DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 40

4 dec 1869 Rome BAILLY_EMMANUEL aa

Douceur des moeurs italiennes – Le clergé romain – L’Eglise romaine ne peut errer dans sa foi – Le concile a été voulu par Pie IX malgré les oppositions pour préparer un ordre et un monde nouveau – Le secret pontifical – La question de l’infaillibilité.

Informations générales
  • DR08_040
  • 3763
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 40
  • Orig.ms. ACR, AI 76; D'A., T.D. 31, n. 76, pp. 53-55.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 BATEAU
    1 CARDINAL
    1 CLERGE ROMAIN
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 DEMOCRATIE
    1 DISTINCTION
    1 DOGME
    1 DOUCEUR
    1 EGLISE
    1 ELECTION
    1 ETRANGER
    1 EVEQUE
    1 FOI
    1 FRANCAIS
    1 GALLICANISME
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 ITALIENS
    1 MISSIONNAIRES
    1 MOEURS ACTUELLES
    1 OPPORTUNISME
    1 PAGANISME
    1 PAPE
    1 PATIENCE
    1 PENITENCE IMPOSEE
    1 PERSECUTIONS
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    1 PUBLICATIONS
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 SUFFISANCE
    1 THEOLOGIE
    1 ULTRAMONTANISME
    1 UNION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 VERTUS SACERDOTALES
    2 ANTONELLI, GIACOMO
    2 AUBERT, ROGER
    2 CONSTANTIN LE GRAND
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 GALABERT, VICTORIN
    2 MANSI, GIOVANNI-DOMENICO
    2 MARET, HENRI
    2 PIE IX
    3 ALLEMAGNE
    3 AMERIQUES
    3 ANGLETERRE
    3 BELGIQUE
    3 ESPAGNE
    3 FRANCE
    3 IRLANDE
    3 ITALIE
    3 NICEE
    3 ORIENT
    3 PARIS
    3 ROME
    3 SUISSE
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • Rome, le 4 décembre 1869.
  • 4 dec 1869
  • Rome
La lettre

Mon cher ami,

Je vous ai promis mes impressions sur Rome et sur le concile. Mais ne fallait-il pas les mûrir, afin de n’avoir pas l’ennui de certaines rectifications, toujours pénibles et pour celui à qui on les adresse et pour celui qui les doit faire?

Constatons avant tout l’admirable douceur des moeurs italiennes. Les rues de Rome sont plus encombrées peut-être en ce moment que les rues de Paris pendant l’hiver. N’importe; tout s’y passe avec calme et je ne sais quelle politesse, dont notre démocratie se défait tous les jours en France. Impossible de rencontrer des prêtres dont la tenue soit plus parfaite. Dois-je avouer que j’en suis réduit à faire de temps en temps des comparaisons peu flatteuses pour mon patriotisme?

Le clergé romain se prépare depuis longtemps aux luttes révolutionnaires, malgré son incomparable patience que plusieurs prennent même pour de la timidité. Il sent aussi que le monde entier attend beaucoup de lui. C’est une proposition certaine que l’Eglise romaine ne peut errer dans sa foi. Au moment d’un concile, les membres de cette Eglise privilégiée veulent montrer qu’elle n’est pas indigne d’un si grand privilège par le reflet des vertus sacerdotales.

Les évêques arrivent. Chaque jour en pousse comme un flot plus puissant dans les murs, témoins de faits si prodigieux et dont le moins prodigieux ne sera pas la convocation d’un concile à l’heure présente. Le Pape, avec son concile, joue à qui perd gagne, disait un des prélats les plus dévoués à Pie IX. Et, en effet, humainement parlant, quelle faute qu’un concile oecuménique! Les Romains le répètent sur tous les tons; quelques-uns, il est vrai, prétendent que la grande faute a surtout été de troubler leur quiétude. Non, les Romains ne voulaient pas le concile. Les cardinaux n’y tenaient pas du tout, le cardinal Antonelli peut-être moins que personne, et je crois bien que, si l’on fouillait dans les avis des évêques étrangers consultés sur l’opportunité d’un concile, l’on verrait que les encouragements du dehors n’étaient guère plus chauds que les appréciations intimes. Pie IX a voulu le concile, et, malgré les oppositions ultramontaines unies aux tracasseries gallicanes, le concile va s’ouvrir dans quatre jours(1).

