DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 35

1 dec 1869 Rome BAILLY_EMMANUEL aa

L’opinion est de plus en plus hostile à Orléans – Une note à faire insérer dans la *Semaine religieuse* – Partisans et adversaires de la définition de l’infaillibilité – Où est Dupanloup? – Messe triomphale à Saint-Pierre – « Le pape et le peuple ».

Informations générales
  • DR08_035
  • 3759
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 35
  • Orig.ms. ACR, AI 75; D'A., T.D. 31, n. 75, pp. 50-52.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 BAVARDAGES
    1 BETISE
    1 BOURGEOISIE ADVERSAIRE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONSTITUTION
    1 DECRETS
    1 DEFAUTS
    1 DEMOCRATIE
    1 ELECTION
    1 ENERGIE
    1 EVEQUE
    1 FRANCAIS
    1 GALLICANISME
    1 HONORAIRES DE MESSES
    1 HUMILITE
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INDEX
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 IVROGNERIE
    1 LITURGIES ORIENTALES
    1 OPPORTUNISME
    1 PAPE
    1 PROCESSION DU SAINT-SACREMENT
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PROVIDENCE
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 REPUBLIQUE
    1 SPECTACLES
    1 SUFFISANCE
    1 ULTRAMONTANISME
    2 CARBONE, VINCENZO
    2 CHAM, BIBLE
    2 CHESNEL, FRANCOIS
    2 DEHON, LEON
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 FREPPEL, CHARLES-EMILE
    2 GAY, CHARLES-LOUIS
    2 GIBERT, ANTOINE
    2 GRANDERATH, THEODORE
    2 JACQUEMET, JACQUES
    2 LAGRANGE, FRANCOIS
    2 LOUIS XIV
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MARET, HENRI
    2 MERMILLOD, GASPARD
    2 NAPOLEON III
    2 NOE
    2 PECOUL, AUGUSTE
    2 PIE IX
    2 SAUVE, HENRI
    3 AMERIQUES
    3 LAVAL
    3 MOULINS
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 POITIERS
    3 QUIMPER
    3 REIMS
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, VILLA GRAZZIOLI
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • Rome, le 1er décembre 1869.
  • 1 dec 1869
  • Rome
La lettre

Accusez-moi réception de cette lettre.

Rome, le 1er décembre 1869.

Mon cher ami,

Je vais chercher à vous donner tout ce que je sais de nouvelles. D’abord, rien de remarquable, sinon que les Romains se dessinent toujours plus énergiquement contre Orléans. Quand il arrivera, aura-t-il la possibilité de les remettre sous son joug? Dieu le sait. C’est une grande humiliation pour notre époque que d’avoir à subir une influence pareille.

J’ai dîné, hier, avec l’abbé Gibert(1) chez Pécoul; il pense que le concile fera pour l’infaillibilité ce qu’à Trente on fit pour l’Immaculée Conception. Il sera défendu de soutenir les doctrines gallicanes, mais on ne leur décernera pas l’anathème. Seulement, tout enseignement contraire à l’infaillibilité sera, par ordre du concile, mis à l’index. Il faudrait même faire insérer dans la Semaine religieuse une note à peu près conçue ainsi:

« On nous écrit de Rome. Ce qui fait que Monseigneur d’Orléans a traité la question de l’opportunité, c’est qu’il sait à merveille le Pape convaincu que, depuis deux cents ans, on a assez traité la question de l’infaillibilité en elle-même pour qu’il puisse permettre d’y revenir. Celle-là est jugée par tous les décrets des Souverains Pontifes depuis les luttes avec Louis XIV. Trouver qu’il faut encore examiner la question est tout bonnement une absurdité, d’une part, et une irrévérence, de l’autre. Pie IX, paraît-il, ne l’acceptera pas. Voilà pourquoi Monseigneur d’Orléans a choisi le terrain de l’opportunité, bien plus habile en cela que Mgr Maret. Pie IX a de plus, déclaré à plusieurs évêques qu’il ne proposerait pas la question. C’est à la piété filiale des membres du concile à savoir s’ils veulent ajouter cette couronne à celles qui ceignent déjà le front de leur père, de leur « frère aîné », comme le Pape le disait naguère à un groupe d’entre eux.

