DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 114

5 aug 1868 Bagnères de Bigorre CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie

Son logement et son emploi du temps à Bagnères. – Une guérison miraculeuse.

Informations générales
  • DR07_114
  • 3355
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 114
  • Orig.ms. AC O.A.; Photoc. ACR, AH 407; D'A., T.D. 29, n. 126, pp. 149-151.
Informations détaillées
  • 1 CURES D'EAUX
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 HABIT RELIGIEUX
    1 MIRACLE
    1 NOTRE-DAME DE LOURDES
    1 PELERINAGES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REPOS
    2 BARAGNON, MARIE
    2 CORRENSON, AUGUSTINE
    2 FRAISSE
    2 FRAISSE, PAUL
    2 GIRY, MADAME LOUIS DE
    2 LA CRAMPE, MADAME
    2 MARTIN, ABBE
    2 PAULINE
    2 PIET, MARCEL
    2 PIET, MARY
    3 BAGNERES-DE-BIGORRE
    3 NEVERS
    3 NIMES
    3 VICHY
  • A LA MERE EMMANUEL-MARIE CORRENSON
  • CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie
  • Bagnères de Bigorre, 5 août [18]68.
  • 5 aug 1868
  • Bagnères de Bigorre
La lettre

Cette lettre ne partira que demain, mes chères enfants(1), car c’est à toutes les deux que je veux écrire aujourd’hui. Cependant je tiens à vous dire que je ne suis pas mort, au contraire, je suis vivant et très vivant, logeant chez M. Marcel Piet, ancien avoué, dont la mère, morte il y a quelques mois, a laissé un magasin d’épicerie si florissant, mais si florissant, que les épices, le roquefort et la cassonade ont envahi tous les passages, coins et recoins. On est sous l’impression de la mélasse et de la réglisse, et pour arriver chez moi, il faut hardiment traverser les harengs et la morue. Mais on en est bien vite dédommagé, au haut de l’escalier, par une cellule un peu plus bizarre pour la forme que celle de la Très Révérende Mère à Nîmes; pour la grandeur, c’est beaucoup dire, si elle a le quart de l’étendue de la susdite cellule, de la susdite Révérendissime. En revanche, deux fenêtres, dont une ne ferme pas, parce qu’on vient de la passer en couleur.

Je puis voir de mon lit, de l’autre côté de la cour, un très bel hôtel et la cuisine qu’on y fait. Ce n’est pas tout: j’ai un salon comme le tiers de la salle de communauté des Oblates. Sans un piano (Mlle Mary Piet joue du piano, et hier elle a remporté cinq prix au pensionnat des Soeurs de Nevers), je verrais une très jolie colline au bout de la rue. Là, j’ai une table, d’où je vous écris, des fauteuils, meubles précieux quand on veut dormir, des commodes, des boîtes, des gravures, un tapis, et en un mot, tout ce qui peut faire le bonheur d’un homme qui ne porte pas ses désirs plus haut qu’un petit salon.

J’avais espéré la solitude. Hélas! j’arrive à l’église, suis arrêté par M. Fraisse(2), l’ami de M. l’abbé Martin; au coin d’une rue, je trouve Marie Baragnon. Je déjeune, un beau-frère de Mme de Giry me saisit au collet pour me présenter sa soeur qui avait voulu se faire religieuse et qui, sur cinq mois de postulation, en a passé quatre au lit. Je ne sais ce qui m’attend encore, mais il est sûr que je suis loin d’être solitaire, et pourtant, mes enfants, je pense bien à vous. Je vous ai suivies par la pensée tout le long du voyage. J’étais préoccupé de l’idée que Marie n’aurait pas sa malle et je résistai à une grosse tentation en n’allant pas, vers 11 heures, m’assurer qu’elle n’était pas perdue. J’avais une envie démesurée de voir cette malle une dernière fois. A 11 heures et quart, j’écoutai de toutes mes oreilles le sifflet de la locomotive. Ce vilain sifflet, sans doute pour ne pas réveiller les voisins, ne siffla presque pas, et c’est tout au plus si je devinai qu’il avait sifflé. Et vous, où en êtes-vous? Où êtes-vous logées? J’attends une description donnée par Augustine. J’oubliais de vous dire que je mange dans ma chambre. On m’y sert très proprement et c’est très agréable, car si ma table n’est pas assez grande, j’ai côte à côte ma table de nuit. Rien n’y manque et c’est très amusant. Mais j’ai voulu écrire au sortir de mon déjeuner et j’ai eu tort. N’importe, il faut que vous connaissiez mes moeurs. Lever à cinq heures; dans tous les cas, les coqs empêchent de dormir plus tard. Messe à 6 heures, je fais mes prières; deux verres d’eau de la source; déjeuner à 9 heures; à 2 [heures], bain, repos, promenade; dîner à 5 [heures], promenade, rentrée dans mes appartements, où je me couche le plus tôt possible.

6 août.

J’ai à vous conter un miracle opéré pas plus tard qu’hier. Une demoiselle était depuis quelque temps à Bagnères. Perclue depuis quelques mois, elle n’avait pu marcher, elle vomissait tout ce qu’elle prenait. Pour lui donner la communion, il fallait ne déposer sur la langue, que le quart d’une petite hostie. Le prêtre de qui je tiens le fait, l’engageait depuis quelque temps à faire le pèlerinage de Notre-Dame de Lourdes. Elle refusa net en disant qu’elle avait fait des voeux à toutes les saintes Vierges du monde, sans avoir été exaucée. Enfin, hier, fête de Notre-Dame des Neiges, elle se sentit poussée à se faire transporter à Lourdes qui est à peu de distance d’ici. Elle s’y rendit avec sa soeur et sa femme de chambre, s’y confessa, communia, puis descendit à la grotte où est la source, y but; elle se déclara immédiatement guérie. Elle marche, boit et mange. Je sortais de chez le curé de Bagnères, quand on vint lui raconter ce fait miraculeux. Elle venait de rentrer à son hôtel. Voilà, j’espère, une nouvelle intéressante.

Enfin, et je finis jusqu’à ce que vos lettres m’arrivent, j’ai découvert que le grand voile des dames de l’Assomption est tout bonnement le costume des bourgeoises de Bagnères. Les paysannes portent le capulet court, les citadines le portent absolument comme les religieuses de l’Assomption. Eh! bien, non, je ne veux pas finir cette septième page, sans vous dire que ce soir je dîne chez Mme La Crampe.

Vendredi 7 août.

Ah! cette fois, c’est trop fort. Comment, pas un mot? Et vous êtes deux! Que devenez-vous? Etes-vous malades? Mais faites-moi écrire par Pauline, il me faut absolument de vos nouvelles. Je vais m’adresser à la police. Voilà, au fait, je ne m’adresserai à personne, je me croiserai les bras et j’attendrai dans ma dignité. Hélas! hélas! pauvre dignité! je suis plus père que je ne suis digne et fier.

Enfin, je reçois votre lettre, ma chère Marie. Je ferme vite celle-ci en y joignant quelques lettres de Bulgarie.

Adieu, ma fille. Tout vôtre bien tendrement.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Marie et Augustine Correnson sont toutes deux à Vichy.
2. Les T.D. avaient lu *Fraiche* en soulignant le mot pour marquer l'incertitude de la lecture. Nous proposons *Fraisse* et formulons l'hypothèse suivante: ce Monsieur, que le P. d'Alzon a rencontré à Bagnères, serait un parent de Paul Fraisse auquel il écrit le 18 août (*Lettre* 3360), et ce serait précisément à la suite de cette rencontre qu'il aurait été amené à écrire cette lettre.