DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 68

14 dec 1869 Rome MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Bataille autour d’une élection – Vos questions ne viendront pas sur le tapis avant longtemps – Les Jésuites et la démocratie – Les congrégations nouvelles – Le théologien de Mgr Thomas – Il nous faut un établissement à Rome – L’archevêque de Paris.

Informations générales
  • DR08_068
  • 3783
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 68
  • Orig.ms. ACR, AD 1533; D'A., T.D. 24, n. 1040, pp. 78-80.
Informations détaillées
  • 1 COLERE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONFESSEUR
    1 CONTRARIETES
    1 DEMOCRATIE
    1 DEPARTS DE RELIGIEUX
    1 DOGME
    1 EGLISE
    1 ELECTION
    1 ENERGIE
    1 EVEQUE
    1 IDEES DU MONDE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 POLEMIQUE
    1 PRESSE
    1 RELIGIEUSES
    1 RESIDENCES
    1 SCRUPULE
    1 THEOLOGIENS
    1 ULTRAMONTANISME
    1 VOYAGES
    2 BECKX, PIERRE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 DAVID, AUGUSTIN
    2 DECHAMPS, VICTOR
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 GINOULHIAC, JACQUES-MARIE-ACHILLE
    2 LANDRIOT, JEAN-BAPTISTE
    2 LE REBOURS, PIERRE
    2 MARIE-CHRISTINE, RA
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PIE IX
    2 THOMAS, LEON-BENOIT
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 GRENOBLE
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 REIMS
    3 ROCHELLE, LA
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 SAINT-BRIEUC
    3 SEDAN
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Rome, 14 décembre 1869.
  • 14 dec 1869
  • Rome
  • *Madame la supérieure générale*
    *de l'Assomption.*
La lettre

Ma chère fille,

Je vous assure que ce qui me vient de vous est toujours à la première ligne de ce qui me touche. Vous avez bien tort de vous faire des scrupules sur ce chapitre. Le séjour à Rome est à la vérité d’un intérêt suprême en ce moment, quoique l’on soit loin d’y voir clair.

Au moment où je vous écris, une grosse bataille se livre à Saint-Pierre, à propos d’une élection, d’où les évêques romains tiennent à exclure Orléans et Paris pour que l’on puisse se compter. On croit bien qu’il y aura une complète déroute des Orléanistes, mais enfin on veut savoir dans quelle mesure. Orléans perd la tête, et la magnifique lettre de Mgr Dechamps ne la lui rétablira pas. On est pour le quart d’heure à mille lieues des questions que vous me proposez, et je suis, pour mon compte, convaincu de l’impossibilité qu’elles viennent sur le tapis avant longtemps et très longtemps(1). Les esprits ont besoin de s’apaiser, ce qui n’est pas chose aisée, et puis les matières dogmatiques ont un tel développement qu’à moins de trancher dans le vif, nous y sommes pour plusieurs mois.

Les détails tels que vous les présentez dans votre Mémoire, ne peuvent venir que par voie de conséquence. Et à ce point de vue il serait, à mon sens, inopportun de les présenter immédiatement. On les aurait oubliés, quand viendrait le moment de les examiner. Il ne faut pas se faire illusion. Nous touchons à l’une des époques les plus formidables de la vie humaine. L’Eglise, en face de tout ce que le monde enfante d’erreurs, aura besoin de transformer tous ses plans de bataille, et, si je puis dire, de stratégie.

On m’a recommandé de garder le secret là-dessus, mais on m’a affirmé que le général des Jésuites s’occupait de voir comment il adapterait sa Compagnie à la démocratie. Que dites-vous de cela? Oui, il est évident que nous allons jusque-là. Le Pape lui-même le sent. Tous ici le sentent, et je suis sûr que les nouvelles Congrégations ne leur déplaisent pas autant que plusieurs semblent le croire. Ils ont besoin de force, vie, d’initiative, et c’est là qu’ils en trouvent. Par ce côté, je crois très utile d’aller lentement. L’on cause, l’on fait pénétrer les idées, et, à un moment donné, on est tout surpris de ce que les sillons se sont multipliés et de ce que le champ est labouré.

J’apprends à l’instant que Mgr Thomas(2) a pris pour théologien l’abbé Le Rebours. Qu’est-ce que cela signifie? Du reste, M. Le Rebours ne restera que jusqu’à la fin de janvier; on propose de lui donner le P. Picard pour successeur.

Ce qui me préoccupe en vue de la possibilité que le concile se prolonge, ou de la nécessité de travaux à faire, et très importants, après le concile, mais surtout de la position à prendre après cette grande assemblée, c’est un établissement à Rome. Si j’avais quarante ans, je songerais à m’y fixer, mais je suis convaincu que mon successeur s’y fixera. On prend, je le crois, à Rome la position que l’on veut prendre. On y peut avoir d’immenses ennuis, mais après tout on y exerce l’espèce d’influence qu’on est capable d’exercer. On profite de ce que l’on voit, et si quelquefois les gens vous y trouvent insupportables, c’est qu’ils sentent que vous pesez sur eux de la façon qu’ils ne voudraient pas, mais qu’ils sont forcés de subir.

Adieu, ma fille. Mille fois vôtre en Notre-Seigneur.

E.D’ALZON.

Impossible à moi d’aller chercher Reims. Je regrette un peu que vous lui ayez confié l’affaire de Christine(3). Mais après tout c’est un bien. Si vous aviez quelque autre histoire de cette espèce ou toute autre affaire plus grave, peut-être ne feriez-vous pas mal de venir voir. Dans tous les cas, préparez un voyage à Rome pour six mois après le concile. Je voudrais vous donner des détails. Veuillot se laisse flouer par son correspondant. Ainsi l’on prétend que Paris a été reçu avec d’autres évêques; c’est faux, il a été reçu seul et pendant trois quarts d’heure. Redites-le bien, parce que le récit mensonger de l’Univers l’a exaspéré. Ai-je écrit au P. Picard qu’il(4) fait sa position assez belle? Ainsi 17 Français veulent protester contre le règlement du concile, il fait ce qu’il peut pour les arrêter. Mais même dans une réunion chez les siens, pour un scrutin préparatoire, il n’est venu que le quatrième: Grenoble a eu 29 voix, Saint-Brieuc(5) 24, Orléans 21, Paris 19. C’est peu.

Adieu encore une fois.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Les questions relatives aux religieuses et notamment à leurs confesseurs dont Mère M.-Eugénie entretient le P. d'Alzon dans sa lettre du 7 décembre. - La 2e congrégation générale procède à ce moment à l'élection des membres de la députation de la foi.
2. Mgr Léon Thomas est évêque de La Rochelle depuis 1867.
3. L'archevêque de Reims est depuis 1867, Mgr J.-B. Landriot - Soeur M.-Christine de la communauté de Sedan demande à être relevée de ses voeux.
4. C'est-à dire l'archevêque de Paris.
5. Augustin David, depuis 1862.