DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 401

29 aug 1869 Le Vigan LOYSON Hyacinthe

Réponse à sa lettre sur la novice devenue folle.

Informations générales
  • DR07_401
  • 3684
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 401
  • Brouillon de la main du P. d'Alzon ACR, AO 72; D'A., T.D. 39, pp. 308-312.
Informations détaillées
  • 1 ACCIDENTS
    1 AMOUR DU PAPE
    1 BLESSURES
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FRANCHISE
    1 HOSPICE
    1 INFIRMERIE
    1 JURIDICTION ECCLESIASTIQUE
    1 LIBERTE
    1 MALADES
    1 MALADIES MENTALES
    1 OBLATES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SATAN
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SOINS AUX MALADES
    1 TOLERANCE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 ETIENNE, JEAN-BAPTISTE
    2 LA BEDOLLIERE, EMILE DE
    2 LOYSON, MARIE-COLOMBE
    2 MARIE-JOSEPH, OBLATE
    2 PONCET, EUGENE
    2 PUYSEGUR, JEAN DE
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 PUYSEGUR, MARIE-THERESE DE
    2 VAILHE, SIMEON
    3 AVIGNON
    3 BERNE
    3 CRACOVIE
    3 GENEVE
    3 NIMES
    3 VIGAN, LE
  • AU PERE HYACINTHE LOYSON
  • LOYSON Hyacinthe
  • Le Vigan, le 29 août 1869.
  • 29 aug 1869
  • Le Vigan
La lettre

Mon Révérend Père,

Je puis me tromper sur le fait de Cracovie, mais je vous avoue qu’un fait analogue s’étant présenté, en 1845, à Avignon, je fus assez heureux pour empêcher, par une démarche, des religieuses calomniées de devenir victimes d’une grande injustice (4). Encouragé par ce souvenir, j’ai cru pouvoir venir en aide à l’Ordre du Carmel, dont je n’ai, certes pas, à me louer en ce moment (je parle des femmes)(1); je l’ai fait et je vous avoue que je ne puis m’en repentir.

Pour vous, mon Révérend Père, je puis vous dire ce qui ne se publie pas. Voici les faits. Une fille admise dans une maison, d’où l’on peut sortir à toute heure sans prévenir personne, par le fait de la disposition des lieux, demande un matin à sa supérieure la permission d’aller se promener dans le jardin. On la lui donne. Mais comme elle a prononcé des paroles incohérentes, la supérieure va la trouver, et la novice lui avoue qu’elle se sent poussée à se tuer. La supérieure garde l’aveu pour elle et l’assistante, mais la surveille.

Le lendemain, vendredi, à la récréation, la novice, assise à côté de la supérieure, se penche sur son épaule et lui dit devant tout le monde: « Je sens que le démon s’empare de moi ». La nuit vint. D’autres religieuses étaient souffrantes dans leurs cellules. Pour ne pas les déranger, on fit coucher la novice en question dans une petite pièce donnant sur l’infirmerie, où quatre religieuses vinrent, pour la nuit, pour éviter un malheur. Elle dormit paisiblement d’abord, mais à 4 heures et demie du matin, elle se réveilla en poussant des cris de fureur. Les pauvres religieuses voulurent l’arrêter, mais la lutte était terrible. En attendant qu’on pût faire venir le médecin et un homme de confiance, on la faisait entrer dans la petite pièce, uniquement pour pouvoir se reposer. On lui ouvrait à chaque instant, quand elle était calme. A 7 heures moins un quart, elle annonça qu’elle allait se reposer sur son lit. On ferma la porte, parce qu’elle le demanda, mais on resta dans la chambre voisine, quand tout à coup le bruit de sa chute épouvanta nos pauvres filles. Elle avait le col du fémur et un bras brisés, et les plus horribles plaies sur tout le corps. On la croyait morte.

