DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 138

18 aug 1868 Bagnères de Bigorre MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Vous avez donc envie de mourir… – Une question à étudier en vue du concile: les voeux solennels pour des congrégations comme la vôtre.

Informations générales
  • DR07_138
  • 3377
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 138
  • Orig.ms. ACR, AD 1490; D'A., T.D. 24, n. 989, pp. 26-28.
Informations détaillées
  • 1 CENTRALISATION ROMAINE
    1 CONGREGATIONS A SUPERIEURE GENERALE
    1 CONGREGATIONS DE FEMMES
    1 MORT
    1 VOEUX SOLENNELS
    2 BOUIX, MARIE-DOMINIQUE
    2 FERRARI, GIACINTO
    2 GAY, CHARLES-LOUIS
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PIE V
    2 PITRA, JEAN-BAPTISTE
    2 VERON, PAUL
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Bagnères de Bigorre, 18 août 1868.
  • 18 aug 1868
  • Bagnères de Bigorre
La lettre

Vous avez donc envie de mourir, ma fille. C’est très bien, si c’est le désir du ciel; c’est assez imparfait, si c’est la fatigue et l’ennui des choses de la terre. Je crois que vous avez encore beaucoup à faire; pour aujourd’hui, permettez-moi de vous donner une assez grosse besogne. Si le P. Picard n’a pas le traité De jure regularium de Bouix, procurez-le lui et priez-le d’y étudier la question des Congrégations de femmes, au t. Ier, de la p. 311 à la p. 345 surtout. On peut l’étudier ailleurs, mais là se trouve un point capital. Aux yeux de l’Eglise toutes les Congrégations comme la vôtre ne sont canoniquement que tolérées, même avec l’approbation des règles, et cela en vertu d’une bulle de saint Pie V. L’abbé Bouix pense que l’on peut arriver, au contraire, à obtenir pour des Congrégations comme la vôtre les voeux solennels. Or voilà une occasion merveilleuse, le concile. Mais voulez-vous des voeux solennels? Bien entendu, sans la clôture papale. Dans tous les cas, des Congrégations de femmes comme le Sacré-Coeur, les Oiseaux, l’Assomption, ne doivent-elles pas au moins obtenir autre chose que d’être tolérées? Les Jésuites pousseront à la roue, à cause du Sacré-Coeur.

J’ai eu la très mauvaise pensée de vous engager à en causer beaucoup avec Soeur Thérèse-Emmanuel; elle aurait eu quelque extase là-dessus, la Sainte Vierge lui aurait dit tout comme vous, elle l’aurait écrit à l’abbé Gay, et celui-ci en aurait parlé comme consulteur du concile. Mais c’est trop grave et mon moyen trop peu respectueux. Enfin je vous engage à en parler au P. Picard d’abord, à M. Gay ensuite. Le P. Picard en causera avec moi. Le cardinal Pitra sera, je crois, tout à fait pour nous. Voici comment je poserais la question:

1° Les bouleversements de la société civile permettent-ils de maintenir les voeux solennels, comme ils ont été établis jusqu’à présent?

2° Les voeux ne sont-ils pas solennels uniquement par le fait de la volonté de l’Eglise?

3° Ces voeux, s’ils sont utiles au bien général de l’Eglise, ne peuvent-ils pas être modifiés dans le sens du plus grand bien général et de la sanctification des individus?

4° A ce point de vue, pour les hommes, y a-t-il autre chose à faire que de modifier le voeu de pauvreté, de façon à ce que la loi civile ne soit pas un obstacle à la perpétration de ce voeu?

5° Si on fait une modification pour les hommes, pourquoi ne pas en faire une pour les femmes, si le bien général y invite?

6° N’est-il pas évident que les Congrégations de femmes rendent aujourd’hui par l’éducation un immense service?

7° N’est-il pas évident que, tant que durera le régime des concordats qui peuvent amener des choix pour les évêques moins conformes aux vues romaines, il importe que Rome ait à sa disposition les Congrégations de femmes et que les voeux solennels peuvent les placer davantage sous l’action de Rome?

8° N’est-il pas vrai alors qu’il serait bon de donner aux Congrégations de femmes un moyen de correspondre plus directement avec le Saint-Siège? Les voeux solennels seraient peut-être un de ces moyens.

Il ne faut pas dire cela à tout le monde. Mais si, laissant la première partie de ce que je vous dis, vous écriviez à Ferrari(1) une lettre pour lui faire sentir la nécessité de rattacher les Congrégations de femmes au Saint- Siège, vous auriez fait un grand pas. Ma proposition est double.

1° Le bien que font dans l’Eglise les Congrégations de femmes mérite qu’on étende jusqu’à elles le privilège des voeux solennels.

2° Les projets schismatiques de certain gouvernement exigent que le Saint-Siège groupe autour de lui les Congrégations religieuses en général, et, en particulier, les Congrégations de femmes, en faisant plus que les tolérer et en accordant à celles qui se trouveraient dans certaines conditions les voeux solennels.

J’ai la tête assez pleine de cette question et j’ai envie d’adresser là-dessus un mémoire au cardinal Pitra. Vous voyez que nous avons encore bien à faire avant votre mort(2).

Adieu, ma fille, et bien tout à vous en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Dominicain, consulteur de la Congrégation des Evêques et Réguliers et commissaire du Saint-Office. Il avait été d'un grand secours pour Mère M.-Eugénie lors de l'affaire Véron.
2. Rappelons que Mère M.-Eugénie avait composé l'année précédente un mémoire sur les congrégations religieuses à supérieure générale (v. notamment *Lettre* 3075 et n. 4).