Si l’on compte attentivement, on suppose qu’il y aura une soixantaine d’évêques pour l’inopportunité, en enflant le chiffre au maximum. Il y aura six cents évêques pour l’opportunité. Mais ces calculs peuvent évidemment avoir de graves inconvénients, et il ne serait pas respectueux d’y trop insister »(2).

Sur la question de l’infaillibilité en elle-même, il n’y aura pas certainement trente évêques opposants. Ce qui est extraordinaire, c’est que les évêques des pays constitutionnels ou républicains sont les plus ardents à demander que le Pape soit déclaré infaillible; à quoi il faut joindre les évêques des pays protestants. Par ce côté, l’argument de Mgr Dupanloup tombe complètement dans l’eau.

Les deux Amériques sont unanimes pour l’infaillibilité; et quand on voit deux évêques français s’appliquer, depuis peu, à montrer dans les siècles passés les suites de l’ivresse de leur père, on se demande si la Providence n’infligera pas à la nation, à laquelle ils appartiennent, le châtiment infligé à Cham pour avoir insulté à l’ivresse de son père.

Pourriez-vous me dire où est le Dupanloup? On le demande. On ne sait que répondre. A coup sûr, il est quelque part. Je ne parle pas de Paris; il est arrivé, mais il se repose. Il apporterait un million pour demander une messe au Pape pour l’empereur(3). Je ne vous parle pas de la messe de dimanche passé, à Saint-Pierre; c’était magnifique et l’on avait une première idée du concile. Le Pape portant le Saint-Sacrement dans Saint-Pierre, entouré de 300 évêques, cela ne se voit pas partout, et Jésus-Christ placé par son vicaire sur un trône de lumières, n’était-ce pas un prélude au spectacle que nous allons voir?

Les Orientaux sont petits et mesquins comme toujours. Le correspondant de l' »Univers » prétend que leur rite est plus beau que le nôtre; je le nie. Enfin, je vous laisse en vous engageant d’envoyer à l' »Univers » ma note, supposé que la Semaine religieuse l’imprime.

Un mot important. J’entends un certain nombre d’évêques des plus éminents dire: Si les bourgeois libéraux ne veulent pas de l’infaillibilité, le Pape, voyant l’attitude des deux Amériques, se tournera nettement vers la démocratie et dira: « Le Pape et le peuple« . Ces évêques sont Mermillod et Manning. Ceci pour vous.

Notes et post-scriptum
1. Ambroise Gibert, vicaire général de Moulins, un des six théologiens français, dits théologiens du Pape, parce qu'appelés à Rome par Pie IX pour prendre part aux travaux préparatoires du concile. Les autres étaient Jacques Jacquemet de Reims, Charles Gay de Poitiers, Henri Sauvé de Laval, François Freppel, professeur à Paris et François Chesnel de Quimper (GRANDERATH, I, p.92-95). Dans son journal du concile, le P. Dehon, qui en fut l'un des sténographes, cite le P. d'Alzon parmi ces théologiens. Une note de l'éditeur de ce journal met les choses au point (DEHON, *Diario del Concilio Vaticano I*, a cura di V. Carbone, p.4, Roma, 1962).
2. Dans le ms. le passage que nous avons mis entre guillemets est délimité par des tirets. Les T.D. n'allaient pas à la ligne après *insister*. - Des éléments de cette lettre ont été repris sans nom d'auteur dans la *Semaine religieuse de Nîmes* du 12 décembre avec, comme souvent, des modifications, des suppressions, des combinaisons avec d'autres lettres. Le P. d'Alzon protestera d'ailleurs contre cette façon de faire (lettre à E. Bailly du 10 janvier 1870).
3. Mgr Dupanloup avait quitté Orléans le 22 décembre et s'acheminait vers Rome à petites journées. Il y arriva le 5 décembre et reçut le gite à la villa Grazioli (F. LAGRANGE, *Vie de Mgr Dupanloup*, III, p.150, Paris, 1884). Les cancans les plus ridicules couraient à Rome sur son compte.