Ceci se passait à 7 heures moins cinq minutes. Qui peut-on accuser? Moi, j’étais à trente lieues, à rendre les derniers devoirs à ma soeur, Mme de Puységur. Les religieuses avaient fait ce qu’elles avaient pu. On l’a admirablement soignée, beaucoup plus longtemps qu’elle n’en avait besoin, uniquement parce qu’on craignait une rechute. Bien entendu qu’on l’a soignée gratuitement.

On voulut prévenir son père. Savez-vous ce qu’il répondit? Une pièce de vers. Le père était aussi fou que la fille. Depuis, nous avons su qu’il l’avait mise à la porte, peu de temps avant son entrée chez nos filles, pour se remarier. Dans un intervalle lucide, cette pauvre novice a écrit elle-même à son père, pour le prier de venir la voir. Savez-vous ce que le père a répondu?

« Ma chère fille,

« Je t’envoie un petit pot de pommade, que tu as demandé. Ton petit frère (un frère du second lit) a les plus jolis cheveux blonds bouclés. Je suis bien aise que tu ailles mieux. Je t’embrasse tendrement.

« Ton père ».

S’il y a une ligne de plus, c’est le bout du monde. Mais de la reprendre, pas un mot.

M. de La Bédollière(2), qui partage vos jugements, eût voulu qu’on la fit transporter à l’hospice. Au Vigan, c’était impossible; il paraît que les règlements s’y opposent. A Nîmes, il fallait faire parcourir 80 kilomètres à une pauvre fille meurtrie dans tout son corps, avec deux membres brisés. C’est cela, mon Révérend Père, qui eût été de la cruauté.

Je craignais qu’on ne m’accusât de n’avoir pas gardé cette pauvre fille. M. de La Bédollière, en me reprochant de ne pas l’avoir mise immédiatement à l’hospice, me justifie. Quant à vous, mon Révérend Père, j’avoue que je ne comprends pas bien ce qui vous cause une impression douloureuse. Est-ce d’avoir laissé enfermée, au plus un quart d’heure, une fille, folle furieuse, tandis qu’on envoyait chercher le médecin et un homme assez fort pour la dompter? Ce n’est pas la faute de nos pauvres filles, si elles étaient à bout de forces. Est-ce de n’avoir pas prévu un pareil malheur? Ce ne fut que la veille au soir qu’on put sérieusement le redouter, et, avant 7 heures du matin, il était accompli, et, vous l’avez vu, des précautions avaient été prises. Est-ce de n’avoir pas gardé cette pauvre fille? Le médecin nous a dit que nous la gardions deux mois de plus qu’il n’était nécessaire pour la guérison de ses fractures. Est-ce qu’il y a un seul Ordre ou Congrégation qui garde les novices fous?

Je connais bien une maison du Carmel, où la supérieure a rendu six religieuses folles, dont une s’est noyée, il y a peu de temps, dans le puits de la maison et que le supérieur a été obligé d’aller repêcher; mais j’aime mieux enfermer au besoin (quoique je n’y sois pour rien) une religieuse qui a perdu la tête, que de m’exposer à lui voir perdre la vie.

Qu’est-ce donc qui vous déplaît dans ma lettre? Le ton? Ah! sur ce point, mon Révérend Père, je vous l’avouerai, j’aime mieux le ton ferme, s’approchât-il de la brusquerie, que le ton tolérant, où l’on peut voir l’abandon de la vérité. Et puisque vous avez la bonté de me parler le premier, laissez-moi vous avouer le scandale que m’ont causé récemment vos paroles, même adoucies. Vos amis religieux qui vous approuvent ne seront jamais les miens, et, eussé-je tort, j’aimerais mieux me tromper sur une question de fait que sur une question de principe. Je trouve que nous sommes trop aux genoux de certaines gens, et ma conscience en bien des occasions préfère leurs blâmes à leurs éloges.

La longueur de cette lettre vous prouve que je ne vous mets point dans cette catégorie et que j’apprécie votre approbation, quelque abîme qui nous sépare sur certains points.

Veuillez agréer, mon Révérend Père, l’expression des sentiments respectueux, avec lesquels je suis votre très humble et obéissant serviteur.