Le concile de Nicée, le premier des conciles oecuméniques, fut assemblé quand après les persécutions Constantin ouvrit l’ère de l’union de l’Eglise avec l’Etat. Le concile du Vatican se réunit pour constater, par l’absence des princes et de leurs représentants, que l’Etat s’est séparé de l’Eglise. Ce parallèle, à lui seul, prouve l’importance sociale de ce qui va s’accomplir. A Nicée, le paganisme expirant, l’Eglise prend possession de la société. Au Vatican, l’Eglise, en face de la société qui s’éloigne, prépare un ordre et un monde nouveaux. Voilà ce qu’il nous est réservé de voir.

Vous parlerai-je des questions que l’on traitera? Ah, mon ami, vous êtes bien curieux! Vous ne savez donc pas ce que c’est que le secret pontifical qu’on ne peut violer, sans avoir besoin d’une dispense toute spéciale du Pape pour se confesser et obtenir l’absolution. On dit même qu’en certains cas le Pape exige qu’on se confesse à lui et se charge de donner la pénitence.

Mais enfin, deux évêques français(2) ont forcé tous leurs collègues à dire qu’il y avait une question dont il était indispensable de s’occuper, la question de l’infaillibilité du Pape. Vous croyez peut-être qu’elle sera présentée d’en haut? Pie IX a déclaré qu’il se garderait bien de prendre l’initiative et qu’il laisserait à d’autres le soin de proposer à l’examen cette grande question, si inopportune, à en croire un prélat fameux. Vous me permettrez de croire, cher ami, que vous ne la connaissez pas encore bien cette grande et solennelle question. A un autre jour les explications. Passons à autre chose.

Dans quelles dispositions sont les évêques? Question par trop irrespectueuse. Aussi dois-je me contenter de vous dire que les dernières publications de Mgr Dupanloup ont produit le meilleur effet. On ne doute pas que la question de l’infaillibilité ne soit résolue à une immense majorité. Les deux Amériques, l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, l’Irlande, la Belgique, la Suisse, à quoi il faut joindre les évêques missionnaires, sont unanimes. En France, en Allemagne quelques évêques, en Orient quelques patriarches, mais ces derniers pour des motifs où la politique et la théologie auront peu de part, trouveront l’infaillibilité inopportune. Il est fâcheux qu’ils aient trouvé, depuis quelque temps déjà, des encouragements venus de France. Il est sûr au moins qu’ils se disent poussés dans cette voie par un évêque occidental. Un prêtre, que je connais parfaitement(3), m’assure le leur avoir entendu dire sur le vaisseau qui les transportait de Constantinople à Ancône.

Je crains d’avoir la langue ou la plume trop longue. Dans ma première lettre je vous expliquerai, non pas la question de l’infaillibilité que vous connaissez aussi bien que moi, mais l’état précis où il paraît que l’on veut établir la controverse.

Une simple observation, et je finis, cette fois. Je ne prétends pas que l’infaillibilité du Pape soit définie comme dogme de foi. D’abord, je serais, cette fois, impertinent au suprême degré, si je prévoyais quelque chose. Je ne fais que constater l’état des esprits en ce moment. Ensuite, est-il opportun de définir? Pour des motifs tout autres que ceux proposés par Monseigneur d’Orléans, quelques évêques des plus ultramontains paraissent pencher pour qu’il n’y ait pas de définition dogmatique. Ceci vous intriguera. Tant mieux! Il vous tardera davantage de recevoir ma prochaine lettre.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Une commission cardinalice créée en mars 1865 avait demandé confidentiellement l'avis d'une quarantaine d'évêques sur la convocation d'un concile. La plupart des avis furent favorables. Le cardinal Antonelli, secrétaire d'Etat, craignait, lui, qu'un concile ne compliquât encore la situation du Saint-Siège (AUBERT, *Pie IX*, p.312). Antonelli ne se trouve pas parmi les 21 cardinaux consultés aussi par Pie IX et dont les avis sont publiés par MANSI, t.49, pp. 9-94.
2. Mgr Maret et Mgr Dupanloup par leurs écrits sur l'inopportunité d'un concile.
3. C'est le P. Galabert (v. *Lettre* 3749). Ecrivant à Emmanuel Bailly, le P. d'Alzon n'avait aucune raison d'employer cette circonlocution. Cette lettre était donc destinée à la publication. Elle parut en effet dans la *Semaine religieuse de Nîmes* du 19 décembre.