DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 372

7 aug 1869 Le Vigan MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Questions relatives aux religieuses et à la vie religieuse – La lettre de Mgr d’Alger dans l’*Univers* – Emmanuel – Le noviciat.

Informations générales
  • DR07_372
  • 3655
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 372
  • Orig.ms. ACR, AD 253; D'A., T.D. 24, n. 1020, pp. 56-58.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 AUMONE
    1 COLONIES AGRICOLES
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONFESSEUR
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONGREGATION DES EVEQUES ET REGULIERS
    1 CURE
    1 FRANCHISE
    1 NOVICIAT DES ASSOMPTIONNISTES
    1 ORPHELINATS
    1 PAUVRETE
    1 RELIGIEUSES
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TRAVAUX AGRICOLES
    2 BAUNARD, LOUIS
    2 CAYRE, FULBERT
    2 CHAILLOT, LUDOVIC
    2 INNOCENT III
    2 LAVIGERIE, CHARLES
    2 LUCIDI, ANGELO
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MILLERET, EMMANUEL
    2 NOAILLES, MADAME DE
    2 PALME, VICTOR
    2 PERIER-MUZET, JEAN-PAUL
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 ROCH, MISS
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 VARIN D'AINVELLE, MADAME J.-B.-FELIX
    3 ALGER
    3 ALGERIE
    3 ARRAS
    3 NICE
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PIE BOUQUET
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-JEAN DU LATRAN
    3 SERVAS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Le Vigan, 7 août 1869.
  • 7 aug 1869
  • Le Vigan
La lettre

Ma bien chère fille,

Quoiqu’en retraite, je crois pouvoir vous répondre immédiatement sur votre lettre du 5.

1° De fait, j’ai une décision de la S. Congrégation qui veut que le confesseur voie les religieuses, toutes les fois qu’elles en ont besoin. Cela se trouve dans les Analecta de 1868(1).

2° Vous ai-je fait observer qu’à Rome, pour les Dominicaines de Sainte-Catherine de Sienne, il y a deux confesseurs? Cela n’est pas seulement pour ce couvent.

3° Je crois bien qu’il en était de même pour les 70.000 ou 80.000 religieuses franciscaines, qui, avant la Révolution, dépendaient du général des Mineurs réformés. Vous pouvez consulter là-dessus les Récollets de Paris. 80.000 religieuses, c’est quelque chose!

4° Vous ai-je dit ma grande réponse à toutes ces règles: « S’il n’était pas nécessaire de changer bien des choses, à quoi bon un concile? » Aussi cherché-je à m’y préparer de mon mieux.

5° Le livre que vous a indiqué Mgr Manning est Lucidi, trois volumes; vous le trouverez chez Palmé.

6° Mais, ce qui me frappe surtout, en lisant un livre assez ennuyeux de saint Thomas contre les ennemis de la vie religieuse(2), et les moines mendiants en particulier, c’est que ce qui a été bon dans un temps ne l’est pas dans un autre, et qu’il faut absolument prendre garde de se servir des meilleures choses contre d’autres choses non moins bonnes. Je vous en citerai un exemple. Innocent III a, au concile général de Latran(3), ordonné que, tous les ans, les fidèles doivent se confesser à leur propre prêtre. D’où l’on conclut à la défense que les religieux confessent en temps pascal et soient obligés d’aller au curé. Que répond saint Thomas? 1° Que le propre prêtre est sans doute le curé, mais avant le curé, l’évêque; 2° Que, de même que le curé délègue son pouvoir au vicaire, à plus forte raison l’évêque peut déléguer ses pouvoirs à qui bon lui semble, par conséquent aux religieux; 3° Par conséquent que tout religieux, confessant avec les pouvoirs de l’évêque, est censé le propre prêtre du pénitent qui va le trouver, même au temps pascal. – Je crois bien pourtant que, dans la pensée d’Innocent III, le propre prêtre était le curé.

Pour moi, il ne me déplaît pas que des hommes de la valeur de Mgr Manning poussent les choses à une certaine exagération(4). L’exagération même fera sentir l’inconvénient de certains principes. Il importe que vous me donniez tous les renseignements possibles, et je mets votre lettre à part, parce qu’elle ira très bien aux notes que je prépare. Toutefois, quand vous aurez quelque chose de semblable à me communiquer, insérez-le sur une feuille détachée, précisément pour que je puisse conserver à part le reste de votre correspondance.