E.D'ALZON|des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum
Pour revenir au sujet de votre lettre, me permettez-vous de dire que nous sommes restés dans les meilleurs termes avec notre ex-novice; qu'en nous quittant, elle a fait ses excuses aux Soeurs qui l'ont admirablement soignée; et que notre seule préoccupation est de lui faire parvenir les quelques sous qu'elle nous avait confiés, pour qu'ils soient employés par elle ou ceux qui la soigneront, et non par sa famille? Nous comptons veiller sur elle, la protéger. Mais encore une fois, mon Révérend Père, pouvions-nous la garder? Je vous en fais juge.|M. de La Bédollière, qui a dénaturé la situation à plaisir, a reçu de moi la proposition de faire faire une enquête par tel de ses amis du Midi qu'il désignerait. C'est vous dire que mes craintes, si j'en ai, sont légères. Pourquoi donc, mon Révérend Père, cette disposition à trouver mal tous les actes de ceux qui sont de coeur attachés à l'Eglise, et à pencher toujours vers les jugements de ses ennemis?|J'oubliais ce que vous me dites de votre soeur. Je suis l'ami|le plus dévoué des Dames de l'Assomption, je ne suis rien de plus. Mais soyez persuadé que jamais les questions de personnes ne me feront faire l'ombre d'une concession sur les questions fondamentales. Libre à vous d'invoquer l'autorité ecclésiastique au sujet de la soeur de votre sang et de votre âme. Ceci n'est en aucune façon de ma compétence.|Vous ajoutez que vous agirez au nom de l'évangile, de la charité et de la liberté. Permettez-moi de vous le faire observer: si c'est une allusion que vous croyez devoir faire à l'esprit qu'on cherche à donner aux Oblates de l'Assomption, je vous répondrai que, destinées aux Missions étrangères, la liberté et la charité font nécessairement leur plus grande force. Quant à l'évangile, si je dois trouver le commentaire du vôtre dans votre discours au Congrès de la paix(3), il est un peu différent du mien, parce que je cherche avant tout à ce que le mien soit celui du Pape, de l'Eglise et de Jésus-Christ.1. Difficultés qu'avait son neveu, Jean de Puységur, avec sa soeur, carmélite, ou plutôt avec les supérieures de sa soeur pour l'héritage de leur mère.
2. Le P. d'Alzon écrit ce nom de trois ou quatre façons différentes. Nous avons normalisé sans avertir à chaque fois.
3. Le premier congrès de "La Ligue pour la paix et la liberté", créée en 1867, avait eu lieu à Genève. En 1868 il y en eut un à Berne. Est-ce à l'un d'eux que le P. Loyson avait parlé ?
4. En juillet 1844, lors de l'incendie de l'Hôtel-Dieu d'Avignon, une religieuse de la Congrégation des Soeurs de Saint-Joseph, qui donnait des signes de folie caractérisée, avait été retrouvée enchaînée dans une sorte de cachot. Une cabale d'un anticléricalisme violent s'était alors engagée réclamant le remplacement des religieuses par un personnel laïc. Finalement, le 18 avril 1845, la commission des Hospices, pressée par le maire, Eugène Poncet, avait fait expulser les Soeurs de Saint-Joseph. L'écho de cette affaire fut retentissant. La presse parisienne notamment s'en mêla. En fin de compte, les Soeurs de Saint-Joseph seront réintégrées à l'Hôtel-Dieu d'Avignon en 1849.- Sur cette affaire, v. *Histoire d'Avignon*, Edisud, p.545-546.
Une lettre du P. d'Alzon à Mgr Cart, de fin-mai 1845 (VAILHE, *Lettres* n°381), nous permet de voir en quoi consista la démarche à laquelle il fait allusion ici: il y dit avoir empêché le P. Etienne de fournir des Soeurs de Saint-Vincent à l'Hôtel-Dieu d'Avignon, en remplacement des religieuses expulsées. - Le P. Jean-Baptiste Etienne (1801-1874) fut supérieur général des Lazaristes de 1843 à sa mort. (note ajoutée le 3 janvier 2001, d'après des données fournies par J.-P. Périer-Muzet).