DERAEDT, Lettres, vol.6 , p. 349

31 aug 1867 Le Vigan BAILLY_VINCENT de Paul aa

Toujours les supérieurs seront les bourreaux des inférieurs, et la preuve c’est que vous, que ma tyrannie fait si cruellement souffrir, vous en faites souffrir d’autres. – Toutefois, je fais la part très large de mes défauts dont quelques-uns sont des défauts de mémoire. – Et si j’entamais le chapitre de mes plaintes? – Si vous ne pouvez tenir, je vous rendrai votre liberté vers le mois de décembre.

Informations générales
  • DR06_349
  • 3104
  • DERAEDT, Lettres, vol.6 , p. 349
  • Orig.ms. ACR, AG 193; D'A., T.D. 27, n. 191, pp. 145-146.
Informations détaillées
  • 1 ANNEE SCOLAIRE
    1 CONTRARIETES
    1 CRITIQUES
    1 DEFAUTS
    1 DESPOTISME
    1 DOULEUR
    1 EMPLOIS
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FAIBLESSES
    1 INTELLIGENCE
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 SOUMISSION DES SUJETS
    1 SUPERIEUR
    1 VERTUS RELIGIEUSES
    2 BRUN, HENRI
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
  • AU PERE VINCENT DE PAUL BAILLY
  • BAILLY_VINCENT de Paul aa
  • Le Vigan, 31 août [18]67.
  • 31 aug 1867
  • Le Vigan
La lettre

Mon cher ami,

J’ai lu avec toute l’attention possible vos 21 pages(1), et je suis d’autant plus disposé à vous donner raison qu’en vous lisant je me disais à chaque phrase: « Mais c’est mon histoire ». Oui, mon histoire avec Mgr Cart, quand j’avais de 29 à 36 ans. C’était juste le même ordre de récriminations, je les croyais parfaitement fondées. J’ajoutais encore: « Mais c’est l’histoire de l’abbé de Cabrières avec Mgr Plantier. Il me faut le calmer, depuis qu’il est esclave à l’évêché, et ce sont les mêmes douleurs – sa dernière ou son avant-dernière lettre en contenait l’expression ». C’est, de plus, l’histoire de tous les vicaires avec leurs curés, (un grand-vicaire sait cela par coeur). Il y a plus. Que de fois n’est-on pas venu me dire: « Ah! que vous êtes bon de rester avec votre évêque! » Aujourd’hui que j’ai plus de 35 ans, je suis devenu plus souple. L’âge m’a donné ce que vous prétendez qu’il vous ôte. Je ne veux pas entrer dans les détails. Le P. Brun, le P. Hippolyte ont eu toutes ces épouvantables épreuves, et, jusqu’à la fin du monde, il en sera ainsi. Les supérieurs seront les bourreaux des inférieurs, et la preuve c’est que vous, que ma tyrannie fait si cruellement souffrir, vous en faites souffrir d’autres. Que faire? N’être plus supérieur? Je vous l’accorde. N’être plus inférieur? Accordé. Rester tout seul, comme un bel astre dans l’espace? Je vous annonce que vous vous ferez souffrir vous-même. Hélas! l’on se porte partout soi-même.

Toutefois, je fais la très large part de mes défauts. En dehors des épreuves volontaires que les supérieurs imposent avec leurs vertus, il y a les épreuves involontaires qu’ils imposent avec leurs défauts, dont quelques-uns sont des défauts de mémoire. Ainsi je vous avoue que, pour l’affaire du pavillon(2) dont l’idée n’est pas de moi, pour laquelle j’ai hésité longtemps, je me figurais que vous aviez été présent quand la proposition avait été faite, et maintenant je me rappelle que c’était le P. Picard. J’avais vu là une économie, de 3.000 ou 4.000 [francs], au dire du P. Hippolyte; mais c’était une idée reçue et où j’avais sacrifié, avec plaisir sans doute, mais où j’avais sacrifié mon opinion personnelle.

Rappelez-vous que pour l’affaire des poux vous aviez accepté la chose, quand il s’était agi d’un élève; j’avais pu l’accepter après vous, quand il s’agissait d’un maître, que, n’étant pas au courant et en votre absence, j’avais empêché une partie de l’exécution faite sans m’en prévenir, et que j’ai accepté tout ce que vous m’avez dit sans tenir plus à une chose qu’à l’autre, et surtout à mon avis.

Eh! cher ami, si maintenant j’entamais le chapitre de mes plaintes? Mais je vous avoue que cela me semblerait un peu stupide avec mes 57 ans. Ce qui est permis à 35 ans ne l’est plus à près de 60. Que vous ayez des ennuis! Eh, cher ami, je passe mon temps à admirer la manière dont vous les prenez. Que vous ayez d’immenses ressources! C’est incontestable. Que vous et moi ayons des défauts! C’est plus clair que le jour. Que vous ayez des défaillances! C’est tout naturel. Quand elles dépasseront vos forces, mon devoir est d’y mettre un terme. Ainsi je vous prie, pour ne rien brusquer, de commencer l’année, et si vous ne pouvez tenir, je vous promets sérieusement de vous rendre votre liberté vers le mois de décembre.

Viendrez-vous vers le 3 septembre? Addio, et profitons de toutes ces misères pour nous sanctifier, car c’est la seule chose essentielle. On vous aime malgré cela.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Nous ne pouvons citer les 21 pages de la lettre du 30 août du P. Bailly. En voir un extrait dans la *Documentation biographique*, p. 667.
2. L'idée de loger les Oblates au pavillon venait du P. Hippolyte.