DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 299

Mon cher ami,

Voici une lettre du P. Tissot(1), je vous l’envoie avec une photographie. Jean vient d’acheter au Vigan pour 200.000 francs. Cela me paraît archiabsurde(2). S’il eût donné cet argent aux Oblates, soit pour bâtir, soit pour fonder en Bulgarie, cela n’eût-il pas mieux valu? Car le P. Hippolyte prétend que c’est pour les Oblates. Notez qu’au point de vue du revenu, c’est pitoyable: 75.000 francs un pré affermé 900 francs! Et puis, les Oblates au Vigan pouvaient se contenter de beaucoup moins. Enfin, comme ils l’entendront!

Adieu, cher ami. Priez pour moi, et bien tendrement à vous.

E.D'ALZON.

Je suis très content de votre nouveau venu. Le précédent était peu de chose et a dû décamper.1. "Voici une lettre du P. Tissot"... Neuf lettres de ce dernier au P. d'Alzon et quatre du P. Brun nous restent pour l'année 1869 mais c'est la seule mention d'un missionnaire d'Australie pour cette année dans les lettres conservées du P. d'Alzon. On ne parle pas beaucoup entre soi, dirait-on, des frères des antipodes... Est-ce à dire qu'ils soient oubliés? Nullement. Nous n'en voulons pour preuve que cette phrase du P. Brun dans sa lettre du 26 janvier au P. d'Alzon: "Vos lettres toujours pleines d'affection et celles du P. Hippolyte me font un bien immense. Vous m'avez soutenu lorsque j'étais exposé à me laisser aller au découragement et j'espère que je pourrai quand je serai entièrement sorti d'embarras faire quelque chose pour notre oeuvre de l'Assomption."
Le grand rêve des religieux d'Australie est toujours de se voir enfin reconnaître comme congrégation religieuse par l'évêque Quinn. Ils n'y croient plus beaucoup il est vrai: "L'évêque ne veut en fait approuver aucune congrégation religieuse" (Brun, 26 janvier). A l'approche du concile cependant - peut-être l'évêque tient-il à ce que les missionnaires aient quelque peu restauré son image quand il rencontrera le P. d'Alzon - on discerne une lueur d'espoir dans les lettres du P. Brun. Le 27 août il écrit: "Je me laisse quelquefois aller à croire que nous aurons un jour ici une fondation sérieuse. [...] Je crois que vous pourrez vous entendre avec lui. Il a peur de se lier avec les congrégations religieuses mais dans le fond il les estime [...] je crois comprendre qu'il a une confiance très grande en vous."
Les lettres du P. Tissot sont pleines du désir d'oeuvrer parmi les les autochtones, les *Blacks*. Il envoie des coupures de journaux, des cartes. "Vous verrez bientôt Mgr Quinn, écrit-il le 4 novembre, et vous saurez s'il désire vraiment entreprendre l'oeuvre des *Blacks* au moyen des Pères de notre congrégation."
Tous deux estiment que la congrégation a sa place en Australie où le travail ne manque pas. "Il ne faudrait pas que la congrégation perdît l'occasion de fonder un établissement qui pourrait faire un bien immense" (Brun, 26 janvier). "Le départ de Mgr Quinn pour l'Europe est fixé au mois prochain ... Vous aurez certainement une entrevue avec l'évêque ... et vous déciderez la question ou de notre établissement définitif dans le diocèse de Brisbane, ou de notre rappel... C'est au mois d'octobre 1870, c'est-à-dire dans quatorze mois que *votre* [le P. Brun avait d'abord écrit *notre* mais non, il ne pouvait pas laisser ce mot : v. *Lettre* 1482 et les notes] convention de dix ans expire... Toutefois il me semble que pour la gloire de Dieu il vaut mieux que nous restions en Australie" (Brun, 2 août). Quant au P. Tissot il parle sans cesse des perspectives d'avenir de l'Assomption dans le Queensland.
Tous deux enfin disent le plus grand bien de leur compagnon, le Fr.Polycarpe Hudry : "son exemple, écrit le P. Brun, fait plus de bien ici que toutes mes prédications" (26 janvier).
Pour terminer relevons le cri de triomphe du P. Brun le 27 octobre: "Vers la fin de mars mes dettes seront éteintes!" Il y a quatre ans (16 octobre 1865) qu'il en a entretenu pour la première fois le P. d'Alzon.
2. "Jean achète en ce moment mais *pour lui* plusieurs propriétés...ll a, dit-il, le projet de donner par là un local aux Oblates" (Hippolyte, 22 avril).