DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 23

11 feb 1868 Lavagnac PICARD François aa

Le protestantisme comme doctrine est archimort. – A la place se creuse l’abîme de l’indifférence. – Plan d’un travail de quelques centaines de pages qu’il pourrait donner au Bulletin de Saint-François de Sales. – Une bibliothèque à fournir aux zouaves.

Informations générales
  • DR07_023
  • 3246
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 23
  • Orig.ms. ACR, AE 268; D'A., T.D. 25, n. 268, pp. 216-218.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 APOTRES
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INDIFFERENCE
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 PROTESTANTISME
    1 PUBLICATIONS
    1 SUBVENTIONS
    1 ZOUAVES PONTIFICAUX
    2 BOSSUET
    2 OLIVIER, DANIEL
    2 PUYSEGUR, JEAN DE
    2 SEGUR, ANATOLE DE
    3 MONTAGNAC
    3 NIMES
  • AU PERE FRANCOIS PICARD
  • PICARD François aa
  • Lavagnac, 11 février [18]68.
  • 11 feb 1868
  • Lavagnac
La lettre

Mon cher ami,

Vous savez que, quand je suis à la campagne et que j’ai de longues heures devant moi, ma tête va son train. Je viens de relire le sixième avertissement de Bossuet aux protestants et je suis de plus en plus convaincu que le protestantisme comme doctrine est mort, bien mort, archimort(1). Mais à la place un abîme profond se creuse, c’est l’indifférence où se précipitent non seulement tous les protestants, sauf quelques piétistes plus ou moins illuminés, mais surtout l’immense portion des catholiques, qui, au nom de la science, se réfugie[nt] dans l’orgueil de nier, ou qui par l’affaiblissement de leur volonté intellectuelle en sont venus à n’avoir plus la force de croire et aboutissent au scepticisme par absence d’énergie morale. Par ce côté, les esprits en sont pour la plupart où ils en étaient dans le vieux monde, quand Jésus-Christ envoya ses apôtres.

J’ai pensé qu’il y avait en prenant ces données un travail intéressant à faire. Il s’agirait d’établir: 1° que le protestantisme rationnel – je ne dis pas rationaliste – n’est plus au nom de la logique une religion;

2° qu’il est la ruine, l’appauvrissement de la volonté intellectuelle, en supprimant l’infaillibilité qui propose avec certitude la vérité à la raison;

3° qu’il réduit par là la science religieuse au-dessous de toute science humaine;

4° que la religion protestante ne saurait être enseignée, puisqu’elle n’est qu’un amas d’opinions vagues indéfinissables;

5° que si le protestantisme ne peut être enseigné, les ministres y sont non seulement une superfétation, mais de toutes les contradictions la plus flagrante, et une insulte soit au principe du libre examen, soit à l’intelligence de chaque protestant qui n’a pas besoin d’être enseigné et même abdique son principe en acceptant le moindre enseignement humain.

6° D’autre part, comme arrivé à ce terme il faut croupir dans le plus absolu scepticisme et la négation absolue de toute religion, à moins que le besoin de s’unir dans un but religieux commun et le besoin non moins invincible d’être fixé d’une manière positive sur les grands problèmes de l’avenir n’agisse en certains esprits droits qui croient, malgré eux peut-être, mais qui croient à l’existence d’une vérité positive; et comme il faut nier la bonté de Dieu qui a donné à l’homme ce désir du vrai, s’il ne lui a fourni les moyens de le découvrir, [il] reste nécessairement à examiner si l’esprit humain doit rester au point où l’a poussé la Réforme, ou s’il faut le ramener au principe qui a présidé à la formation de l’Eglise, quand Jésus-Christ envoya ses disciples évangéliser le monde païen.

Suivrait une étude de la formation de l’Eglise catholique. Comme je me propose de prêcher ce carême sur les Actes des Apôtres, j’aurais des matériaux prêts, d’où je chercherais de tirer cette thèse, que les moyens employés par les apôtres pour convertir le monde (sauf les miracles), sont les moyens auxquels nous devons avoir recours pour le reconvertir. Je crois qu’il y aurait à faire sur la méthode apostolique des découvertes assez intéressantes.

Si ce plan convenait pour le Bulletin de Saint-François de Sales, je crois que je pourrais fournir un travail de quelques centaines de pages d’ici à peu. J’écrirais sous forme de chapitres ou de lettres, comme on voudrait. Mais pour cela il faudrait m’abonner à quelques revues ou journaux protestants. Ils se répètent tous, et ce n’est pas la peine d’en avoir pour autre chose que pour des citations. J’en voudrais un orthodoxe, un rationaliste et un piétiste. S’il y a quelque nouvelle publication protestante un peu intéressante, je la voudrais aussi.

Voyez, proposez. Si Saint-François de Sales n’accepte pas, je m’en consolerai. Nous allons avoir probablement une Revue à Nîmes(2), j’y mettrai ce que Saint-François de Sales n’aura pas admis.

Une humble demande à M. Anatole de Ségur. Aurait-il la bonté de composer une petite bibliothèque à l’usage des zouaves? J’ai 500 francs à y mettre. Si par ce que donnerait Saint-François de Sales, je pouvais ne pas y mettre autant, ce serait à merveille. Je crois qu’à la poste de Montagnac se trouve une lettre chargée qui contient les 1.300 francs que vous m’annonciez, il y a quelque temps. J’ai reçu l’avis.

Adieu, et tout à vous.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Jean(3) est assez souffrant.1. Sur cette conviction du P. d'Alzon, voir D. OLIVIER, *Le P. d'Alzon et la crise du protestantisme au XIXe siècle*, dans *Colloque*, pp. 165-179.
2. A quoi le P. d'Alzon pense-t-il?
3. Son neveu (v. *Lettre* 3243).