DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 262

19 feb 1869 Paris CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie

Biographies de fondatrices – Le P. Hippolyte part transformé – Mme Arnal.

Informations générales
  • DR07_262
  • 3521
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 262
  • Orig.ms. AC O.A.; Photoc. ACR, AH 409; D'A., T.D. 29, n. 168, pp. 200-201.
Informations détaillées
  • 1 FONDATION D'UN INSTITUT RELIGIEUX
    1 LIVRES
    2 ARNAL DU CUREL, MADAME
    2 BARBEREY, HELENE DE
    2 CHEVERUS, JEAN-LOUIS de
    2 CORRENSON, MADAME CHARLES-LOUIS
    2 DOIGNIES, NATHALIE-JOSEPHE
    2 ELISABETH SETON, SAINTE
    2 MELUN, MADAME DE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    3 NEW-YORK, CITY
  • A LA MERE EMMANUEL-MARIE CORRENSON
  • CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie
  • Paris, 19 février 1869.
  • 19 feb 1869
  • Paris
La lettre

Ma bien chère enfant,

Je ne vous ai pas écrit hier, mais ne vous en fâchez pas. J’avais hâte de finir la vie d’Elisabeth Seton, que je vous envoie par le P. Hippolyte. J’y joins la vie de la fondatrice des Soeurs de l’Enfant-Jésus, qui, établies depuis 40 ou 50 ans, sont déjà huit cents(1). Toutes deux sont fort extraordinaires. Soeur Nathalie, pauvre cuisinière, ne trouvant d’abord personne qui la comprenne, puis confiée à un prêtre très saint mais très rude, attend sept ans la permission de commencer son oeuvre, la fonde, y reste sept à huit ans, puis est chassée par l’évêque, qui pourtant reconnaît qu’il a eu tort, et au bout de vingt ans, [elle] meurt très âgée, supérieure d’une petite école de village.

Elisabeth Seton, jeune Américaine protestante, fille d’un des premiers médecins de New-York, mère de cinq enfants, passe en Europe, pour essayer de guérir un mari poitrinaire, le perd, revient dans son pays avec le germe impérissable de la foi catholique, subit une affreuse persécution, perd sa fortune, est chassée de sa famille, se réfugie dans une petite école, puis est attirée peu à peu par Mgr de Cheverus(2), mort plus tard cardinal, perd ses soeurs les plus aimées; deux de ses filles et succombe, à 42 ans, à toutes les douleurs qui ont brisé son âme, mais a fondé de nombreuses maisons, d’une Congrégation qui se rattacha plus tard aux Filles de Saint-Vincent de Paul.

La première vie, écrite par Mr de Melun(3), porte l’empreinte d’un respect humain libéral qui m’a plus d’une fois révolté. La seconde, oeuvre d’une femme(4), est plutôt l’histoire d’une épouse, d’une mère, d’une veuve, d’une chrétienne que d’une fondatrice. Il y a selon moi des longueurs. Cependant ces deuils multipliés portent un sentiment de tristesse, d’amour et de joie surnaturelle, qui ont un charme indéfinissable. Peut-être Madame votre mère aurait-elle quelque plaisir à lire ces pages, je parle d’Elisabeth Seton.

Rien de nouveau, sinon que le P. Hippolyte part transformé. Autant il était sombre, triste, tendu, défiant, opposé à toute proposition venant de moi, autant il est ouvert, content, expressif de la façon qu’il peut l’être. Je vous préviens qu’en ce moment il est en froid avec Mme Arnal, à cause de vous, dont il ne permet pas qu’on démolisse l’influence. Soyez donc bonne pour lui.

Adieu, ma fille. Je me suis laissé aller à bavarder, je n’ai pas le temps d’être plus long. Pourtant j’ai besoin de vous dire que cette absence me prouve encore plus quelle place vous avez dans le coeur de votre vieux père.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Il s'agit des Filles de l'Enfant-Jésus de Lille, fondées en 1824 par Nathalie-Josèphe Doignies (1778-1858).
2. Mgr Jean-Louis Lefebvre de Cheverus (1768-1836), émigré en Amérique, fut le premier évêque de Boston. Nommé évêque de Montauban en 1823, il revint en France, devint archevêque de Bordeaux en 1826 et cardinal en 1835.
3. Le ms. a bien *Mr* mais la biographie *Soeur Nathalie*, Lille, 1859, citée par le DHGE (art.*Filles de l'Enfant-Jésus*), est l'oeuvre de la comtesse de Melun.
4. Mme de BARBEREY, *Elisabeth Seton et les commencements de l'Eglise catholique aux Etats-Unis*, 1867.