DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 104

1 jul 1868 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Les excellentes dispositions de M. de Cabrières pour l’Assomption ne peuvent être mises en doute. – Ce qui a pu me faire croire à un courant nouveau de l’Assomption. – Prenez les choses dans le sentiment où on vous les dit. – Après un repos complet dans la solitude et la prière, renouvelez au noviciat la communication de votre esprit qui est excellent. – Boissières.

Informations générales
  • DR07_104
  • 3344
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 104
  • Orig.ms. ACR, AD 1486; D'A., T.D. 24, n. 985, pp. 20-22.
Informations détaillées
  • 1 ASSOMPTION
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 FORMATION DES NOVICES
    1 FRANCHISE
    1 IMMEUBLES
    1 NOVICIAT
    1 OBLATES
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REPOS
    1 SOLITUDE
    1 SUPERIEURE GENERALE
    1 VIE DE PRIERE
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 COURCY, MARIE-GABRIELLE DE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 HOWLY, MARIE-WALBURGE
    2 JOURDAN, CESAR-VICTOR
    2 MALBOSC, FRANCOISE-EUGENIE DE
    2 MAS, JESUITE
    2 PICARD, FRANCOIS
    3 BEAUCAIRE
    3 BOISSIERES, CHATEAU
    3 SOMMIERES
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, 1er juillet 1868.
  • 1 jul 1868
  • Nîmes
La lettre

J’ai reçu trop tard, ma chère fille, votre lettre de ce matin(1) pour pouvoir vous répondre par le courrier de midi. Voulez-vous me permettre quelques observations, qui, je l’espère, expliqueront tout?

Quant à M. de C[abrières], permettez-moi de protester de la manière la plus énergique contre les dispositions que vous lui attribuez. Un quart d’heure avant que votre lettre ne me parvînt, il me disait que sa plus chère affection serait toujours l’Assomption, parce qu’il y avait toujours trouvé la franchise, et, revenant sur Soeur M.-Walburge, Soeur Franç[oise-] Eug[énie], la Mère M.-Gabrielle, mettant cette dernière au-dessus des autres, il me disait de tout coeur qu’il lui serait impossible de ne pas chérir l’Assomption. Il partait de là pour m’indiquer le meilleur moyen, selon lui, de se procurer le château de Boissières au meilleur marché possible. Cela, ce n’est ni d’un homme peu bienveillant, ni d’un homme blessé. Je serais désolé qu’au moment où M. de C[abrières] me revient avec tant d’ouverture et où il conserve à votre oeuvre tant de dévouement, vous pussiez le juger d’une façon si sévère. Lui s’est conduit d’une tout autre façon, quand la Mère M.-Gab[rielle] lui a dit ses vérités.

Je crois aussi que vous vous méprenez sur ce qui m’a pu faire croire à un courant nouveau de l’Assomption. Il ne s’agissait pas de moi, il s’agissait de vous. Que quelques mauvaises têtes aient colporté des plaintes sans fondement, qui l’a nié? Qu’en dehors de ces têtes d’autres parlent quelquefois dans un bon esprit, quoique avec tristesse, oui, oui, oui. Avec l’affection que je porte à votre oeuvre, je l’ai senti dans un demi-mot, une inflexion de voix, une réticence, et, quand on est au courant des choses et qu’on ne veut pas ne croire qu’aux accusations spécifiées, on saisit ces tristesses, ces nuages, ces étonnements comme au vol, et si on les rencontre chez plusieurs, on se dit: il y a quelque chose. Vous semblez oublier ce que je vous ai confié de mes observations. Or, comment se fait-il que l’ayant fait observer aussi au P. Picard, il y a un, deux, trois et peut-être quatre ans, il a parfaitement été de mon avis? Il m’assurait même que cet avis, vous le partagiez. Qu’était-ce? Bien des riens qui formaient cependant un certain ensemble: quelque chose de moins fort au noviciat, une direction moins large; le P. Mas trouve, sans que nous nous soyons entendus, quelque chose de moins pratique et de plus mystique, trop peu d’assouplissement des caractères, peut-être plus de piété – pour ne pas dire de dévotion – et moins d’esprit de foi, des tristesses de ce que successivement les Soeurs étaient des prodiges dignes de toute votre confiance, et puis étaient rejetées au rebut. Vous pousseriez les hauts cris si je vous disais de qui je tiens ces aveux. Quant à ce qui me concerne, (car je ne veux pas étendre davantage l’autre question,) vous avouerai-je que l’impression m’est venue surtout à votre dernier voyage? J’ai peut-être l’esprit bien mal fait, mais une de vos conversations m’avait fait tirer cette conclusion, je crois, d’une façon très fondée. Si vous m’assurez que je me suis trompé, permettez-moi de vous dire que je suis très heureux de le croire.

