DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 331

12 jun 1869 Paris CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie

Je n’ai pas encore pu quitter Paris – Une violente explosion menace – Sanctifions-nous et sanctifions ceux qui nous sont confiés – Nos filles font-elles bien leur méditation ?

Informations générales
  • DR07_331
  • 3615
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 331
  • Orig.ms. AC O.A.; Photoc. ACR, AH 410; D'A., T.D. 29, n. 198, pp. 227-228; QUENARD, pp. 124-125.
Informations détaillées
  • 1 CHATIMENT
    1 GUERRE CIVILE
    1 OBLATES
    1 ORAISON
    1 PATIENCE
    1 PERSECUTIONS
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    2 EUGENIE, IMPERATRICE
    2 GAMBETTA, LEON
    2 NAPOLEON III
    2 PICARD, ERNEST
    3 AUTEUIL
    3 HERAULT, DEPARTEMENT
    3 MARSEILLE
    3 PARIS
  • A LA MERE EMMANUEL-MARIE CORRENSON
  • CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie
  • Paris, 12 juin 1869.
  • 12 jun 1869
  • Paris
La lettre

Ma bien chère fille,

Je devrais être en ce moment à faire une instruction aux Oblates; au lieu de cela je croque le marmot à Paris. J’avais espéré partir hier soir. Si le courrier de 9 heures m’apporte une réponse, je partirai à 11 heures pour aller demain matin, dimanche, dire la messe chez mes filles. Enfin, ce n’est pas pour rien que Notre-Seigneur recommande aux apôtres de posséder leurs âmes dans la patience.

La situation devient très grave, l’impératrice ne cesse de pleurer. A la direction de la sûreté publique, on est très effrayé. Un officier d’artillerie, dont la fille est à Auteuil, est venu prévenir cette enfant de ne pas s’effrayer, si l’on voyait les bombes passer sur le couvent, qu’elles avaient une autre portée. L’empereur aurait dit: « Il est possible que je saute, mais la moitié de Paris sautera avec moi ». Du reste, ce ne sont pas nos quartiers qui sont menacés. Hier soir, à 9 heures, un régiment de la garde montait vers les Tuileries, en passant devant notre quai. Je ne pense pourtant pas que le grand mouvement ait lieu pour à présent; ce sera à l’époque des nouvelles élections que l’on fera à Paris, lorsque Gambetta ou Picard(1) auront choisi probablement hors Paris. Alors, alors, peut-être verra-t-on bien du tapage. Pour le moment, on ne fait que s’essayer.

C’est pour cela, ma bien chère enfant, que je voudrais être auprès de vous. Je ne pense pas que nos Pères aient beaucoup à souffrir, mais les Jésuites, les Dominicains et les Capucins sont, à mon gré, menacés. Ce sera court, à ce que l’on pense, mais ce sera violent; puis le vent qui dissipe les nuages pourra bien souffler sur ces menaces de tempête, si Dieu le veut. Mais que nous avons tous besoin d’être châtiés! Au milieu de toutes ces préoccupations extérieures, n’oublions pas de nous sanctifier et de sanctifier ceux qui nous sont confiés. Oublions-nous, faisons abstraction de nous-même et allons bonnement et simplement à N.-S.

Nos filles font-elles bien la méditation? Leur faites-vous un peu rendre compte de la manière dont elles y emploient leur temps, de leurs réflexions, de leurs résolutions? Il me semble qu’il faut les former toujours un peu plus à cet exercice, où je suis persuadé qu’il y a pour plusieurs beaucoup de temps perdu.

Voilà le courrier qui arrive, point de lettre. Donc je ne pars pas. Adieu, mon enfant. Voilà encore un sacrifice. Je ne vous verrai pas demain matin. Je vous bénis du fond du coeur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Tous deux venaient d'être élus au Corps législatif, Gambetta à Marseille, Picard dans l'Hérault (MAURAIN, pp. 921-922 et 924). Léon Gambetta (1838-1882) et Ernest Picard (1821-1877) appartenaient à l'opposition républicaine. Picard avait fondé l'année précédente *l'Electeur libre*.