Je vous recommande, dans l’Univers du 6 août, la lettre de Mgr d’Alger. Je crois que nous pourrions faire quelque chose de semblable, et bien aisément, si Dieu voulait nous bénir. Quelle destination Mme de Noailles donne-t-elle à Pié Bouquet(5)? Qu’il serait facile d’y former un orphelinat! Quand je songe que, sans se ruiner, Mme Varin a déjà formé plus de 200 laboureurs chrétiens(6)! Je puis vous assurer que, si elle voulait donner sa terre, soit pour des garçons, soit pour des filles, positivement nous y ferions quelque chose. J’y mettrais des Oblates si c’était pour des filles, de nos religieux si c’était pour des hommes. Il faudrait mûrir la chose pour d’ici à un an.

Le bon Emmanuel a besoin d’un peu d’énergie(7). C’est un garçon d’une franchise parfaite, mais il se laisse un peu trop amollir. Les craintes qu’on avait sur lui n’ont, à mes yeux, aucun fondement. Il dit de ces bêtises, qui prouvent sa très parfaite innocence, ainsi qu’il aime mieux voyager avec des religieuses qu’avec des religieux. Un garçon gâté ne dirait pas cela.

Je trouve ici un noviciat très régulier, mais d’un niveau bien médiocre. J’en cause avec le P. Hippolyte, qui est parfait pour les gens de ce niveau. Dieu ne nous enverra-t-il jamais quelque chose de mieux? Demandez-le, je vous en conjure. Nous avons ici 18 à 20 novices; avec les six à sept qui sont à Nîmes, Paris ou Arras, cela va à 24 à peu près. Mais que c’est peu pour tout ce qui nous est indispensable!

Je vous prie de regarder, dans la lettre de l’archev[êque] d’Alger, ce qu’il dit de la pauvreté par la culture de la terre et de la pauvreté par l’aumône des fidèles(8). Saint Thomas traite cette question fort au long. La théorie des deux systèmes veut une application selon les temps, et je suis à chercher si, quand on veut faire des missions, il ne faut pas s’arranger pour suivre les deux systèmes.

Mille fois vôtre. Priez-bien pour moi.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
J'irai vous voir de suite après la Toussaint. On offre ici, pour octobre, deux retraites au P. Picard; cela nous eût permis de causer à trois.1. La 9e série des *Analecta juris pontificii* de Mgr Chaillot consacre un long article aux confesseurs des religieuses (79e livraison, col. 539-604).
2. L'ouvrage que lit le P. d'Alzon est sans doute le *Contra impugnantes Dei cultum et religionem* (1257), mais saint Thomas composa d'autres livres sur la vie religieuse dont le *Contra pestiferam doctrinam retrahentium homines a religionis ingressu* (1270). Voir les Patrologies, par ex. CAYRE, II, pp.530 et 534.
3. Le 4e concile de Latran (1215) fut convoqué par Innocent III (1198-1216).
4. Pour Mgr Manning, a écrit Mère M.-Eugénie le 5 août, l'unité du confesseur ordinaire paraît être une espèce de dogme.
5. Dans une lettre du 15 mai datée de Nice, où le P. d'Alzon vient de passer deux jours, Mère M.-Eugénie écrit: "Miss Roch tient à me montrer *Prêche Bouquet* et à voir la colonie avec moi..."
6. A Servas (Alès) où son mari avait fondé un orphelinat agricole.
7. Emmanuel vient de quitter Nîmes pour les vacances scolaires. "Il avait envie de rester chez ses parents, c'est naturel, il est si gâté; mais il vous reviendra, j'en ai la promesse", avait écrit Mère M.-Eugénie, sa tante.
8. Comprendre: *de la lutte contre la pauvreté par*...- Mgr Lavigerie, évêque de Nancy depuis 1863, était devenu archevêque d'Alger en 1867. A peine arrivé en Afrique du Nord, il avait été confronté à la misère des populations, aggravée encore en 1867 par une épidémie de choléra et par l'horrible famine qui résulta de la destruction des récoltes par les sauterelles. Il avait fait appel à la charité des catholiques français par une lettre célèbre datée du 1er janvier 1868, suscitant un admirable mouvement de solidarité. (Mgr BAUNARD, *Le cardinal Lavigerie*, 2 vol., Paris 1922).
La lettre de Mgr Lavigerie vient de paraître dans l'*Univers* du 6 août. C'est une lettre du 10 juin aux présidents et membres des Conseils de la Propagation de la foi sur la création de communautés agricoles, l'une féminine, l'autre masculine, destinées à soutenir par le travail manuel et spécialement le travail des champs les oeuvres charitables des missions (information aimablement fournie par J.-P. Périer-Muzet).