîmes ou à Poitiers. Je crois qu’il y a peu à se tracasser que les lettres soient ouvertes. Les gens assez vils pour se servir de pareils moyens peuvent y apprendre des choses utiles. Quant à moi, je ne jette pas une seule lettre à la poste que je ne soupçonne qu’on la lise.

Adieu, ma chère fille. Mille fois à vous en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Je fais prévenir mon évêque de ne rien répondre, si on le consulte, qu'après avoir eu les explications que je lui donnerai après ma retraite. Mais croyez- vous qu'on le consulte? Quant à la défense de répéter ce que l'on vous a dit, c'est une question discutable. Mais qui peut empêcher de répéter ce que soi-même l'on a dit? Quoi! Parce que vous vous serez confessée d'un péché au P. Laurent, il vous sera défendu de le répéter au P. Picard? Mais où va-t-on avec ces principes, quand la visite n'est pas canonique? Et encore il me semble que même dans ce cas on peut répéter ce que soi-même on a dit. Je ne dois pas répéter ce que d'autres m'ont dit sur des tiers, mais je puis toujours dire et redire mon opinion.|Je vous prêche le calme et pour le quart d'heure je n'y suis guère. Laissez-moi ajouter qu'il me paraît impossible que l'archevêque soit au courant de tout. Ne peut-il pas se rappeler ce qu'il a été pour vous, quand il était supérieur? Ne pourriez-vous pas le prier de se rappeler ses souvenirs? Toutefois il y a là-dessous quelque chose de plus ou de moins. Si cela ne vient que de Soeur M.-Aug[ustine], les autres verront la nécessité de l'union, et si les anciennes ont deux onces de bon sens, elles auront matière à bien parler aux plus jeunes. Le Conseil comprendra-t-il qu'il importe que les mauvaises têtes soient loin de la maison-mère, et qu'il vaut mieux qu'une maison pâtisse que d'exposer toute la Congrégation aux furies de certains cerveaux fêlés? Vous comprenez que je n'ai plus un mot de Soeur M.- Aug[ustine], mais quelle figure fait-elle dans la communauté? Mais il faut que je rentre en retraite, où vous me préoccupez bien, malgré mes efforts de ne penser qu'à moi.1. Folie persistante de Soeur M.-Augustine, souffrance de Mère M.-Eugénie et de ses conseillères, fureur de l'abbé Véron qui, le 2 août, est venu à Auteuil et y a fait aux Soeurs du chapitre d'abord, à Mère M.-Eugénie seule ensuite une scène d'une violence inouïe. Son plus grand sujet de fureur est le refus de Mère M.-Eugénie de donner l'état financier des maisons particulières (lettres de Mère M.-Eugénie du 3 août au P. Bailly, et des 4 et 5 août au P. d'Alzon). Que faire? demande Mère M.-Eugénie. Démissionner? Convoquer un chapitre général?
2. Le 7 août, les Soeurs du Conseil avaient écrit à M. Véron pour répondre aux allégations de certains membres de l'archevêché concernant Mère M.-Eugénie et exposer la vraie nature de Soeur M.-Augustine et les difficultés dont elle a toujours été la source pour la supérieure générale et la congrégation.
3. C'est-à-dire porter l'affaire devant la Congrégation des Evêques et Réguliers.
4. Dans la liste du P. d'Alzon un nom est de trop, celui de M. Jacquemet, futur évêque de Nantes. En 1842, il avait bien été question de lui comme supérieur éventuel des Religieuses de l'Assomption, mais c'est M. Gaume qui fut nommé. Voici, dans l'ordre chronologique, les supérieurs ecclésiastiques des Religieuses de l'Assomption jusqu'à l'abbé Véron: 1839-1841, M. Combalot; 1841-1843, M. Gros, futur évêque de Versailles; 1843-1849, M. Gaume, frère du célèbre auteur du "Ver Rongeur"; 1849-1852, Mgr Léon-François Sibour, évêque auxiliaire de Paris; 1852-1855, M. de la Bouillerie, qui sera évêque de Carcassonne; 1855-1858, M. Darboy qui devint évêque de Nancy en 1859 et archevêque de Paris en 1863; enfin de 1859 à 1867, M. Véron. Nous remercions vivement Soeur Thérèse Maylis, archiviste de la Congrégation des Religieuses de l'Assomption, à qui nous devons les éléments de cette note.
5. "Vos lettres sont décachetées, les deux dernières l'étaient visiblement. Je suis avertie que les miennes le sont..." explique Mère M.-Eugénie au P. d'Alzon. Aussi a-t-elle adressé le dernier envoi qui lui était destiné à Mère M.-Madeleine au Vigan, en l'accompagnant "d'un petit gribouillage allemand qui l'avertissait de cette situation" (lettre du 5 août).