DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 3

3 jan 1868 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

L’affaire de Reims: répondez *non* partout où vous ne pouvez pas répondre absolument *oui*. – Un argument absurde. – Les visées patriarcales de l’archevêque de Paris. – Profitez de la rivalité de ce dernier avec Reims. – Vous avez un rôle à jouer dans l’opposition à l’envahissement d’une Eglise nationale. – Vous devez être prête à subir persécution pour les grands intérêts de l’Eglise.

Informations générales
  • DR07_003
  • 3222
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 3
  • Orig.ms. ACR, AD 1464; D'A., T.D. 24, n. 963, pp. 1-2.
Informations détaillées
  • 1 ARCHEVEQUE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 ERECTION DE MAISON
    1 EVEQUE ORDINAIRE DU DIOCESE
    1 GALLICANISME
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SAINT-SIEGE
    1 SUPERIEUR ECCLESIASTIQUE
    1 SUPERIEURE GENERALE
    2 COURCY, MARIE-GABRIELLE DE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 JOURDAN, CESAR-VICTOR
    2 LANDRIOT, JEAN-BAPTISTE
    2 MAURAIN, JEAN
    2 MOISE
    2 PIE IX
    2 PIE, LOUIS
    2 PITRA, JEAN-BAPTISTE
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    3 ETATS PONTIFICAUX
    3 ITALIE
    3 PARIS
    3 REIMS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, 3 janvier 1868.
  • 3 jan 1868
  • Nîmes
La lettre

Ma bien chère fille,

Votre lettre m’a été remise, ce soir, trop tard pour que je pusse vous répondre. Du reste, le courrier de ce matin vous porte ces quelques lignes de bonne heure, si je ne me trompe.

Je pensais bien qu’on ne vous laisserait pas tranquille et qu’il vous faudrait répondre catégoriquement(1). Ma manière de faire ces réponses consisterait à dire non à toute question, à laquelle vous pourriez ne pas répondre absolument oui, et à ajouter: « Pour éviter les circonlocutions qu’on me reproche, je me borne à faire observer que j’aurais répondu oui à plusieurs questions, si j’eusse espéré qu’on accepterait mes explications. » Vous obéissez, vous ne vous compromettez pas et vous les laissez dans un embarras où ils veulent vous placer. Il faut envoyer évidemment copie de tout à Reims.

Rien d’absurde comme de ne pas vouloir, à Paris, que deux maisons-mères essaiment dans la même ville en province. Est-ce que vous n’êtes pas venue à Nîmes quand les Dames de Saint-Maur, dont la maison-mère est à Paris, s’y trouvaient déjà? Suggérez cet argument à Reims.

Maintenant voici ce qui me paraît certain. Paris veut être cardinal. Après sa dernière campagne au Sénat, à Rome, il est impossible(2). Je ne le sais pas, mais je parierais que Reims a l’idée de profiter de la situation pour prendre les devants. Reims est lié avec Pitra. Tenez pour sûr qu’une conversation habile, bien préparée, où vous diriez naïvement tout, en observant votre homme, [vous amènerait à ceci]: 1° Que Paris tend au patriarcat; 2° Que, dans la situation actuelle, les évêques comme Nîmes et Poitiers sont peut-être puissants à Rome, mais trop peu puissants en France pour rendre service; 3° Que, dans les circonstances présentes, un homme comme Reims, bien avec le gouvernement, s’il se dévouait à la démolition du futur patriarcat, aurait une influence très grande à Rome; 4° Que l’affranchissement des maisons-mères établies à Paris du joug archiépiscopal serait un coup vigoureux contre cette tentative de patriarcat; 5° Que ce serait en même temps combattre pour l’indépendance des évêques; 6° Qu’un mémoire à ce point de vue, envoyé au cardinal Pitra pour être présenté au Saint-Siège, ferait un excellent effet. Je suis persuadé, dis-je, qu’une pareille conversation aurait les plus précieux résultats pour vous et pour l’Eglise. Si l’on suivait votre avis par motif d’ambition, tant pis pour les ambitieux! En tout cela on peut agir pour les motifs les plus désintéressés.

Il ne faut pas vous dissimuler que vous êtes à un moment très solennel, où vous devez prendre des conseils, mais où seule vous devez prendre une grande responsabilité. Si peu que vous soyez, vous pouvez être le grain de sable, sur lequel s’élèvera la digue à opposer à l’envahissement d’une Eglise nationale. Avez-vous le courage de commencer la lutte? Il ne s’agit pas de provoquer, de paraître, il s’agit de se dévouer. Votre cause, et ce vous est un très grand honneur, est liée aux grands intérêts généraux de l’Eglise. En la séparant, peut-être obtiendrez-vous provisoirement une paix relative. En laissant unies ces deux causes, vous vous exposez à souffrir persécution, mais vous entrez dans une voie où Dieu accorde de grandes grâces à ceux qui, comme Moïse, acceptent l’imperium Christi. Je vous livre ces réflexions pour que je n’aie pas à me reprocher de rien vous taire.

Mille fois vôtre en N.-S.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Je n'avais pas montré vos premières lettres à la Mère M.-Gabrielle; sur une lettre de vous à elle, je les lui ai communiquées. Le reste sera entièrement secret.1. Voir *Lettre* 3202, note. M. Jourdan exige toujours une réponse par oui ou par non à ses questions, laissant cependant Mère M.-Eugénie libre d'accompagner ses réponses de toutes les explications qu'elle voudra. "Nous voulons que le jour se fasse et nous sommes disposés à prendre les moyens les plus sérieux pour atteindre ce but" (lettre de Mère M.-Eugénie du 1er janvier, et copie d'une lettre de M. Jourdan qu'elle renferme).
2. Le 30 novembre 1867 au Sénat, Mgr Darboy, tout en réservant les droits du pape sur ses anciens Etats, avait préconisé un accord avec l'Italie sur la base du *statu quo* (MAURAIN, p. 825).