DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 48

5 dec 1869 Rome BAILLY_EMMANUEL aa

La notion d’infaillibilité – L’épiscopat et la définition de l’infaillibilité pontificale.

Informations générales
  • DR08_048
  • 3769
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 48
  • Orig.ms. ACR, AI 78; D'A., T.D. 31, n. 78, pp. 56-59.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 ALLEMANDS
    1 AMERICAINS
    1 ANGLAIS
    1 ARMEE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BAVARDAGES
    1 BELGES
    1 CARDINAL
    1 CATHOLIQUE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 EGLISE
    1 ELECTION
    1 EPISCOPAT
    1 ERREUR
    1 ESPAGNOLS
    1 ESPRIT CHRETIEN
    1 EVEQUE
    1 GALLICANISME
    1 IDEES DU MONDE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 IRLANDAIS
    1 ITALIENS
    1 JESUS-CHRIST
    1 LIBERTE
    1 LITURGIES ORIENTALES
    1 LIVRES
    1 MISSIONNAIRES
    1 OPPORTUNISME
    1 PAPE
    1 PATIENCE
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SEMINARISTES
    1 SEVERITE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 UNIVERSALITE DE L'EGLISE
    1 VIE DE PRIERE
    2 BARAGNON, NUMA
    2 DECHAMPS, VICTOR
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 JEANNE D'ARC, SAINTE
    2 LAGRANGE, FRANCOIS
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MARET, HENRI
    2 NAPOLEON III
    2 PIE IX
    2 PIE, LOUIS
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 POITIERS
    3 ROME
    3 SAINT-CLOUD
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • Rome, le 5 décembre [1869].
  • 5 dec 1869
  • Rome
La lettre

Mon bien cher ami,

Je vous ai promis de vous donner des notions plus exactes qu’on ne les a ordinairement sur l’infaillibilité du Pape au point de vue de l’état actuel de la question. Je vais essayer de le faire de mon mieux.

L’infaillibilité est dans l’Eglise, disent tous les catholiques. L’infaillibilité n’existe que quand l’Eglise parle par ses conciles, disent quelques-uns; d’autres: l’infaillibilité peut exister, quand le Pape ayant parlé les évêques ne réclament pas. La presque universalité du monde catholique dit (et cela se voit bien clairement aujourd’hui à Rome): Jésus-Christ a donné à son Eglise l’infaillibilité ordinaire, permanente, vivante du Pape, et l’infaillibilité extraordinaire des conciles. Pourquoi ces deux infaillibilités? Parce qu’il faut sans cesse un juge pour trancher les questions ordinaires, et il faut en même temps, quand un juge croit nécessaire, dans des circonstances extraordinaires, de s’entourer de lumières extraordinaires, qu’il le puisse, pour parler avec une plus extraordinaire autorité. Et comme tous les catholiques reconnaissent que lui seul a le droit de convoquer, de présider, de dissoudre, de confirmer le concile, c’est le Pape qui, en dernière analyse, est le juge de l’opportunité des conciles et des matières à y traiter.

Ces notions sont très simples, et il faut une grande bonne volonté pour les obscurcir.

Cela posé, je dois vous faire observer que les Romains, par des motifs tout autres que ceux de Monseigneur d’Orléans étaient, la plupart, contre la définition de l’infaillibilité du Pape, pour deux motifs: le premier, que les décisions des Souverains Pontifes et des Conciles généraux sont si claires, qu’il ne semblait point nécessaire, pour des gens de bonne foi, de rien ajouter désormais; le second, que, voyant un peu plus loin que les gallicans dans leurs relations avec le monde catholique, ils en connaissaient la foi universelle à l’infaillibilité du Souverain Pontife. Mais les observations de Monseigneur d’Orléans ont tout bouleversé, et je puis vous assurer qu’en ce moment, depuis les cardinaux jusqu’aux séminaristes, ils veulent que la définition soit portée. Et ils ne sont pas les seuls. Tous les Américains, les Espagnols, les Anglais, les Irlandais, les Belges, les Suisses, les Italiens, une partie des Allemands, presque tous les Orientaux, tous les évêques missionnaires bénissent l’évêque d’Orléans d’avoir pris la question par le bon bout.