Il me semble donc, ma chère fille, que le meilleur c’est de prendre les choses dans le sentiment où on vous les dit, et, puisque vous avez la bonté de m’assurer que vous vous efforcez de vous inoculer mes idées, alors même que du premier coup elles ne vous iraient pas, veuillez accepter ceci: 1° que je juge deux ou trois Soeurs aussi sévèrement que vous; 2° qu’il y a, au fond, du vrai dans quelques réflexions qu’on a pu faire; 3° que bien d’autres Soeurs que les trois ou quatre mécontentes ont fait, sans mauvais esprit, des réflexions utiles, je crois, si en les réduisant à des proportions raisonnables on cherche à en profiter.

Si maintenant vous voulez mon appréciation personnelle, je dirai: 1° que l’ensemble de votre manière de voir les choses est le mien; 2° que peut-être vous prenez une forme trop absolue en quelques circonstances; 3° que certaines oppositions troublent, par intervalles, l’exactitude de vos jugements. Peut-être enfin, et c’est bien naturel, l’amertume de certaines injustices par trop criantes vous rend-elle un peu amère, à votre tour.

A un autre point de vue, si j’avais un conseil pratique à vous donner, je voudrais que pendant un mois vous prissiez un repos complet dans la solitude et la prière; après quoi, vous feriez une visite du noviciat, où vous renouvelleriez la communication [de] votre esprit. Car, remarquez-le, je trouve votre esprit excellent et pour rien au monde je n’en voudrais un autre. Ma seule crainte, remarquez-le, c’est qu’on ne donne pas assez vos idées. Cette dernière réflexion vous prouve que nous sommes parfaitement d’accord sur les principes et que nous ne différons que dans quelques applications aux faits. Est-il besoin d’ajouter que je suis à un million de lieues de Virginie, Jourdan et Compagnie?

Je n’ai que le temps d’ajouter qu’à l’admiration de M. de Cab[rières] pour Boissières(2) se joint celle de deux de nos religieux, qui l’ont visité plus en détail que lui; qu’il y a de l’eau, des arbres, une vue splendide; qu’il y a aussi bien des réparations à opérer, mais aussi un très grand bien à faire. Ajournons Beaucaire, on nous y donnerait aussi une maison pour les Oblates. Le château de Boissières peut loger un collège entier.

Notes et post-scriptum
1. C'est-à-dire la lettre du 29 juin reçue ce matin. En voici quelques passages:
"Ce que j'admire en tout cela c'est la puissance d'opinion que peuvent créer trois ou quatre filles quand elles vont crier à tout le monde leurs mécontentements dont le fond était uniquement de ne pas faire partie elles-mêmes du gouvernement. [...] Quant au reproche que c'est moi qui ai le plus d'influence sur moi-même [...]. Vous savez, mon père, par quelle impulsion profonde et peut-être trop naturelle, j'ai mis autrefois toute mon âme à vos pieds; l'effroi très honorable, je le reconnais, que vous en avez éprouvé, le trouble que votre réaction m'a fait éprouver à mon tour, et la longue crise qui s'en est suivie. Il y a des paroles de vous que vous avez pu oublier mais qui me sont toujours restées. Une fois vous m'avez reproché très gravement d'être plus fille que mère, et vous m'avez dit que je devais être plus mère que fille. Cette direction m'est restée comme la notion d'un devoir. Une autre fois, vous m'avez dit que vous étiez effrayé de me voir me rapporter à vos pensées, que vous vouliez bien me conseiller, mais que vous vouliez que je prisse la décision."
Aussi, explique Mère M.-Eugénie, a-t-elle toujours travaillé à rendre siennes les directions du P. d'Alzon et l'unité s'établissait sur une conviction éclairée par la réflexion. "C'est de ce fond inappréciable à d'autres yeux qu'aux vôtres que part l'unité libre, mais profonde, qui croyez-moi, choque M. de Cabrières plus que tout le reste [...]."
2. Le château de Boissières (canton de Sommières, arrondissement de Nîmes) était à vendre. On le proposait aux R.A. pour en faire une maison de campagne.