DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 8

2 nov 1869 Nice BAILLY_EMMANUEL aa

De Nîmes à Toulon en chemin de fer.

Informations générales
  • DR08_008
  • 3735
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 8
  • Orig.ms. ACR, AI 66; D'A., T.D. 31, n. 66, pp. 38-40.
Informations détaillées
  • 1 ANCIENS ELEVES
    1 ARMEE
    1 BEAU LITTERAIRE
    1 BETISE
    1 CHAPELET
    1 CHEMIN DE FER
    1 COLERE
    1 CONFESSEUR
    1 ENFANTS
    1 FAMILLE
    1 FRUITS
    1 OFFICE DIVIN
    1 OUVRIER
    1 PARESSE
    1 PRESSE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REPOS
    1 TRAINS
    1 VOYAGES
    2 BOUSQUET
    2 BOUSQUET, LOUIS
    2 CORRENSON, EMMANUEL-MARIE
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    2 TEISSIER, COLONEL
    2 THIBON, LOUIS
    3 BEAUCAIRE
    3 BRAHMAPOUTRE, FLEUVE
    3 CIVITAVECCHIA
    3 COCHINCHINE
    3 GENES
    3 LA PLATA
    3 MARSEILLE
    3 NICE
    3 NIMES
    3 ONEGLIA
    3 RHONE, FLEUVE
    3 ROME
    3 SAINT-AMBROIX
    3 TARASCON
    3 TOULON
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • Nice, 2 nov[embre 18]69.
  • 2 nov 1869
  • Nice
La lettre

Si vous me disiez, cher fils, que vous n’avez pas envie de savoir de mes nouvelles, je ne vous croirais pas. Persuadé qu’il vous tarde d’en avoir, je vous en communique, à charge de les communiquer, à votre tour.

De Nîmes à Tarascon, voyagé avec un capitaine de gendarmerie. Après avoir convenu que si l’honneur français s’était réfugié quelque part, c’était dans l’armée, mais plus particulièrement dans les bottes des gendarmes, je pris mon journal, lui sa théorie; il l’étudia de façon à faire honte à tous les paresseux de la troisième division. Nous nous séparâmes à Beaucaire les meilleurs amis du monde, après qu’il m’eût appris que le colonel de gendarmerie Teissier était juge de paix à Saint-Ambroix; ce qui me fit faire des réflexions sur la magistrature de la gendarmerie, puis, je regardai couler le Rhône, et, trouvant qu’il serait assez difficile de l’empêcher de se passer cette fantaisie, j’arrivai à Tarascon. Il fallait attendre une heure et demie; c’était long. M. Bousquet, le père de l’ancien élève, me le fit trouver plus long encore en venant causer avec moi, (gardez-vous de lui en faire l’aveu, de ma part). Nous parlâmes de l’avenir immense de Nîmes, quand Nîmes aura des eaux; pourquoi les protestants n’aiment pas les eaux, les eaux de Nîmes sont destinées à noyer les protestants dans les flots d’une nouvelle population catholique. M. Bousquet me parla nécessairement de Bousquétou(1). Bousquétou est allé à La Plata, il va aller à Civitta-Vecchia; il fera consécutivement la promenade de Civitta à Marseille tout l’hiver, et, chaque fois qu’il arrivera à Marseille, il se précipitera dans les bras de papa et de maman. Quelle chance! Mais dans trois ans, M. Bousquet revient à Nîmes avec sa retraite. C’est juste, il a servi l’Etat trente-cinq ans. Alors Bousquétou ira en Cochinchine chercher des poulets Brahmapoutre.

Sur ces entrefaites, le chemin de fer arrivait ou plutôt le convoi. Je m’installe. Quel bonheur! M. Bousquet ne me suit pas. Je suis seul, je mange la grenade de la Mère Emmanuel, ce qui naturellement me fait penser à elle. Si vous le lui dites, vous verrez comme cela la touchera. Je dis mon office; un Monsieur vient, puis un chasseur, puis deux chasseurs, cinq chasseurs, dont un avec son épouse et un mioche de trois ans. Le mioche veut faire pipi, on le met à la portière, devant moi. Un sentiment de respect pour moi fait qu’il veut faire pipi à l’autre portière. Je trouve le mioche de trois ans avec un sentiment des convenances plus avancé que les deux auteurs de ses jours, qui me font l’effet de n’avoir pas inventé la poudre. Peut-être que je me trompe, et, s’ils l’ont inventée, je ne voudrais pas leur nuire en laissant croire qu’ils n’en étaient pas capables. Pour ne pas manquer à la charité, croyez ce qu’il vous plaira, mais établissons que je vous laisse libre. Après le pipi, vient le caca. Scène de famille. Cette fois, le papa montra une énergie paternelle pleine de dignité: la permission fut refusée, aucune portière ne fut ouverte, on prit la résolution héroïque d’attendre Marseille. La mère poussa-t-elle un soupir? Un bruit assez étrange venait-il d’ailleurs? Enfin Marseille apparut ou plutôt n’apparut pas; il était nuit close.

Vingt-cinq minutes après, je partais avec un convoi de 500 à 600 ouvriers, mais j’étais seul dans mon wagon. Je dis mes rosaires. Je couchai à Toulon. Ce matin, j’ai vu la mer. Qui n’aime pas la mer est indigne d’être poète. J’ai proposé à M. Thibon de faire des vers, il n’a pas voulu.

Vous comprenez que j’abrège. Demain, nous partons. Nos effets sont partis, ce soir; nous coucherons à Oneglia, puis à Gênes; puis peut-être ne nous coucherons-nous pas, puis à Rome.

Adieu, objet chéri. Que vous dirai-je? Que je suis à Nice, que nous coucherons chez les Dames de l’Assomption. Voilà, j’espère, une longue épître. Adieu. Je viens d’avoir une longue conversation sur les confesseurs des religieuses(2). Eh bien, pour le moment, j’aime mieux parler d’autre chose.

Adieu et tout à vous.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Vous remarquerez que je ne me relis pas et que, si je ne me suis pas relu, je ne suis pas davantage relié(3).1. Bousquétou, Louis Bousquet, fut élève du collège de 1852 à 1860.
2. Avec Mère Marie-Eugénie.
3. La lettre est en plusieurs feuillets.