Le livre de Mgr Maret n’eût peut-être pas suffi, parce que Pie IX n’aurait pas permis que l’on discutât le fond même de la question, tant elle est évidente, excepté pour quelques gallicans. Et il ne faut pas dire que la discussion sera donc étouffée. Si deux cents ans de controverse n’ont pas élucidé le fond de la question, quelques séances, au point de vue humain, ne l’éclairciront pas davantage, et, au point de vue surnaturel, les évêques ont eu deux ans pour préparer leur conviction dans l’étude et dans la prière. Aussi, quand le fameux Avertissement(1) a paru, un illustre prélat est allé jusqu’à dire: « Voilà un évêque accusant un journaliste de faire l’émeute à la porte du concile et qui la fait dans le concile même »(2).

Du reste, vous aurez les explications du prélat lui-même en réponse aux citations que l’on a faites de ses mandements. Donc, Monseigneur d’Orléans a parfaitement saisi la question. Est-il opportun que la définition de l’infaillibilité du Pape ait lieu? Non, dit-il, avec cinquante à soixante évêques. J’entendais dire à un officier du concile: « Avec sept à huit seulement ». C’est trop peu, mais je ne crois pas que le chiffre de ceux qui diront non aille au-delà de soixante. Le reste de l’épiscopat dira oui.

Maintenant, quelle sera la forme de la définition? Plusieurs présument qu’on ne dira pas anathème à ceux qui nient l’infaillibilité, mais [qu’]on la définira, et l’on dira anathème à ceux qui disent que l’Eglise se trompe, quand elle enseigne que le Pape est infaillible. La question tranchée ainsi sera un pur ménagement qui montrera l’excessive patience de l’Eglise, et je crois bien que si quelque partisan des idées gallicanes publiait encore un livre comme celui de Mgr Maret ou un acte épiscopal comme les Observations de Monseigneur d’Orléans, oh! alors, l’on procéderait en toute rigueur. Mais si quelqu’un se permettait quoi que ce soit de semblable, c’est qu’on n’aurait pas constaté les dispositions générales de l’épiscopat.

Mais, direz-vous, croyez-vous que l’on tienne assez compte de l’esprit moderne? Sortons de la France. Les évêques suisses, belges, anglais, américains, connaissent-ils l’esprit moderne? Je ne parle ni des Espagnols, ni des Italiens, ni d’un grand nombre de nos évêques. Allons au fond de la question. On trouve en France et en quelques parties de l’Europe l’esprit moderne, on trouve dans le monde entier l’esprit catholique.

On attend avec impatience des réponses de Nos Seigneurs Pie, Manning et Dechamps aux Observations.

Vous ferez copier encore et vous enverrez à Numa Baragnon. Ecoutez. Mgr Dupanloup a eu une audience de l’empereur pour obtenir d’être son représentant au concile; il n’a pas abouti(3). Ici, l’on dit: Orl[éans] parle aux évêques comme s’il était le Pape, au Pape comme s’il était le concile. Vous verrez qu’il parlera au concile comme s’il était le Saint-Esprit.

Il est sûr qu’il n’est pas encore arrivé. Que fera-t-il pendant le concile? Il est sûr qu’à Paris ses ennemis(4) sont atterrés. Poitiers, Manning et Dechamps ont l’autorisation de lui répondre.

Notes et post-scriptum
1. L'*Avertissement à M. Louis Veuillot* (v. *Lettre* 3755, n.4).
2. Parole attribuée à Mgr Pie, évêque de Poitiers.
3. L'évêque d'Orléans avait rendu à l'empereur le 3 octobre à Saint-Cloud la visite que le souverain avait faite à la ville le 9 mai de l'année précédente à l'occasion des fêtes de Jeanne d'Arc. Selon son biographe, l'abbé Lagrange, il était poussé surtout par l'intérêt de l'Eglise: il était bon de ménager l'empereur à la veille du concile dont les troupes françaises auraient à garantir la liberté. Les ennemis de Mgr Dupanloup ne pouvaient évidemment imaginer que des explications malveillantes.
4. C'est bien le mot du ms.