DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 55

8 dec 1869 Rome BAILLY_EMMANUEL aa

J’ai assisté en esprit à l’ouverture du concile – Le concile parlera de l’infaillibilité et sans doute de la démocratie – Les cloches du concile – Mgr Maret et Mgr Dupanloup.

Informations générales
  • DR08_055
  • 3774
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 55
  • Orig.ms. ACR, AI 80; D'A., T.D. 31, n. 80, pp. 60-63.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 AMERICAINS
    1 ANGLAIS
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 BAISER DE PAIX
    1 CELLULE
    1 CLOCHER
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 DELIBERATION
    1 DEMOCRATIE
    1 DISTRACTION
    1 DOGME
    1 EGLISE
    1 ELECTION
    1 EVEQUE
    1 GALLICANISME
    1 GOUVERNEMENTS ADVERSAIRES
    1 HERESIE
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 IMAGINATION
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INDEX
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 INTEMPERIES
    1 IRLANDAIS
    1 ITALIENS
    1 JOIE
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LITURGIE ROMAINE
    1 LIVRES
    1 MERE DE DIEU
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 MONASTERE
    1 MUSIQUE
    1 NOBLESSE
    1 PAPE
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLEMIQUE
    1 RESIDENCES
    1 RHETORIQUE
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SOUVENIRS
    1 SPECTACLES
    1 TRAITRES
    1 TRAVAIL
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 ZOUAVES PONTIFICAUX
    2 BARAGNON, NUMA
    2 BENOIT XIV
    2 CICERON
    2 DOELLINGER, IGNAZ VON
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 GINOULHIAC, JACQUES-MARIE-ACHILLE
    2 MARET, HENRI
    2 PIE IX
    2 RAMADIE, ETIENNE-EMILE
    2 SCIPION EMILIEN
    3 AMERIQUE
    3 AUGSBOURG
    3 EPHESE
    3 EUROPE
    3 GRENOBLE
    3 LEIPZIG
    3 LOZERE, DEPARTEMENT
    3 MONTPELLIER
    3 ORLEANS
    3 PERPIGNAN
    3 RIMINI
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • Rome, le 8 décembre 1869.
  • 8 dec 1869
  • Rome
La lettre

Mon cher ami,

Croiriez-vous que je ne suis pas allé à la première messe du concile? Rien de plus vrai. Plus de 150.000 personnes ont aujourd’hui visité Saint-Pierre et n’ont pas vu beaucoup plus que moi qui n’ai pas bougé de ma chambre. Comment donner des billets à 150.000 personnes? Et les princesses romaines, ne fallait-il pas qu’elles en eussent d’abord? Il a plu toute la journée et j’estime que sans la pluie il y aurait eu des accidents, car probablement bon nombre de Romains ont fait comme moi. Et qui eût pu prévoir ce qui serait arrivé, s’il avait fait beau?

J’ai fait appel à mon imagination, j’ai évoqué mes souvenirs, j’ai lu attentivement le détail des cérémonies indiqué dans un ordre du jour de cent et quelques articles, j’ai assisté en esprit à une fonction de huit heures, aller et retour compris; oui, j’y ai assisté, mentalement, il est vrai; mais pour une cérémonie de ce genre, je maintiens que c’est de beaucoup préférable. Je vois par la pensée le Pape sur son trône, entouré des évêques; on estime qu’ils étaient près de 700(1).

Le concile d’Ephèse, composé de 200 évêques, eut 44 évêques opposants, ce qui n’empêcha pas de définir le dogme de l’Incarnation et de la Maternité divine de la Sainte Vierge. S’il y a près de 700 évêques, il faudrait une opposition de 150 évêques pour que le concile fût arrêté dans ses délibérations. Et encore, cela n’est pas sûr, car Benoît XIV fait observer qu’à Rimini les évêques ariens étaient de beaucoup les plus nombreux et l’opposition du Souverain Pontife l’empêcha, seule, de proclamer l’erreur et de la faire triompher. Je me permets de contredire par ce fait l’opinion de Mgr Ginoulhiac, qui, dans sa brochure sur le concile, affirme qu’il faut la presque unanimité des évêques pour définir un dogme. Cela se peut, quand ils ne sont que trente ou quarante, comme ils le furent quelque temps au dernier concile général; mais quand ils sont près de sept cents, je pense qu’on peut procéder par une autre voie. Et quand je dis que je le pense, je me fonde sur plusieurs conciles, sur celui d’Ephèse d’abord et sur celui de Trente aussi, où, avec deux cents et quelques évêques, on prononça des sentences contre une minorité de 57 évêques.

A propos de Mgr Ginoulhiac, les habitants de Montpellier apprendront avec intérêt qu’il loge ou au moins qu’il fait ménage avec son compatriote, Mgr Ramadié, et Mgr Maret(2). C’est, du moins, ce que m’a assuré un prêtre qui les connaît.

