DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 392

20 aug 1869 Le Vigan LA_BEDOLLIERE

Droit de réponse : l’affaire de la novice devenue folle.

Informations générales
  • DR07_392
  • 3673
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 392
  • D'après l'*Univers* du 31 août 1869; D'A., T.D. 40, pp. 422-423.
Informations détaillées
  • 1 ACCIDENTS
    1 FORMATION DES NOVICES
    1 MALADIES MENTALES
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 OBLATES
    2 MARIE-JOSEPH, OBLATE
    3 CRACOVIE
    3 VIGAN, LE
  • A MONSIEUR DE LA BEDOLLIERE, REDACTEUR DU *NATIONAL*
  • LA_BEDOLLIERE
  • Le Vigan, 20 août 1869.
  • 20 aug 1869
  • Le Vigan
La lettre

Monsieur(1),

On me montre un article du National où vous me peignez sous des couleurs bien noires, à propos d’une novice devenue folle(2) dans un établissement fondé par moi. Permettez-moi d’opposer à vos assertions d’autres assertions très faciles à vérifier.

Il est incontestable que:

1° La personne en question, venue chez nous après plusieurs mois de sollicitations de sa part, a été prise d’un accès de folie presque subit. La veille, elle s’était promenée dans le jardin, disant qu’elle voulait se tuer, et c’est sur ces propos qu’on l’a surveillée. Où est le mal?

2° Puisqu’elle avait toute liberté pour se promener, elle n’était donc pas captive comme vous le dites.

3° Elle a été enfermée au plus vingt minutes. L’intention de ses Soeurs était qu’elle le fût une demi-heure, le temps pour elles d’entendre la messe, avec le désir de l’empêcher de se donner la mort.

4° Je n’ai su le fait que vingt-quatre heures après; j’étais à plus de trente lieues et je ne me doutais pas le moins du monde de ce cas de folie.

5° Si je suis coupable d’avoir fait soigner la malade, les magistrats qui l’ont visitée le sont aussi de ne l’avoir pas fait transférer ailleurs. Le médecin qui a ordonné de l’attacher et qui l’eût soignée, si je ne me trompe, à l’hospice, ne l’est pas moins.

6° Les parents, avertis, n’ont pas pris la peine de venir savoir de ses nouvelles, ni même d’en demander, du commencement d’avril à la fin août.

7° Elle a actuellement un moment lucide, au moins elle l’avait il y a quelques jours; faites-lui donc demander, par un de vos abonnés de Nîmes où elle se trouve, si elle ne s’est pas plainte de ce qu’on ne la gardait pas aux Oblates de l’Assomption. Si elle a tant pleuré pour se séparer de ses Soeurs, elle n’était donc pas si malheureuse parmi elles.

Si je suis un bourreau, c’est de loin; je ne viens au Vigan qu’à de rares intervalles. Mais pourriez-vous me dire quel motif vous me supposez pour torturer une personne qui a sollicité assez longtemps pour être admise dans notre communauté, qui tous les jours était, par la situation des portes, libre d’en sortir, même sans prévenir qui que ce soit, et qui, sortie aujourd’hui, rentrerait à coup sûr avec bonheur, si on le lui permettait?

Laissez-moi vous dire, Monsieur, que vos jugements me semblent faussés par une distraction. L’éducation qu’il faut donner à des religieuses destinées aux missions étrangères exige un ordre de vie tout différent de celui des cloîtres, (veuillez n’en pas conclure que je blâme la vie des cloîtres). Elles passent dix fois par jour, vingt fois souvent, devant la porte qui donne sur la voie publique et qui est presque toujours ouverte. Elles savent qu’elles peuvent sortir; quelquefois elles sont obligées de sortir, mais toujours elles rentrent. Si elles ont une si grande liberté, si d’autre part elles sont aussi torturées que vous le dites, pourquoi ne s’enfuient-elles pas? Faites-le leur demander. Je vous offre, si vous ne pouvez vous en assurer par vous-même, d’ouvrir toutes les portes à quelqu’un envoyé par vous, muni de votre signature. Il inspectera, il visitera, il interrogera; et si une seule de nos religieuses se plaint d’être torturée ou seulement vexée, j’accepte tous les noms dont vous voulez bien me gratifier.

– Mais alors, me direz-vous, pourquoi comparer une affaire aussi simple à celle de Cracovie?

– Parce que l’affaire de Cracovie est aussi simple que la nôtre, et telle est la conclusion où je voulais arriver.

Je compte, Monsieur, que vous publierez cette réponse. Votre refus me ferait tirer des conséquences, dont votre loyauté ne voudra pas me fournir l’occasion. Je suis, Monsieur, votre serviteur.

E.D’ALZON

supérieur des Oblates de l’Assomption.

Au dernier moment, j’apprends que la prétendue victime de nos cruautés ne prit pas même la peine d’attendre que la messe fût dite. Du reste, Monsieur, je vous en conjure, ouvrez une enquête, vous me rendrez un signalé service. Je vous y aiderai.

E.D'A.
Notes et post-scriptum
1. Emile Girault de La Bedollière (1812-1883). En 1869 il est rédacteur au *National*, journal républicain très lu où il a apporté le style du *Siècle* (*Histoire générale de la presse française*, II, p.353).
2. Voir *Lettre* 3663.