DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 92

25 dec 1869 Rome BAILLY_EMMANUEL aa

Où en est le gallicanisme – Immaculée Conception et infaillibilité pontificale – L’audience de Mgr Dupanloup – La pensée de la mort chez Pie IX – Prophéties.

Informations générales
  • DR08_092
  • 3802
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 92
  • Orig.ms. ACR, AI 90; D'A., T.D. 31, n. 90, pp. 77-80.
Informations détaillées
  • 1 CARDINAL
    1 CIEL
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONVERSATIONS
    1 DECRETS
    1 DIEU LE FILS
    1 DOGME
    1 ELECTION
    1 EPISCOPAT
    1 ETATS PONTIFICAUX
    1 EVEQUE
    1 FRANCAIS
    1 GALLICANISME
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INCONSTANCE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 MESSE CHANTEE
    1 MORT
    1 NOEL
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    1 POUVOIR TEMPOREL DU PAPE
    1 PREMIERES VEPRES
    1 PRETRE
    1 RELIGIEUX
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    2 BESLAY, FRANCOIS
    2 BROGLIE, ALBERT DE
    2 COCHIN, AUGUSTIN
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 LEON I LE GRAND, SAINT
    2 PIE IX
    2 THUREAU-DANGIN, PAUL
    3 FLORENCE
    3 ORLEANS
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, VILLA BORGHESE
    3 ROME, VILLA PATRIZZI
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • Rome, 25 décembre 1869.
  • 25 dec 1869
  • Rome
La lettre

Pour la Semaine (1)

Mon cher ami,

Si l’on voulait savoir où en est le gallicanisme, on pourrait dire d’abord que le gallicanisme représenté par quelques noms a été trois fois repoussé par l’épiscopat français; ensuite, qu’il l’a été bien davantage par les évêques du monde entier. Hier encore on me parlait de la disposition où seraient six cents évêques, laissant les Français de côté (par un sentiment délicat, que la Semaine religieuse ne peut indiquer dans ses colonnes), de demander la définition de l’infaillibilité du Pape. On laisserait toutefois les évêques de France, qui n’auraient pas peur de se compromettre, libres de signer avec les autres la demande d’un décret ou même d’un canon.

Les dissidences consistent en ceci: les uns veulent l’anathème, les autres une promulgation sans anathème, les autres une déclaration plus explicite que celle du concile de Florence, avec la défense d’enseigner de vive voix ou par écrit que le Pape n’est pas infaillible. Voilà les trois nuances. On en prendra incontestablement une.

Hier, j’étais devant la chapelle de saint Léon, à Saint-Pierre lorsque, malgré les draperies qui nous séparaient du trône pontifical et nous le cachaient, j’entendis Pie IX entonner les Premières vêpres de Noël avec une voix si pleine, si retentissante, si souple en même temps, que je ne pus m’empêcher de dire à un prêtre, à côté de qui je me trouvais: « Cette voix a été faite pour proclamer l’Immaculée Conception et l’infaillibilité du Pape ». On ne réfléchit pas assez aux rapports qui se trouvent entre ces deux dogmes, entre la pureté du temple virginal que le Fils de Dieu s’est choisi pour se faire homme, et la pureté des lèvres que le Verbe de Dieu a choisies pour pouvoir reparler toujours aux hommes.

On dit Pie IX préoccupé de la pensée qu’il a peu de temps à vivre. Dans cet entretien si intime et si cordial avec Mgr Dupanloup, dont parle le Français(2), on croit être aussi sûr qu’il est possible de l’être qu’il a écarté toute discussion pénible, vers laquelle voulait l’entraîner l’évêque d’Orléans, pour ne s’entretenir avec lui que de la brièveté de la vie et de l’instabilité des choses humaines.

Je serais peut-être indiscret, si je parlais de la satisfaction qu’il a manifestée en voyant certains noms repoussés des Congrégations par une majorité si forte, si bien qu’il reçoit très cordialement ceux qui portent ces noms. Il ne veut pas achever de rompre des roseaux déjà bien assez brisés par une impopularité croissant chaque jour un peu plus. Quoi de plus paternel?

Maintenant la pensée de la mort, chez Pie IX, n’est-elle pas une de celles qui peuvent le soutenir le plus dans l’accomplissement de ses grands et sublimes devoirs? Pie IX a réglé la forme quelque peu républicaine du choix de son successeur, mais il n’a pas à s’inquiéter de savoir quel sera le successeur que Dieu lui donnera. En jetant les yeux sur le Sacré-Collège il peut dire: « Il y en a parmi vous un, qui, sous peu, sera où je suis ». Il ne peut en savoir davantage. Ce n’est donc pas un intérêt de famille ou de dynastie qu’il défend. C’est uniquement une institution divine dont il porte la responsabilité, et, entre Dieu qui est au ciel et l’homme fait pour le ciel mais qui laissera bientôt sa dépouille à la terre, où il représente Dieu, quel plus puissant intermédiaire que le sentiment de la mort?

Je ne sais pourquoi j’insiste sur cette pensée, car Pie IX se porte à merveille, et, au moment où j’écris ces lignes, il chante la grand-messe à Saint-Pierre. Voulez-vous que je finisse par une prophétie? Vous la prendrez pour ce qu’elle vaut, et établissons bien que je la cite uniquement pour mémoire et pour que vous vous en souveniez, si elle s’accomplit. Un prêtre de mes amis, établi à Rome depuis longtemps, m’a assuré avoir rencontré, il y a trois ou quatre mois, un saint religieux de sa connaissance. Celui-ci l’arrêta au milieu de la rue et lui dit: « Vous rappelez-vous qu’il y a un peu plus de deux ans, lorsque tout le monde redoutait l’invasion de Rome par les garibaldiens, je vous engageai à ne rien craindre? J’ajoutai que peut-être les bandes révolutionnaires arriveraient jusqu’à la Villa Borghese ou la Villa Patrizzi(3), mais positivement n’iraient pas plus loin. – Parfaitement, répondit mon ami. – Eh! bien, je vous annonce et je le tiens de la même source que vous verrez.. » Ah! mais il y a là de la politique et vous ne pouvez l’imprimer. Je vais vous le dire pour vous seul en post-scriptum, vous garderez cette lettre, et si la prédiction se réalise, vous pourrez faire voir que, le 25 décembre 1869, je vous ai annoncé des choses assez réjouissantes. C’est que mon vieux religieux en a annoncé beaucoup d’autres tristes ou gaies, et accomplies à la lettre, comme l’histoire des garibaldiens arrivant aux portes de Rome et n’y entrant pas. Adieu.

La prophétie est que le Pape recouvrera ses Etats.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Et dire qu'on m'imprime dans la *Semaine religieuse* et que je ne la reçois pas.1. La *Semaine religieuse de Nîmes* n'en reproduisit qu'un court extrait dans son n° du 9 janvier 1870, p. 559.
2. Mgr Dupanloup avait encouragé la naissance de ce journal dont le premier numéro parut le 2 août l868. Son rédacteur en chef était Fr. Beslay. Dans la rédaction on trouvait Thureau-Dangin, Augustin Cochin, le prince de Broglie. Ce journal entendait réconcilier les catholiques et les temps modernes. Il se voulait non pas catholique-libéral mais catholique *et* libéral (*Histoire générale de la presse française*, II, pp.349-350).
3. C'est-à-dire aux remparts, au nord de la ville.