C’est pourtant un beau spectacle que celui de sept à huit cents prélats, (il faut joindre aux évêques les abbés mitrés et les chefs d’Ordres), venant au moment de l’ouverture du concile baiser la main du Pape qui les a institués. Pie IX, m’assurait il y a un instant un évêque, semblait radieux. Il avait, en effet, le droit de l’être. Le concile est un triomphe dès son début. Sans doute, il y aura des misères. Où donc sont-elles absentes de là où se trouvent des hommes? Mais déjà, le fait de la réunion de tant de pontifes, venus de tous les points du monde vers le centre de l’unité catholique, n’est-ce pas un fait merveilleux?

Vous me demanderez ce que fera le concile. Que vous répondre? Je n’en sais rien. Une fois cela dit, je crois bien que Mgr Maret, avec son ballot de livres, (la défense de ses deux volumes), peut envenimer la question qui était déjà devenue bien assez vive après les Observations de Mgr Dupanloup. C’est déjà un fait très significatif que le livre très gallican de Janus sur le Pape et le concile ait été mis à l’index, au moment où le concile du Vatican s’ouvrait(3). D’autre part, Pie IX, dans son allocution de ce matin, avec cette belle éloquence latine dont les Italiens possèdent si bien l’ampleur, a fort bien dit aux évêques qu’à la vérité, la puissance seule de la pierre, sur laquelle était basée l’Eglise, suffisait pour le bien commun, mais que cependant il avait cru opportun de convoquer ses frères. Je ne fais que citer le sens très net de sa pensée, mais je ne cite pas littéralement.

On parlera très positivement de l’infaillibilité du Pape. On désigne déjà l’évêque chargé de proposer la question. On n’ira peut-être pas jusqu’à frapper le gallicanisme d’hérésie, mais on croit que la note d’erreur lui sera infligée. Mais je vais trop loin peut-être; mettons que je n’ai rien dit.

Quelques évêques, une fois les principes antirévolutionnaires posés, se proposeraient de demander une direction sur les relations de l’Eglise avec la démocratie. La démocratie est un fait. En Amérique, l’Eglise catholique ne combat en rien la démocratie républicaine. Ne peut-on pas s’entendre, beaucoup le pensent, sans accepter le moins du monde les idées catholico-libérales, mais il faudrait traiter à fond ce sujet et le temps me manque.

La pensée que, dans un temps plus ou moins long, l’Eglise se trouvera en Europe privée de son budget fait son chemin. Le concile abordera-t-il cette hypothèse? Ce n’est pas à présumer; mais si l’on consultait les évêques anglais, irlandais, américains surtout, je sais bien ce qu’ils répondraient. L’Eglise ne rompra jamais les traités convenus, mais si les pouvoirs temporels les déchirent, elle s’en affligera peut-être moins qu’on ne le suppose en certains endroits.

Avant de finir, laissez-moi vous faire part d’une sorte de volupté, que, j’en suis sûr, dix personnes ne se sont pas donnée dans Rome, où cependant elle ne coûtait pas cher. Quand les personnes de la maison ont été presque toutes parties pour Saint-Pierre, je suis monté à une loggia, d’où l’on n’apercevait guère que des toits et des clochers. Ce n’était pas le plaisir des yeux que je cherchais, c’était la joie d’entendre les cloches. Mille cloches et plus ont dû annoncer le concile. Cicéron dit, dans le Songe de Scipion, si je ne me trompe, que les astres font, dans l’harmonie de leurs révolutions, le plus admirable de tous les concerts; moi, je me contentais d’un concert terrestre et je vous déclare que rien ne lui est comparable.

9 décembre.

La pluie continue d’une façon ennuyeuse. La revue des zouaves annoncée pour cette après-midi est probablement ajournée. Les Pères du concile seront moins distraits et pourront mieux travailler à préparer les matières qui leur seront soumises.

Si cette lettre a le sens commun, faites-la copier et remettre à Numa Baragnon. On dit que vous ne vous soignez pas.

Je crois et j’espère que le Maret, avec son second livre, va faire encore avancer la question. J’apprends à l’instant qu’Orléans, se sentant battu d’avance, renonce à se présenter dans aucune des quatre Commissions.

Notes et post-scriptum
1. Six cent quarante deux personnes ayant droit de vote participèrent à la cérémonie d'ouverture du concile.
2. Mgr Ginoulhiac, évêque de Grenoble depuis 1853 et Mgr Ramadié qui avait succédé à Mgr Gerbet à Perpignan en 1864 étaient de Montpellier. Mgr Maret était né en Lozère.
3. Par décret du 26 novembre approuvé par le pape le 30, était mis à l'index des livres prohibés: Der Papst und das Concil von Janus *id est* Papa et Concilium auctore Jano, Lipsiae 1869. *Quocumque idiomate* (*Civiltà cattolica*, fasc. 474, décembre 1869, p.747).
Janus était un pseudonyme de Doellinger. Sa brochure était la réunion de cinq articles parus dans l'*Allgemeine Zeitung* d'Augsbourg.