DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 64

12 dec 1869 Rome CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie

Ma journée d’hier – J’ai d’irréfutables réponses à vos observations sur les Oblates – Tiraillements au concile – On ne sait quand finira le concile.

Informations générales
  • DR08_064
  • 3780
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 64
  • Orig.ms. AC O.A.; Photoc. ACR, AH 412; D'A., T.D. 30, n. 231, pp. 12-15; QUENARD, pp. 146-147 (extrait).
Informations détaillées
  • 1 BAVARDAGES
    1 CARDINAL
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONTRARIETES
    1 DIPLOMATIE
    1 DOMESTIQUES
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ESPAGNOLS
    1 EVEQUE
    1 FATIGUE
    1 GOUVERNEMENT
    1 LIVRES
    1 MORT
    1 OBLATES
    1 OFFICE DIVIN
    1 PAPE
    1 PAQUES
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    1 REMEDES
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 RUSE
    1 TRANSPORTS
    2 ALEXANDRE II, TSAR
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 CORRENSON, AUGUSTINE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 DELALLE, LOUIS-AUGUSTE
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 ISABELLE II
    2 JANDEL, VINCENT
    2 LORRAIN, CLAUDE
    2 MABILE, JEAN-PIERRE
    2 MERMILLOD, GASPARD
    2 NAPOLEON III
    2 PIE IX
    2 PITRA, JEAN-BAPTISTE
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 SERRANO, FRANCISCO
    2 VEUILLOT, ELISE
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 ESPAGNE
    3 ITALIE
    3 NIMES
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 RODEZ
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 RUSSIE
    3 VERSAILLES
  • A LA MERE EMMANUEL-MARIE CORRENSON
  • CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie
  • Rome, 12 décembre 1869.
  • 12 dec 1869
  • Rome
La lettre

Ma chère enfant,

J’ai reçu votre bonne longue lettre. Si celle-ci est plus courte, ne m’en veuillez pas trop. Voici ma vie d’hier.

Je dis ma messe, je déjeûne, je pars pour Saint-Pierre dans la voiture de l’évêque de Rodez(1), (il y avait congrégation générale). Je vais, à une demi-heure de là, chez un ami consulter des livres; de là chez Veuillot; je ne le trouve pas, je donne mes renseignements à sa soeur(2); je rentre, je fais une lettre, je dîne, après avoir fait ma barbe et dit mon office. Je lis votre lettre et l’Univers, je vais savoir si les évêques sont rentrés. On me remet un petit volume infolio à lire dans la soirée. Je crois pouvoir m’enfermer; point. L’évêque de Versailles(3) me demande, j’accompagne l’évêque de Versailles. Zut, voilà Veuillot; je reste une heure avec lui chez l’évêque de Nîmes. Ah! je respire! Point. M. de Cabrières vient rédiger dans ma chambre une pétition d’académie et me fait sur la peinture de Claude Lorrain une dissertation très spirituelle, mais dont je n’ai que faire. Il s’en va, mais un attaché de l’ambassade m’arrive pour me parler des évêques espagnols. Je ne l’ai pas encore mis à la porte que Mermillod me demande par son domestique; je vais l’attendre à l’académie ecclésiastique. « Mon cher, il faut que vous me meniez dîner; je vous donnerai ma voiture, vous irez chez Pitra, chez le général des Dominicains; de là vous viendrez me porter leur avis ». Je cours chez Pitra, qui ne sait rien; de là chez Jandel(4) qui n’a rien préparé. Je rentre chez Mermillod. Un ennuyeux me saisit, je m’en débarrasse en priant Mermillod de monter; il eût jacassé avec moi jusqu’à toutes les heures, mais je veux souper. Je le remets aux mains de l’ennuyeux, je rentre: on était à table. Je monte vite chez moi, après avoir dit à mon évêque l’objet de mes courses. Je m’enferme, à onze heures je dis mon office, je prends une pastille, parce que je sens la toux qui me vient; j’achève mon petit in-folio dans mon lit. Bon, je regarde ma montre, il est minuit et 20. Et ma pastille? Augustine n’eût pas communié. Je fais mon calcul. Impossible que je ne l’aie pas prise à minuit moins dix au plus tard. Je vais ce matin dire ma messe pour vous. Le Père Jandel vient me porter ses noms, je l’expédie à Mermillod, mais mon évêque veut que j’y aille, à mon tour. J’y irai donc.

Vos observations sur les Oblates seraient très justes, si je n’avais pas de très irréfutables réponses que je renvoie à un autre jour. Priez bien pour moi, ma bien chère fille. Si vous saviez comme vous me faites faute! Je mène certes une vie très agréable, mais je ne vous ai pas! Il faut offrir tout cela à Notre-Seigneur.

Que vous dirai-je du concile? J’aperçois bien des tiraillements, mais Dieu préside à tout. Il sortira de là quelque chose de bien, car les évêques se frottent si furieusement, je suis sûr qu’ils finiront par s’entendre. Déjà Paris se brouille avec Orléans: c’est un incomparable méli-mélo. Le Pape a fait un acte admirable. En prévision de sa mort, les cardinaux seuls nommeront son successeur et le concile sera suspendu jusqu’à la nomination de son successeur. Cela coupe court à une foule d’intrigues.

Adieu, mon enfant. Je veux que cette lettre parte. Je crois vous avoir fait plaisir en vous contant une de mes journées, elles ne sont pas toutes aussi écrasantes. Il faudra bien que je trouve le temps de dormir un peu, puisque j’ai si peu reposé cette nuit. Mais enfin, voilà ce qui me préoccupe et m’agite.

Quant à la fin du concile, on ne peut absolument rien dire. On le prolonge jusqu’à un an; on le fait finir à Pâques; je pencherais volontiers pour Pâques, à cause des raisons qu’on m’a données. Voyez entre autres: l’empereur de Russie est mourant, l’Italie en dislocation, l’Espagne en révolution, Napoléon en décomposition(5). N’est-ce pas un miracle? Mais Dieu est-il tenu de le laisser durer outre mesure? Ce qui dure outre mesure, c’est ma lettre. Ah! ma fille, pardonnez-moi. Si vous saviez comme vous me rendez heureux, quand je reçois de vos nouvelles! Ne m’en veuillez pas si je prolonge en bavardant ce dédommagement de ne pas vous voir. Pourtant je fais un effort et je vous quitte tout de bon.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Louis-Aug. Delalle, évêque de Rodez depuis 1855.
2. Elise Veuillot.
3. J.P. Mabile, évêque de Versailles depuis 1858.
4. Le P. Vincent Jandel, Maître général des Frères Prêcheurs de 1862 à sa mort en 1872.
5. Le tsar Alexandre II mourut assassiné en 1881; l'Italie est en train de se construire; en Espagne, depuis que, l'année précédente, la révolution a renversé la reine Isabelle II, le pouvoir est détenu par le maréchal Serrano; en France, Napoléon III s'efforce de libéraliser l'empire.